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« J’espère que le Canada va me sortir d’ici »

Surnommé « Jack le djihadiste » par les médias britanniques, soupçonné d’avoir combattu au sein du groupe État islamique (EI), Jack Letts a appris hier que le pays qui l’a vu grandir, le Royaume-Uni, lui a retiré sa citoyenneté. Détenu en Syrie, le jeune homme de 24 ans appelle maintenant à l’aide l’autre pays dont il détient un passeport : le Canada. Au pays, son cas ravive le débat entourant le retour des membres de l’EI sur le sol canadien. Le tour des enjeux en quatre mots-clés.

Britannique

De père canadien et de mère britannique, Jack Letts a grandi à Oxford, en Angleterre. Ses parents ont raconté que leur fils avait à peine 15 ans quand il s’est converti à l’islam. En 2014, à l’âge de 18 ans, il a dit à ses parents qu’il partait apprendre l’arabe au Moyen-Orient. Il a d’abord vécu en Irak, où il s’est marié avec la fille d’un cheikh haut placé du groupe État islamique avant de partir vivre avec sa femme à Raqqa, chef-lieu du groupe djihadiste sunnite et capitale du califat autoproclamé. 

Selon le journal britannique The Telegraph, Jack Letts serait le seul Britannique « blanc » à s’être joint à l’organisation armée. En 2017, à 21 ans, il a fui Raqqa et espérait s’installer en Turquie, mais il a été arrêté par les forces armées kurdes du nord de la Syrie, qui le détiennent depuis. 

Dimanche, on a appris que le gouvernement britannique lui avait retiré sa citoyenneté. Le père de M. Letts, John Letts, un agriculteur biologique qui vit toujours en Grande-Bretagne, a qualifié le ministre de l’Intérieur qui a pris cette décision de « lâche ». En juin, John Letts et sa femme, Sally Lane, ont été reconnus coupables d’avoir financé le terrorisme après avoir envoyé de l’argent à leur fils.

Déchargé

Mis au fait dimanche de la décision de Londres de révoquer la citoyenneté britannique de M. Letts, le ministre canadien de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a exprimé sa déception. « Le terrorisme ne connaît pas de frontières – les pays doivent donc travailler ensemble pour assurer leur sécurité mutuelle. Le Canada est déçu que le Royaume-Uni ait pris cette mesure unilatérale pour se décharger de ses responsabilités », a dit M. Goodale. 

Ce dernier se dit conscient que des Canadiens sont actuellement détenus en Syrie, mais ajoute que le Canada n’a pas l’obligation de faciliter le retour de ces détenus. Il est à noter cependant que, selon la loi, le Canada ne peut freiner le retour au pays d’un de ses ressortissants.

Interrogé par des journalistes à Québec hier, le premier ministre Justin Trudeau a refusé de confirmer si Jack Letts pourrait éventuellement s’installer au Canada. 

« C’est un crime de voyager internationalement dans le but de soutenir le terrorisme ou d’y prendre part. Et c’est un crime que nous allons tout faire pour traduire en justice avec toute la force de la loi. C’est le message que nous avons pour les Canadiens et ceux qui sont impliqués », a dit M. Trudeau. 

Sur Twitter, hier, le chef du Parti conservateur Andrew Scheer a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi le premier ministre avait « déployé autant d’efforts » pour rapatrier Jack Letts. Cette allégation a été immédiatement niée par Ralph Goodale.

Espoir

Hier, interrogé en Syrie par la chaîne britannique ITV, Jack Letts a dit qu’il n’était pas surpris que le Royaume-Uni lui ait retiré sa citoyenneté. « Je m’attendais à quelque chose comme ça. Je suis [détenu] depuis deux ans et demi et [le gouvernement britannique] ne m’a pas aidé du tout. La citoyenneté britannique, ça ne voulait pas dire grand-chose. Juste un papier », a dit le jeune homme, aujourd’hui âgé de 24 ans. 

Il s’est montré plus optimiste à l’égard du Canada, un pays où il n’a jamais vécu, mais qu’il dit avoir visité à sept reprises. « J’ai passé beaucoup de temps au Canada. Toute ma famille est canadienne. J’espérais que le Canada m’aiderait, mais ils ne l’ont pas vraiment fait jusqu’à présent. J’espère encore que le Canada va me sortir d’ici et va m’amener au Canada », a dit hier à ITV Jack Letts. 

En entrevue, il ne nie pas avoir appartenu au groupe État islamique. « [Me joindre à l’EI] est la chose la plus stupide que j’ai jamais faite. Cependant, je n’ai jamais tué personne, je n’ai jamais pris d’esclave, je n’ai jamais blessé qui que ce soit à l’intérieur de l’EI. Tout ce que j’ai fait, c’est combattre le régime syrien qui a tué plus de 1 million de personnes », a dit Jack Letts.

Étrangers

Selon un rapport des Nations unies, plus de 41 000 personnes originaires de 80 pays ont été recrutées à l’extérieur de l’Irak et de la Syrie et ont rejoint l’organisation extrémiste. Depuis l’offensive militaire qui a permis de déloger l’EI des territoires où l’organisation était la plus active, des membres de l’organisation cherchent à rentrer dans leur pays d’origine. Des milliers d’entre eux sont actuellement détenus par les forces kurdes. À bout de ressources, les autorités kurdes demandent que les femmes et les enfants soient rapatriés par leur pays d’origine. 

Récemment, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, la France, la Belgique et l’Allemagne ont rapatrié certains de leurs citoyens. Dans le cas des pays européens, le rapatriement vise presque exclusivement des orphelins.

Pour sa part, le Canada estime qu’entre 180 et 200 de ses ressortissants se sont joints à des groupes armés violents comme l’EI. De ce nombre, entre 20 et 60 seraient rentrés au pays, selon divers rapports. 

Kyle Matthews, directeur de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, note que le Canada a à ce jour peu traduit en justice les anciens membres de l’EI qui sont rentrés au pays, dont Abu Huzaifa, ancien membre de l’EI qui a admis avoir exécuté au moins deux individus pour le compte du groupe djihadiste. 

« Pourquoi n’avons-nous pas une approche plus forte dans ces cas ? Si on ne traduit pas ces gens en justice alors qu’ils ont appartenu à une organisation qui a commis des crimes immondes, quel message envoyons-nous ? », demande M. Matthews. Ce dernier croit que le Canada devrait soutenir l’initiative suédoise visant à créer un tribunal international qui permettrait de traduire en justice les anciens membres de l’EI. « C’est un problème international et on pourrait le gérer de manière internationale », croit l’expert des droits de la personne. Hier, le ministre Goodale a affirmé que le Canada avait jusqu’à maintenant fait condamner quatre anciens membres de l’EI.

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