À ma manière

La femme qui planche

L’aventure : une ex-véliplanchiste olympique fabrique des planches à rame. La manière : naviguer vent contraire grâce à son expérience d’athlète.

Depuis l’âge de 6 ans, Dominique Vallée fait de la planche. Depuis l’automne dernier, elle fait aussi des planches.

L’ancienne véliplanchiste olympique a rapatrié à Trois-Rivières la fabrication des planches à rame – SUP board, ou stand-up paddleboard – que son entreprise Do Sport faisait jusqu’alors fabriquer en Chine.

Pour y parvenir, elle a ramé.

Planches à voile et à rame

La Trifluvienne de 42 ans a été membre de l’équipe canadienne de planche nautique de 1998 à 2012.

Mais la fin de sa carrière sportive ne l’a pas laissée en rade. En 2012, elle achève simultanément un bac en kinésiologie, devient entraîneuse pour les équipes nationale et provinciale de voile, écrit un livre sur son expérience d’athlète et, à temps perdu, fonde son entreprise.

Elle avait introduit la planche à rame dans son programme d’entraînement en 2007 et elle en avait depuis apprivoisé toutes les possibilités – y compris celles d’y faire du yoga et de la mise en forme (SUP fitness, dans le jargon).

En fondant Do Sport, en 2012, elle veut populariser la planche à rame, encore méconnue, notamment dans sa Mauricie natale.

« Au début, je voulais seulement acheter des planches pour donner des cours », indique-t-elle.

Mais le prix de l’objet lui fait changer de cap. « Je me suis dit : je vais essayer de faire des planches qui vont avec ce dont j’ai besoin. »

Sur la planche à dessin

Elle se penche elle-même sur la planche à dessin, en combinant les caractéristiques techniques qu’elle avait préférées durant sa longue carrière de véliplanchiste.

À l’entendre, ça n'a rien de complexe : une courbe ici, une cambrure là… « J’ai fait un mix de tout ça et je me suis lancée. »

Elle envoie les planches techniques – les plans, quoi – à une amie établie en Asie, qui déniche un fabricant local.

Les 12 planches à rame arrivent (par bateau) en 2012.

Petite déception, tout de même. Le matériau est moins rigide que prévu, son graphisme n’est pas respecté.

Néanmoins, ses cours ont du succès. L’intérêt pour la planche à rame se confirme. On lui demande où en acheter.

Pourquoi pas chez elle ?

À la recherche d’un fournisseur

Fin 2012, Dominique Vallée se rend en Asie pour rencontrer son fabricant. « J’ai compris qu’au niveau des normes de fabrication, ce n’était pas exactement ce à quoi je m’attendais. »

Pendant quelques semaines, elle visite plusieurs entreprises, dont un fabricant de planches à rames gonflables, un produit inconnu ici. Elle l’ajoute à son catalogue.

Elle trouve un nouveau manufacturier de planches rigides, qui ne se révélera pas meilleur que le précédent. Lui aussi sera remplacé.

À l’été 2015, elle réceptionne un conteneur de planches dont 70 % montrent des défauts esthétiques importants, y compris « des mouches collées ! ».

Cette fois, ça suffit. Ses planches, elle les fabriquera elle-même. « S’ils sont capables, je suis capable. »

Mieux : s’ils ne sont pas capables, elle le sera.

Du pain sur la planche

Candide ? Optimiste, plutôt. « J’ai beaucoup de défauts, mais j’ai une qualité : j’arrive à bien m’entourer. »

La Mauricie est réputée pour ses canots et kayaks. « Je suis allée chercher des gens qui sont compétents, mais aussi avec beaucoup de cœur. »

Pour l’aider à organiser la production, elle appelle des consultants, qui en connaissent finalement moins qu’elle sur la fabrication de planches à rame.

Elle s’aperçoit vite qu’elle ne peut adopter directement la recette asiatique de résine, peinture et vernis. « Ils utilisent des produits qui ne sont pas acceptés ici. »

Elle planche sur le problème. « Énormément de recherche et développement », résume-t-elle.

Elle a tout fait seule ?

« Oui. »

La persévérance ne lui fait pas défaut. « J’ai quand même été athlète en planche à voile pendant 12 ans. Les défis, j’en avais déjà eu beaucoup. »

Appel local

Il lui faut aussi un local.

La production exige un excellent système de ventilation, doublé d’un atelier de peinture avec filtration d’air.

« J’ai été très chanceuse. Un monsieur qui faisait des kayaks m’a offert de le rencontrer pour voir la possibilité de partager ses locaux. »

Elle accepte l’offre de Pierre Tessier, président de Tutjak Kayak, et à l’automne 2015, elle installe son entreprise dans ses locaux. L’athlète habituée à l’air salin hume maintenant le prégnant parfum de la résine de polyester.

Le drame de la machine

Reste encore l’équipement de production. Les planches sont fabriquées de façon quasi artisanale. Une âme de mousse de polystyrène est d’abord sculptée dans un bloc par une machine-outil numérique de 5 mètres de long. Une fois lissé, ce noyau est enveloppé de fibre de verre et de résine époxy, puis recouvert d’une couche de finition colorée en surface.

Dominique Vallée commande l’encombrante fraiseuse auprès d’une entreprise nord-américaine.

Elle doit être livrée en février 2016, à temps pour la production de l’été. Elle arrive en mai, avec trois mois de retard.

Pire, la machine tombe lors du déchargement, sous les yeux de Dominique. Le cœur lui manque. « Ça a été épouvantable. Elle n’était plus fonctionnelle. »

Adieu, veau, vache, cochon, planches…

Un de ses employés, usineur de formation, mettra quatre mois à la remettre en état.

Quelques planches sont enfin produites en août 2016, mais la saison est déjà terminée.

L’adversité, elle connaît : elle s’était fracturé un pied à la veille des Jeux de 2004. « Aujourd’hui, on connaît la machine par cœur », rigole-t-elle.

Oubliant cette saison perdue, elle s’attaque alors à la conception de la collection 2017, à laquelle, pour la première fois, elle ajoutera des planches de surf.

Mais une autre surprise l’attend. Nettement meilleure, celle-là.

Des kayaks en plus

À l’automne 2016, Pierre Tessier lui propose de prendre en main la production des kayaks Tutjak.

Elle saute à l’eau, encore une fois. En coordonnant les deux activités, elle peut assurer à ses employés un travail à temps plein, toute l’année. Ces travailleurs sont précieux, leur tâche demande habileté et minutie. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard : « En fabrication, on est plus de filles que de gars ! »

La filière athlétique

L’entrepreneure a conclu des ententes de distribution avec une vingtaine de boutiques spécialisées dans le plein air. Elle est prête à tâter le marché ontarien : deux jours après notre entretien, elle allait participer au Salon Aventure et plein air de Toronto.

Elle vend aussi des planches à rame à une quinzaine d’écoles de voile au Québec.

Et même en Espagne. « On a déjà des écoles là-bas qui ont nos planches. »

Elle a fait jouer sa filière athlétique. Une ancienne partenaire d’entraînement, originaire d’Andorre, est représentante pour les planches Do Sport sur la Costa Brava.

« On a un plan sur cinq ans, et tous les pays qu’on est en train de travailler, ce sont tous des partenaires d’entraînement que j’avais. »

Dominique Vallée sait sentir le vent.

Do Sport 3R

Fondation :  2012, incorporée depuis juillet 2015 sous le nom de Do Sport 3R

Propriétaire-fondatrice :  Dominique Vallée

L’équipe :  une dizaine de personnes

Fabrication locale :  planches à rame rigides, planches de surf, kayaks

Fabrication en Asie :  planches à rame gonflables

Distribution :  environ 20 boutiques et 15 écoles partenaires au Québec

Exportation :  Espagne

Production annuelle :  « Nous serons capables de répondre à votre question en décembre 2017 ! »

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