Amour et science

Speed dating scientifique

L’attirance qu’on éprouve pour un inconnu obéit-elle à une science ? Peut-on se fier à nos sens pour trouver l’âme sœur ? Par un samedi soir glacial de janvier, 15 filles et 15 gars se sont livrés à une série d’expériences à caractère scientifique pour le savoir. La Presse y était. Compte rendu.

19 H 30 : DÉPART

« Présentez-vous à la porte du quai de chargement. Heure : 19 h 30 tapantes. »

Les instructions étaient claires. Et à l’heure convenue, 15 gars se glissent par la porte de service dans un ancien bâtiment industriel du Mile Ex.

Au même moment, 15 filles pénètrent par l’entrée principale du même bâtiment sans croiser la moindre présence masculine.

Les participants sont accueillis par des gens vêtus de blouses de laboratoire. Les filles sont guidées dans un loft résidentiel aux lumières tamisées. On leur bande les yeux. Puis, les gars, les yeux bandés eux aussi, entrent dans le loft sur la musique de 69 Love Songs, des Magnetic Fields.

« Ça prend du courage pour faire ce que vous faites. Merci d’être là », lance Amy Chartrand, l’une des deux instigatrices de la soirée avec sa complice Leigh Kotsilidis.

Les cobayes, des célibataires de 25 à 40 ans, sont ici sous un pseudonyme pour participer à une expérience sur le désir. Pour l’instant, Frodon ignore qu’il sera bientôt profondément remué par les caresses d’une inconnue plongeant les mains dans les siennes. Blanc-Bleu ne sait pas qu’elle subjuguera tous les gars du seul son de sa voix. Et Matondo et Plato ignorent qu’ils s’apprêtent à se jeter dans les bras l’un de l’autre et auront bien du mal à s’en extirper.

20 H : ÉCOUTER

La soirée s’articule autour des cinq sens. Premier à l’horaire : l’ouïe. Sur des chaises qui se font face, les yeux toujours bandés, les gars et les filles se récitent l’alphabet. Puis, ils votent pour dire si la voix a su les charmer. Certains s’en tiennent aux instructions. D’autres profitent d’une présence à leur côté pour échanger quelques mots ou tenter une blague.

« La personnalité transparaît tellement à travers la voix ! Les filles sérieuses qui récitaient comme des élèves… je n’étais pas très attiré, confiera plus tard Matt. D’autres riaient, étaient plus vives… ça, j’ai aimé. »

20 H 45 : TOUCHER

Les participants, qui ne voient toujours rien, ont maintenant 30 secondes pour laisser leurs mains se découvrir.

« Pas plus haut que le poignet ! », avertit Amy.

Les mains se flattent, les doigts s’entrecroisent. Les réactions sont explosives.

« Ça m’a presque fait peur. Sensuellement parlant, ça suscitait des émotions très fortes. C’était… sexuel, carrément. »

— Blanc-bleu, une participante

Pour certaines, c’est tout simplement trop.

« Je pensais qu’on se tiendrait seulement les mains. Mais les gars pressaient mes mains, mettaient les doigts entre les miens… J’essayais de me dire : "C’est juste les mains", mais c’était trop intime, trop sexuel. Je mettais des barrières », dira une petite brune surnommée Lydia Rose.

Frodon, lui, était encore électrisé plusieurs minutes après l’expérience.

« La deuxième fille… C’était un feeling incomparable », dit-il, demandant s’il pourra plus tard retrouver l’inconnue.

21 H 15 : SENTIR ET GOÛTER

Chaque participant a apporté un t-shirt. « Dormez avec, portez-le toute la journée. Plus l’odeur sera forte, plus l’expérience fonctionnera », spécifiaient les consignes.

Les gars et les filles, maintenant séparés, plongent le nez dans des sacs contenant les t-shirts du sexe opposé.

« Les gars ont lavé leurs t-shirts. La plupart ne sentent rien. »

— Matondo, une participante

À côté, une participante nommée Ada Lovelace fait la grimace. « Celui-là est vraiment dégueulasse. »

De l’autre côté, Don Chipotle, l’air intoxiqué, s’enivre d’un t-shirt féminin dont il renifle le parfum encore et encore.

Pour explorer le goût, les participants ont apporté un aliment à présenter en « offrande » à l’autre sexe. Les filles ont amené autant des pommes et des radis que des boulettes de viande et de la réglisse. Il y a même des branches de céleri recouvertes de beurre d’arachide et de raisins secs.

De l’autre côté, les gars ont massivement misé sur le chocolat. On trouve aussi des graines de tournesol, des bleuets… et une assiette de bacon.

« Je n’aime pas les chips et je n’aime pas les gens qui aiment les chips », tranche Matt en remplissant sa feuille de vote.

22 H : VOIR

Les participants s’écoutent, se frôlent et se sentent depuis maintenant deux heures, mais ne se sont toujours pas vus. Pour plusieurs, le moment de vérité a sonné.

« Évidemment que je suis nerveux ! », lance impatiemment Collins à La Presse, qui s’enquiert de son état.

Dans le loft, les gars ont formé un cercle. Les filles entrent. Chacune se positionne devant un participant. Pendant 15 secondes, les couples se regardent dans les yeux. Puis, les filles bougent d’une place pour faire face à un nouveau gars.

Les regards se rencontrent et s’esquivent. Certains tentent le charme, mais plusieurs visages expriment le malaise. De petits rires gênés éclatent.

« Là, je me suis vraiment sentie sanctionnée », confie Matondo.

À la fin de l’expérience, Malachi Constar, longue barbe rousse et lunettes, reste longtemps immobile.

« Man… je suis en état de choc. »

— Malachi Constar, participant

« Ça demande beaucoup d’énergie émotionnelle, tente-t-il ensuite d’expliquer. Tu essaies d’aller là-dedans en projetant de l’ouverture, et tu espères en recevoir en retour. Des fois, ça marche. D’autres, non. »

22 H 30 : L’HEURE DE VÉRITÉ

Les expériences sont terminées. La DJ monte le volume, un bar est installé. Les participants forment de petits groupes. Certains flirtent ouvertement.

À l’extérieur, Amy et Leigh s’attaquent à un travail de moine : compiler le nombre de votes accordés par chacun des gars pour chacune des filles, et vice-versa.

Après une heure de labeur, elles présentent les résultats sur deux immenses cartons.

« Est-ce que vos sens vous ont guidés vers des gens avec qui vous connectez ? C’est le moment de le savoir », lance Leigh.

« Exactement 2250 données distinctes sont représentées sur ces tableaux, ajoute Amy. S’il y en a qui doutent encore que ceci est de la science… À ce point-ci, on se retire de nos rôles de scientifiques. Ces données sont pour vous. »

Dans un coin, Oscar et Blanc-Bleu discutent seul à seule depuis un moment.

« Oscar… Tu m’as donné cinq sur cinq ! »

— Blanc-Bleu, en consultant le tableau de résultats

« Et toi, tu m’as coché… deux fois », dit Oscar en plissant les yeux.

Une longue discussion s’engage.

« C’est un indicateur intéressant, finit par conclure Oscar. Son odeur et sa voix m’ont plu, sa bouffe aussi, et quand on s’est regardés, j’ai aimé ça. Mais ce sont des choses isolées. Ce qui m’intéresse, maintenant, c’est comment ça se traduit… dans l’ensemble de la personne. »

Autour, les discussions similaires vont bon train. Au moment où La Presse quitte les lieux, vers minuit et demi, un seul participant avait quitté la soirée. Selon nos sources, les derniers participants sont partis à cinq heures du matin. Et des informateurs confirment que tous n’ont pas fini sagement la nuit dans leur propre lit.

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