Ça se règle !

Pour en finir avec l’inégal partage des tâches

Un article publié cette semaine sur l’inégal partage des tâches a fait bondir bien des lecteurs. Se pourrait-il qu’on sous-estime encore l’apport des gars ? Visiblement, plusieurs en ont assez de se faire juger. « Ça se règle ! » se penche sur la question, beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît.

Nous sommes encore bien loin d’un partage équitable des tâches, concluait cette semaine une étude, publiée par l’IRIS. S’inspirant des données de Statistique Canada, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques lançait cette bombe : en 2014, les femmes consacrent encore chaque jour 1 h 30 de plus que les hommes aux tâches dites « domestiques ». Vlan.

Il n’en fallait pas plus pour susciter bon nombre de réactions sur une question visiblement archisensible : « Qu’en est-il des tâches non planifiées, changement d’huile, d’une prise défectueuse, refaire le scellant autour du bain ? », « Les femmes oublient souvent que ces tâches sont aussi à effectuer ! », « Pourquoi diable les femmes célibataires consacrent-elles plus de temps à ces tâches que les hommes célibataires ? » Les questions ont fusé de toutes parts.

D’abord, une précision : les tâches que sont le jardinage, l’entretien extérieur de la maison et autres menus travaux (stéréo)typiquement faits par les hommes sont effectivement comprises dans le calcul. « C’est inclus dans ce que Statistique Canada qualifie de tâche domestique, et cela fait partie d’une grande catégorie : le travail non rémunéré dans le ménage », précise la coauteure de l’étude de l’IRIS, Julia Posca. Non, donc, le temps passé à sortir les poubelles, changer une ampoule ou pelleter l’entrée n’est pas ignoré, mais bien ici comptabilisé.

« Ce qui est intéressant, c’est que cela montre que quand on parle de ce qui se passe dans le domaine du privé, on éveille bien des sensibilités. »

— Julia Posca, chercheuse à l’IRIS

Pourquoi les hommes ont-ils l’impression que leur apport est ainsi sous-estimé ? « Parce qu’on a une vision très stéréotypée de ce qu’est une tâche domestique, répond la chercheuse. On associe tâche domestique à tâche des femmes ! »

QUESTION DE SOCIALISATION

Le directeur du Regroupement pour la valorisation de la paternité, Raymond Villeneuve, croit pour sa part que si les hommes ont ainsi l’impression qu’on sous-valorise leur contribution, c’est en prime parce que, éducation et socialisation obligent, personne n’a les mêmes « normes » en matière de tâches.

« Prenez un samedi et laissez un père seul avec ses enfants, et une mère seule avec ses enfants. Vraisemblablement, les deux journées seront très différentes : le père risque d’avoir plus d’activités au programme, la mère, plus de tâches. »

À noter, ajoute Raymond Villeneuve, que même entre eux, les hommes n’ont pas les mêmes « normes ». Et les femmes non plus, d’ailleurs. D’où la complexité de comparer ce que font les uns et les autres, dans des enquêtes par ailleurs toujours éminemment subjectives, dit-il. Êtes-vous capables de dire objectivement le nombre de minutes passées exclusivement à faire à manger, vous, ou cumulez-vous le souper, les devoirs, etc. ?

Morale ? Au lieu de nous prendre la tête avec ces chiffres, conclut-il, concentrons-nous sur la « tendance lourde ». « Et là, à cet égard, on voit que les écarts entre les hommes et les femmes se rétrécissent. Les choses bougent. Elles évoluent. »

Parce que, soyons francs : ce qui heurte le plus les gars, ce sont les raccourcis.

« Ce qui heurte, c’est le discours public qui nous fait croire que les choses n’ont pas bougé en 40 ans. Si nos efforts ne sont pas reconnus, oui, c’est un peu frustrant. »

— Raymond Villeneuve, directeur du Regroupement pour la valorisation de la paternité

Autre conseil ? Parlez-vous. Dans votre couple, précise Raymond Villeneuve. « Souvent, les gens ont de la misère à reconnaître les contributions de l’autre. C’est aussi une force, être différent. Mais c’est souvent tellement émotif… »

UNE QUESTION DE POUVOIR

Pour cause : la question de nourrir les enfants, choisir les vêtements, en est aussi une de « pouvoir », croit-il. « Ça nous prend aux tripes. C’est beaucoup plus une question de pouvoir que de partage des tâches. Et il y a plein d’enjeux sous-jacents. » Car, évidemment, il est beaucoup plus délicat de partager du pouvoir que de partager une simple tâche…

Le sociologue Simon Louis Lajeunesse ajoute qu’il entend souvent à cet égard les gars avouer avoir abandonné. Parce que dès qu’ils essaient de mettre la main à la pâte, « c’est jamais correct. Changer les couches, plier les serviettes, on se fait tout le temps reprocher de ne pas le faire comme il faut ».

Une idée, comme ça ? Pourquoi ne pas arrêter, pendant un mois, de faire la moindre « tâche », mesdames ? Finis les repas, la vaisselle, le linge.

Le sociologue vous met au défi. « Ne faites plus rien, mesdames. On pourrait avoir certaines surprises. Probablement que les gars en feraient plus… »

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