VAL-D’OR — « Chez nous, c’est froid et glacé. C’est logique qu’on adore le hockey. »
Le hockey, beaucoup d’autochtones l’ont dans le sang. Plus que ça, ils en sont complètement fous. Ça, et le ballon-balai, pourtant pratiquement disparu des patinoires du Québec.
Dans certaines communautés, la moitié de la population pratique l’un ou l’autre de ces sports. Pas étonnant, alors, qu’un des plus gros tournois annuels de la province soit organisé par les Cris.
Nous sommes à Val-d’Or. Comme chaque année, le premier week-end de décembre, la ville est prise d’assaut par des milliers de membres des Premières Nations qui convergent vers les hôtels, les commerces et, surtout, les patinoires. En tout, quelque 1300 joueurs adultes, dont certains de très haut niveau, s’affrontent durant quatre jours.
« C’est le plus gros rassemblement autochtone de la province. »
— Charles J. Hester, un Cri de Waskaganish, sur la Baie-James, qui organise l’événement
« Il y a des équipes qui viennent de partout au Québec et même de l’Ontario et du Grand Nord. Des Cris, bien sûr, mais aussi des Montagnais, des Attikameks, des Algonquins, même des Inuits. C’est un peu le nouveau pow-wow. »
Nous le rencontrons en plein tournoi dans les gradins du Centre Air Creebec. L’aréna sert généralement aux Foreurs, de la Ligue de hockey junior majeur du Québec. « On arrive à le remplir », claironne M. Hester.
Depuis des siècles, explique-t-il, les autochtones des différentes nations se donnent rendez-vous pour faire du troc, célébrer des mariages, danser et s’affronter dans des concours d’adresse. « On ne vit plus comme ça aujourd’hui. Les tournois de hockey ont un peu remplacé ces événements. »
Chez les Cris, la force physique a toujours été célébrée, raconte Bertie Wapachee, de la communauté de Chisasibi. L’homme passe la fin de semaine emmitouflé dans son manteau à siroter du café près de la glace pour encourager sa femme et sa fille, qui jouent toutes les deux dans des équipes de ballon-balai – ballon sur glace de son nom officiel.
« Historiquement, on a toujours fait des compétitions. Celui qui lève la plus grosse bûche. Celui qui lance la roche le plus loin. » C’est entre autres pour ça, croit-il, que son peuple a développé une telle passion pour le hockey.
Une passion issue, pour plusieurs, de l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire autochtone au Canada : les pensionnats.
Allan Saganash est lui aussi venu comme spectateur. À 67 ans, il a trop mal au dos pour enfiler ses patins. « Ça me manque », admet-il.
L’homme a été un des premiers à amener le hockey dans sa communauté de Waswanipi, près de Chibougamau, à sa sortie du pensionnat de Sault Ste. Marie à la fin des années 60.
« Les chasseurs me regardaient patiner sur le lac et ils trouvaient que ça avait l’air facile. Je leur prêtais mes patins, et ils voyaient bien que ce n’était pas le cas », raconte-t-il, appuyé sur une rambarde, les yeux rivés sur la partie qui se déroule plus bas.
Chez lui comme ailleurs, le sport a enflammé les esprits.
Pour le tournoi, Waswanipi un village de moins de 2000 habitants, a neuf équipes sur la glace dans les différentes catégories. Son équipe élite, les Chiefs, est l’une des grandes puissances.
Comme d’autres formations, elle a loué les services d’un gardien de but « blanc » à Montréal pour améliorer ses chances de victoire. Les gardiens de haut niveau sont une denrée rare dans plusieurs communautés autochtones. « On a droit à deux joueurs “étrangers” », nous explique le capitaine, Joshua Blacksmith.
C’est toutefois la petite communauté algonquine de Lac-Simon, grande rivale de Waswanipi, qui a la plus forte présence : 14 équipes de hockey et de ballon sur glace pour une population de 1300 personnes.
« Nous et Waswanipi, c’est comme Canadien-Bruins », rigole Lucien Wabanonik, membre du conseil de bande… et des Old Bucks de Lac-Simon, dans la ligue des Old Timers.
Si Lac-Simon est surtout connu pour ses problèmes de surpopulation, les allégations par certaines femmes de mauvais traitements par des policiers de la Sureté du Québec et la mort d’un policier lors d’une intervention qui a mal tourné en 2016, c’est aussi un village passionné des sports de glace. Quiconque y est déjà allé aura remarqué que presque chaque maison affiche haut et fort les couleurs d’une équipe de la LNH, rarement la même d’une porte à l’autre.
« Pratiquement la moitié des gens jouent dans une équipe », dit Lucien, qui confie que l’un des plus grands rêves de ses concitoyens, c’est d’avoir un jour un aréna.
Dans une réserve où il manque 300 maisons, le rêve est loin de la réalité.
***
Samedi, 9 h. Derrière le banc des Axemen de Nemaska, Jackson Jolly est le porteur d’eau. Jeune, il avait du talent. Beaucoup. « J’étais sérieux. Je m’entraînais fort », dit-il.
À 20 ans, il a été victime d’un accident de la route. Les médecins ont prédit qu’il ne remarcherait plus. « J’ai perdu ma carrière », raconte l’homme de 42 ans.
Après des mois de physiothérapie, il a défié les pronostics. Dix ans plus tard, il rechaussait les patins. « Je désirais un miracle et je l’ai eu. »
Son histoire en a fait une sorte de héros. Charles J. Hester, l’organisateur, se souvient d’avoir été étonné par les cris de la foule lorsque Jackson Jolly sautait sur la patinoire lors de tournois précédents. « J’ai demandé : “C’est qui, ce gars ?” C’est là qu’on m’a raconté son histoire. Il est vraiment populaire. »
M. Jolly n’est pas le seul à animer la foule.
Sur la glace adjacente à la patinoire principale, où un âpre match de ballon-balai se joue, les partisans sont au bord de l’hystérie.
Celles qui provoquent autant de réactions, ce sont les Ice Stars de Wemindji, rien de moins que les championnes du monde (vous avez bien lu) de ballon sur glace à la Coupe Challenge des Mondiaux 2016 à Regina.
« On est tellement fiers. Pour nous, le ballon, c’est aussi gros que le hockey », lâche entre deux hurlements de joie Philip Visitor, papa de trois filles dans l’équipe.
Après la partie, gagnée, les joueuses ne cachent pas leur satisfaction dans le vestiaire. « Les gens savent qui on est maintenant », confie la gardienne de but Elizabeth Shashaweskum.
« En 2016, c’était notre première expérience aux Mondiaux. On ne savait pas à quoi s’attendre et on a gagné », dit-elle, encore un peu surprise, tous ces mois plus tard.
Certaines des filles jouent ensemble depuis la fondation des Ice Stars en 2003. Beaucoup ne vivent pas dans leur communauté de Wemindji, près de Radisson. Pour elles, le tournoi de Val-d’Or est la seule occasion de se retrouver. « C’est autant physique que social », note Elizabeth.
De retour sur la glace principale, c’est au tour de l’équipe inuite venue du village nordique d’Inukjuak de se mesurer. Contre les joueurs cris de l’équipe adverse, des mastodontes, les Inuits ont l’air d’enfants. « Wow ! ils sont vite », commentent des joueurs qui attendent leur tour près de la baie vitrée pendant que les athlètes du Grand Nord se faufilent jusqu’au but.
Sur les 13 membres de l’équipe, neuf sont passés par le défunt programme de l’ancien hockeyeur professionnel Joé Juneau au Nunavik. Les joueurs ont payé 22 000 $, amassés à coups de collectes de fonds, pour participer au tournoi. Ils ont dû prendre l’avion jusqu’à Montréal pour ensuite remonter à Val-d’Or.
Mais ils tenaient absolument à y être. « Je voulais que les gars vivent cette expérience. Chez nous, on joue toujours contre les mêmes équipes. Je voulais qu’ils se mesurent à d’autres équipes. Qu’ils rencontrent des gens. Qu’ils vivent quelque chose de nouveau », dit le capitaine, Conlucy Kutchak.
Un désir qui résume bien l’esprit du tournoi.
« C’est une des meilleures façons de se guérir. De se guérir par le sport. D’encourager nos enfants à se maintenir en santé physiquement, psychologiquement et spirituellement », dira à la foule la chef de Lac-Simon, Adrienne Jérôme, lors de la cérémonie d’ouverture de l’événement. « Une occasion de s’unir. De cohabiter. De former une seule nation. »
Quelques secondes plus tard, son fils Hakim sautera sur la glace dans l’uniforme des Beavers de Lac-Simon sous les cris des membres de sa communauté venus par centaines pour un classique aussi intense qu’attendu : Waswanipi contre Lac-Simon.
Les Algonquins repartiront bredouilles… jusqu’à l’année prochaine.