L’argonaute de l’art
Trop jeune pour avoir signé , Edmund Alleyn (1931-2004) occupe tout de même une place de choix dans l’histoire de l’art québécois. Le Musée d’art contemporain de Montréal lui rend hommage cet été avec une rétrospective qui met en relief la polyvalence et le regard résolument actuel de cet artiste dont l’œuvre continue de s’épanouir.
Il est toujours difficile de rendre l’esprit et l’éclat d’un artiste contemporain sans sa présence. Le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) y parvient pourtant avec cette rétrospective tant attendue consacrée à Edmund Alleyn.
On doit ce tour de main à l’enthousiasme de Josée Bélisle – jusqu’à tout récemment ardente conservatrice de la collection du MAC –, au travail à titre de commissaire de Mark Lanctôt, conservateur au musée, et à la collaboration, pendant trois ans, de Jennifer Alleyn, artiste, cinéaste et fille du peintre.
Mais la fraîcheur qui se dégage de ce parcours d’une soixantaine d’œuvres d’Edmund Alleyn est intimement liée au fait que le natif de Québec a toujours été à la fois « de son temps » et avant-gardiste. Même aujourd’hui, quelque 11 années après que le cancer a brisé son élan.
« À chacune de ses périodes, Edmund Alleyn était un nouvel artiste. Comme s’il avait toujours été trentenaire ! Un surdoué se réincarnant chaque décennie… »
— Mark Lanctôt, conservateur
Ayant désobéi à son père juge qui voulait qu’il soit médecin, Edmund Alleyn est allé de l’avant et se sera totalement consacré à son art. Combinant un talent impressionnant (il faut voir ses dessins…), une soif d’intensité créatrice et une grande acuité vis-à-vis de son environnement, il avait le goût de faire siens tous les médiums. Tel l’argonaute en quête de toison d’or, cet artiste a, durant toute sa carrière, poussé ses recherches au-delà du connu, du palpable, du prévisible. Hors norme, Edmund Alleyn était un explorateur de l’art.
Influencé d’abord par Riopelle, Borduas et Lemieux, Alleyn prit ensuite son envol pour un demi-siècle de créations personnelles sans être déconnectées de sa réalité. Après l’abstraction lyrique des années 50 et début 60, il fait sienne – depuis Paris – la luxuriance de motifs colorés dans une brève et éclatante série amérindienne. L’exposition nous en montre une demi-douzaine, dont la flamboyante huile sur toile de 1963 au titre interminable (!) .
Cet artiste d’atelier très solitaire s’est ensuite appliqué à traduire la frénésie technologique de la fin des années 60. Il en ressort des toiles marquées du sceau fluorescent de l’époque électronique et qui révèlent un vocabulaire tiré de son intérêt marqué pour les sciences et une société en mutation.
Ses sculptures et installations s’attachent alors à décliner les nouvelles découvertes, tel son , un habitacle ovoïde multimédia qui permit au visiteur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en 1970, de regarder un film tout en étant isolé du monde extérieur et soumis à des vibrations et des changements de température, comme dans une capsule aéronautique.
« Il était en dialogue permanent avec le futur. Ses œuvres technologiques précèdent la réalité virtuelle et les créations immersives d’aujourd’hui. »
— Jennifer Alleyn, artiste et fille du peintre
Après cette période, Edmund Alleyn revient au Québec et y documente les transformations survenues dans la société qu’il avait quittée. Ses photos prises notamment à La Ronde l’amènent à produire sa , des œuvres hyperréalistes sur plexiglas qui dépeignent les Québécois des années 70.
Les années 80 sont marquées par un changement de cap et un retour à une certaine intériorisation, avec sa série puis . Sa carrière brutalement interrompue se termine avec ses , sorte de synthèse mélancolique de son œuvre.
« Pour moi, c’est très émouvant de voir toutes ces périodes, dit Jennifer Alleyn. Le choix de Mark Lanctôt permet de suivre le parcours de mon père et c’est seulement maintenant, avec le recul, qu’on peut commencer à faire tous les liens entre ses périodes et comprendre son empreinte. Il s’est toujours réinventé et, en même temps, a toujours cherché, comme il disait, “l’image finale, celle qui en supprime mille”. »
La rétrospective s’accompagne d’une publication explorant les grands espaces créatifs d’Edmund Alleyn. Parallèlement, le MAC présente le film , réalisé en 2008 par Jennifer Alleyn, et organisera une série de conversations en lien avec l’exposition.
La galerie montréalaise Simon Blais présente aussi une sélection d’œuvres de la série d’Edmund Alleyn jusqu’au 9 juillet. Et le Musée des beaux-arts de Montréal expose tout l’été son installation , créée entre 1973 et 1975.
au Musée d’art contemporain de Montréal (185, rue Sainte-Catherine Ouest) jusqu’au 25 septembre.