Chronique

Payer les femmes, c’est payant

Price Waterhouse Cooper, la grande boîte de comptables et de conseillers en gestion, a une idée révolutionnaire pour augmenter le PIB canadien de 92 milliards – oui, milliards – de dollars.

Baisser les impôts ?

Alléger la réglementation dans plusieurs secteurs-clés de l’économie ?

Plonger tête première dans le gaz de schiste ?

Ouvrir le commerce transfrontalier de façon débridée avec l’Asie au grand complet ?

Non.

PwC a une idée bien plus flyée : combler le fossé salarial qui sépare les femmes et les hommes.

Dans son étude Women in Work publiée plus tôt cette semaine, les analystes de PwC ont comparé des données de tous les pays de l’OCDE et ont calculé le prix de l’inégalité des revenus entre hommes et femmes pour toute la société canadienne, et les résultats sont sans équivoque : il n’est pas payant de ne pas payer les femmes. On se prive de richesse.

Actuellement, les Canadiennes gagnent seulement 81 $ pour chaque tranche de 100 $ gagnée par les hommes. Ce qui n’est pas terrible, même plutôt étonnamment bas et même plus bas que la moyenne de 83 $ des pays de l’OCDE.

Et si les femmes étaient payées la même chose, cela injecterait une somme considérable d’argent prêt à circuler dans notre société. L’inégalité plombe le dynamisme de notre économie.

« L’égalité et la diversité sont des éléments positifs pour la performance des entreprises, ce n’est pas nouveau, ç’a été démontré par de nombreuses études », explique Stéphanie Leblanc, associée spécialiste des transactions au bureau montréalais de PwC. « Il faut réduire l’écart. »

Et cela n’a donc absolument rien à voir avec de la charité.

Certaines recherches parlent carrément de performances moindres de 53 % pour les entreprises qui ne prisent pas l’égalité, note Mme Leblanc. En revanche, les entreprises qui permettent aux femmes d’exploiter leur potentiel en profitent. Elles aident notamment les sociétés financières à faire de meilleurs investissements, explique Mme Leblanc. « Ce n’est pas parce qu’elles sont plus prudentes, dit-elle, c’est leur sérieux, leur discipline, leurs sélections méticuleuses de titres qui font la différence. »

Est-ce ainsi que les femmes apportent tant aux entreprises en particulier et à l’économie en général ?

Leur apport s’explique sur deux grands axes, précise Mme Leblanc. Il y a d’abord la valeur de ce qu’elles expriment, et c’est souvent différent, que ce soit le style de gestion, le type d’analyse des données ou de lecture des faits. Mais il y a aussi la dynamique créée par la diversité qui est une richesse en soi. Les concepts nouveaux et inédits, les solutions originales jaillissent plus facilement du choc des idées et des contrastes. L’interaction est elle-même une plus-value.

Et comment doit-on faire pour solutionner l’inégalité ?

D’abord, il faut que les entreprises réfléchissent sérieusement à ces questions, qu’elles se fixent des objectifs et fassent ensuite le suivi.

Ensuite, il faut qu’elles se mettent à embaucher plus de femmes qui seront bien payées et qui auront des promotions ! Tout ça va ensemble.

C’est en embauchant plus de femmes au départ, explique Mme Leblanc, qu’on a de meilleures chances de donner des promotions à des femmes, puisque le bassin est plus grand. Et comme les gestionnaires ont tendance naturellement à recruter des gens qui leur ressemblent, la diversité nourrit la diversité.

Et si on permet aux femmes de grimper les échelons, on aide aussi à combler la différence de revenus.

Mais tout cela ne se fait pas sans rien changer d’autre. Il faut aussi créer des environnements positifs et mettre en place des mesures de soutien. (Ici, je fais une pause pour dire que j’ai l’impression d’entendre Françoise David en conférence de presse en 1988, mais non, c’est Price Waterhouse en 2016 !)

Donc, on disait, il faut un cadre qui aide les femmes à se réaliser et ainsi assurer la pleine productivité de l’entreprise. Et là, on ne parle pas juste de garderies et de flexibilité d’horaires pour les jeunes mamans. En fait, de telles mesures devraient être vues comme s’adressant à tout le monde, jeunes pères compris.

Les mesures de soutien sont celles qui permettent aux femmes d’être authentiques, de ne pas avoir peur d’être elles-mêmes et de ne pas avoir peur des autres.

Les mesures de soutien, ce sont celles, notamment, qui débarrassent les milieux de travail de la culture Mad Men, qui relèguent aux oubliettes cet état d’esprit trop longtemps toléré où les Marcel Aubut et Donald Trump de ce monde ont pu se balader.

Les mesures de soutien permettent aux femmes d’acquérir des savoirs et des talents non traditionnels, de faire éclater les schèmes trop prévisibles. « On pense par exemple à un groupe de femmes qui aident d’autres femmes à faire du développement d’affaires », dit Mme Leblanc. Il faut s’attaquer aux mythes et à la réalité.

Bref, les mesures de soutien permettent aux femmes de prendre la responsabilité de leur progrès et de la réalisation de leur potentiel. Et elles leur permettent de nommer ces freins anachroniques, inutiles, ou arbitraires qui les bloquent, souvent sans que leurs collègues masculins le réalisent. « Personne ne peut deviner ce qui se passe dans notre tête, donc il faut s’exprimer, mais les entreprises doivent créer des milieux de travail où on peut parler. »

Et tout ça, précise Mme Leblanc, est juste essentiel pour le développement des entreprises en 2016. « C’est bon pour l’innovation, pour la croissance. C’est essentiel pour le monde des affaires. »

Quelques chiffres du rapport de Price Waterhouse Cooper

Écart entre la participation des hommes et des femmes au marché du travail : 7 %

Moyenne de l’OCDE : 12 %

Note : L’écart entre la participation des hommes et des femmes s’est réduit depuis 2000, mais il est resté stable entre 2013 et 2014

Taux de chômage des femmes : 6 %

Moyenne de l’OCDE : 9 %

Note : En moyenne, le taux de chômage des femmes est demeuré relativement constant, quoiqu’on enregistre une légère baisse depuis 2000

Taux d’emploi à temps plein : 73 %

Moyenne de l’OCDE : 75 %

Note : Le pourcentage de travailleuses à temps plein est inchangé depuis 2000

Présence de femmes dans les conseils d’administration : 19 %

14e sur 33

Note : Le Canada accuse un retard de 11 % par rapport à l’objectif du gouvernement fédéral, qui est une représentation de 30 % d’ici 2019

Fossé salarial entre les hommes et les femmes : 19 %

Moyenne de l’OCDE : 17 %

Le Canada a réduit son fossé salarial, qui est passé de 24 % en 2000 à 19 % en 2013. Il est demeuré à 19 % en 2014.

Note : le Canada se classe au 25e rang sur 33 pays

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