L’énigme du mégalodon
C’est le « prédateur cosmopolite » par excellence. Carcharocles megalodon a hanté les sept mers pendant 16 millions d’années, avant de disparaître voilà 2 millions d’années. Aucune baleine n’était trop grande pour lui échapper.
Chasseur ou charognard ?
« On présume que le mégalodon avait un comportement similaire à celui du grand requin blanc », explique Stephen Godfrey, un paléontologue du musée maritime Calvert en Virginie qui a publié plusieurs études sur le mégalodon. « Mais en fait, on sait peu de choses sur ce requin préhistorique. Il était essentiellement fait de cartilage, alors on a des dents et une colonne vertébrale retrouvée en Belgique. On est à peu près certain que ce n’est pas l’ancêtre direct du grand requin blanc, plutôt un cousin. Et on a retrouvé des traces de dents de mégalodon sur des os de différents mammifères marins. Nous avons retrouvé des traces de dents sur des queues de dauphins, ce qui indique qu’il chassait fort probablement, parce que s’il avait été uniquement un charognard, il aurait mordu le dauphin au centre de son corps. »
Taille
La taille du mégalodon, estimée à 20 m, a été calculée d’après celle de ses dents, qui atteignent 17 cm. Le rapport – une dent équivaut à un 127e du corps – est relativement constant parmi les espèces d’aujourd’hui. Le requin blanc mesure presque 6 m avec des dents de 4 cm. « C’est vraiment le prédateur par excellence », dit M. Godfrey, qui a grandi à Sherbrooke et y retourne souvent pour voir sa famille. « Seules les orques sont plus dangereuses. Elles sont plus petites, mais peuvent chasser en groupe, alors que le mégalodon était solitaire. »
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Nombre de dents que possédait le mégalodon, l’équivalent de celui du grand requin blanc
Le mégalodon en chiffres
6700
Équivalent en boîtes de thon de la consommation quotidienne de poissons du mégalodon
20 tonnes
Poids maximal du mégalodon
3,5 tonnes
Poids maximal du grand requin blanc
2 m
Taille maximale de la mâchoire du mégalodon
Sources : Musée maritime Calvert, Musée d’histoire naturelle de la Floride
Comment a-t-il disparu ?
Plusieurs hypothèses tentent d’expliquer l’extinction du mégalodon. Étant donné sa taille, l’animal avait probablement une certaine capacité d’endothermie, c’est-à-dire qu’il était capable de vivre en eau froide tout en maintenant ses organes à une température supérieure, selon Michael Gottfried, paléontologue à l’Université d’État du Michigan. « Mais sa capacité d’adaptation avait certainement des limites et son extinction coïncide avec un refroidissement des océans avec le début des ères glaciaires du quaternaire, voilà 2,6 millions d’années. »
Catalina Pimiento, paléontologue à l’Université de Swansea au pays de Galles, en est moins sûre. « Nous avons fait une analyse de toutes les dents et autres traces de mégalodons, et il ne semble pas avoir été sensible à la température de l’eau, dit Mme Pimiento. L’avènement des glaciations du quaternaire a de toute façon été accompagné de changements du niveau d’eau, de la salinité, du pH et de la composition en plancton et en proies. Je pense qu’il faut regarder là plutôt que simplement la température. »
La faute à l’isthme de Panamá ?
La fermeture de l’isthme de Panamá est souvent associée à la disparition du mégalodon. Selon une thèse souvent citée, la consolidation de cette bande de terres entre la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique, il y a un peu moins de 3 millions d’années, a changé la circulation océanique et provoqué les glaciations du quaternaire. Mais depuis quelques années, de nouvelles analyses de sédiments marins et de l’évolution d’une espèce de fourmi ont amené plusieurs équipes de paléontologues à estimer la fermeture de l’isthme de Panamá à 10 millions d’années. « Je pense que ça montre bien que la disparition du mégalodon est bien plus compliquée qu’une question de température d’eau », dit Mme Pimiento.
Apparition de prédateurs…
Une autre possibilité pour expliquer la disparition du mégalodon est l’apparition du grand requin blanc et de l’orque. « Ils ont peut-être commencé à chasser les petits mégalodons, qui jusqu’alors n’avaient pas de prédateurs, dit Stephen Godfrey. L’orque, puisqu’elle chasse en groupe, s’est peut-être même attaquée au mégalodon adulte. » Au cœur de cette hypothèse est l’existence de pouponnières de mégalodons. Il s’agit d’endroits où les requins se retrouvent avec leurs petits pour se protéger des prédateurs. Catalina Pimiento a décrit en 2010 la seule pouponnière connue du mégalodon, au Panamá. Mais Stephen Godfrey estime que Mme Pimiento se basait sur un nombre trop réduit de fossiles et que le mégalodon n’avait pas de pouponnières, ce qui l’a rendu plus vulnérable aux grands requins blancs et aux orques.
Ou migrations de baleines ?
La dernière hypothèse quant à l’extinction du mégalodon est la modification des habitudes des grandes baleines. « Elles sont devenues plus grandes, avec une capacité de faire des migrations très grandes pour la reproduction, à peu près au moment de la disparition du mégalodon », explique Michael Gottfried de l’Université d’État du Michigan, qui était le prédécesseur de M. Godfrey au musée maritime Calvert et y a aménagé l’une des quelques reproductions de squelette de mégalodon du monde. « Il se peut que le mégalodon ne soit pas parvenu à abandonner son habitat côtier pour suivre ses proies. »
Les leçons du mégalodon
Pourquoi étudier le mégalodon ? « Plusieurs études montrent que plus un prédateur est grand, plus sa disparition perturbe un écosystème, dit Catalina Pimiento. On voit actuellement une chute importante du nombre de grands requins prédateurs. Ça fait augmenter le nombre de prédateurs plus petits, notamment les raies, et certaines espèces plus basses dans la chaîne alimentaire, notamment les crustacés, périclitent. Je m’intéresse au rôle du mégalodon dans son écosystème préhistorique. »