Chronique

« Retourne chez vous ! »

C’est toujours la même histoire, finalement…

Le « pacte » avec les immigrants que la CAQ a dévoilé ces derniers jours n’est pas différent du combat identitaire de l’ADQ et de la Charte des valeurs du PQ. Tous déclinent un seul et même constat : le nouvel arrivant doit en faire plus pour s’intégrer à la société.

Pratique, commode. Ça flatte la société dans le sens du poil. Et surtout, c’est tellement plus simple d’expulser un immigrant qui n’a pas appris le français, comme le veut François Legault, que de se poser de vraies questions sur nous-mêmes.

Sur notre accueil. Sur notre ouverture. Sur les efforts réels qu’on met à intégrer les immigrants.

On écarte ainsi les questions délicates, on contourne toute remise en question, et on se donne des airs de société mature en proposant un contrat, une entente aux immigrants, ce qui laisse supposer que chacun a son bout de chemin à faire.

Et pourtant, la seule et unique responsabilité qui incombe à la société d’accueil dans le « pacte » de la CAQ… c’est de s’assurer que l’immigrant respecte sa part du « deal ».

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C’est sûr, le « pacte » de François Legault est bien emballé. Il parle d’« interculturalisme ». Il propose « une modernisation complète du modèle d’immigration ». Il évoque la « responsabilité » du gouvernement du Québec.

Mais dans le fond, ce n’est rien d’autre qu’une liste de critères très précis qui s’ajoutent aux autres critères précis que les nouveaux arrivants doivent suivre à la lettre.

Lisez le document plein de vœux pieux de la CAQ. Le gouvernement doit, tout au plus, « entamer » des négociations avec le fédéral. Il doit « préciser » ses objectifs. Il doit « favoriser », « sensibiliser », « encourager », rien de bien contraignant.

Quant au nouvel arrivant, il a trois devoirs incontournables : « connaître » à tout prix le français, « respecter » les valeurs de la société, suivre « obligatoirement » le cours d’intégration. Il doit aussi « obtenir » un certificat d’accompagnement, puis « réussir » une évaluation basée sur sa connaissance des valeurs québécoises.

À défaut de quoi, selon les mots de François Legault, on le « retourne » dans son pays.

Un « pacte », vous avez dit ?

Le pacte de la CAQ n’est pas un « pacte ». Il met tout le fardeau de l’intégration sur le dos d’une seule partie : l’immigrant.

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Ce que propose la CAQ, dans le fond, c’est un examen d’entrée. Examen tout à fait opportuniste sur le plan politique, déconnecté de la réalité montréalaise, sans autre contrepartie que le privilège d’immigrer au Québec.

Or comme le disent les anglos, l’immigration est une « two way street ». C’est un contrat entre deux parties qui, chacune, ont leur rôle jouer. Et qui chacune ont leur responsabilité en cas d’échec.

À lire le document de la CAQ, à lire les constats assez dramatiques qu’on y fait sur la francisation, le partage des valeurs communes et le taux de chômage des immigrants, on croirait pourtant que le Québec n’a rien d’autre à se reprocher que de ne pas avoir édicté de règles claires et contraignantes.

On dit certes qu’il faut « moderniser » les politiques d’immigration, mais pas un mot sur le fait que le Québec récolte plus d’argent du fédéral chaque année pour l’intégration et la francisation… qu’il n’en dépense réellement !

Pas un mot non plus sur les délais d’accès aux services de soutien, ou les difficultés à faire reconnaître les diplômes étrangers. Pas un mot, surtout, sur les difficultés des immigrants à s’insérer dans le marché de l’emploi… sinon pour les menacer d’expulsion s’ils ne se trouvent pas de job.

« Ça fait 25 ans que j’œuvre dans ce milieu, et jamais je n’ai vu un seul immigrant qui ne voulait pas rapidement se trouver un emploi », fait remarquer Stephan Reichhold, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes.

Oui, le taux de chômage est plus élevé chez les nouveaux arrivants, particulièrement ceux qu’on privilégie depuis des années, c’est-à-dire les Maghrébins. Mais certainement pas parce qu’ils ne cherchent pas. Encore moins parce qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment le français !

Mais plutôt parce qu’ils sont victimes d’une discrimination systématique à l’embauche. Un travers de la société dont la CAQ ne souffle mot…

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Oui, c’est douloureux de se poser des questions sur nous-mêmes, surtout dans le contexte actuel. Et non, ce n’est pas payant sur le plan électoral de jouer là-dedans. Mais on ne peut proposer de contrat aux immigrants en faisant l’économie des débats les plus délicats.

On ne peut proposer d’ajouter de nouveaux obstacles à l’obtention de la citoyenneté sans s’occuper des obstacles déjà existants. Et on ne peut se tourner vers la répression sans avoir d’abord misé, véritablement, sur l’intégration.

« Il faut assumer les responsabilités qui viennent avec le fait d’être majoritaire, ici au Québec », résume Annick Germain, spécialiste de la sociologie urbaine et de l’immigration à l’INRS.

Le nouvel arrivant doit faire des efforts pour bien s’intégrer dans son nouveau milieu de vie, on s’entend. Mais la société d’accueil aussi.

Un pacte à sens unique n’est tout simplement pas un pacte.

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