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Les autorités échappent leur suspect

Jonathan Bettez, seul suspect dans l’affaire Cédrika Provencher, a été acquitté hier de possession de pornographie juvénile

Jonathan Bettez, le seul suspect de la police dans le dossier Cédrika Provencher, a été acquitté, hier, des accusations de possession de pornographie juvénile qui pesaient sur lui dans un revers majeur pour les autorités.

La justice a qualifié l’enquête policière qui a mené à ces procédures d’« opération de pêche » qui violait les droits fondamentaux du jeune homme d’affaires de Trois-Rivières.

La police a utilisé des raccourcis illégaux et n’avait pas d’indices suffisants pour fouiller dans les ordinateurs de M. Bettez, a déterminé le juge Jacques Lacoursière, de la Cour du Québec. Les appareils ne contenaient pas directement ce type de fichiers, mais la Couronne croyait pouvoir convaincre la justice que les appareils avaient laissé des traces informatiques incriminantes.

« Admettre les éléments de preuve en l’espèce équivaudrait à lancer le message voulant que la fin justifie toujours les moyens », a écrit le magistrat, ajoutant qu’il était difficile d’imaginer une fouille « plus envahissante » que celle d’un ordinateur privé.

En écartant les éléments de preuve amassés par la police, le juge Lacoursière vidait le dossier de la poursuite. Suite logique : il a immédiatement acquitté M. Bettez.

L’avocat de l’accusé, qui avait demandé l’exclusion de la preuve, s’est dit satisfait de la décision. La Couronne, pour sa part, a évoqué la possibilité de porter la décision en appel.

Tentative de la dernière chance

Fin 2015, la Sûreté du Québec (SQ) est persuadée que Jonathan Bettez est celui qui a kidnappé et tué Cédrika Provencher, huit ans après la disparition de la fillette.

Seul problème : les enquêteurs n’ont pas l’ombre d’une preuve directe, selon les 800 pages de documents judiciaires libérés l’été dernier. Malgré une campagne intense de traque, d’infiltration et même de provocation, M. Bettez ne s’est jamais incriminé. La police était pourtant allée jusqu’à organiser une vaste supercherie – un faux concours « gagné » par Bettez – pour le pousser à se rapprocher d’un agent double, en plus d’installer des caméras dans les domiciles de tout son réseau social. En vain.

C’est lors d’une réunion d’équipe de la police qu’une idée émerge : « Je me suis dit que c’était une bonne idée d’essayer de voir, dans le cadre d’une enquête, si M. Bettez… si on pouvait l’enquêter aussi en pornographie juvénile », a ensuite relaté une policière devant la justice. Si Jonathan Bettez avait enlevé une enfant, c’est probablement parce qu’il avait une déviance, attirance qui pourrait l’avoir poussé à consulter de telles images, pensaient les policiers, qui approuvent l’idée. Un tout nouveau pan d’enquête est ouvert.

On décide donc d’envoyer une demande urgente – sans mandat – à Facebook afin d’obtenir les adresse IP des connexions utilisées par Jonathan Bettez. Ces codes – une sorte d’empreinte digitale électronique – permettraient peut-être de trouver des preuves de comportement criminel de la part de M. Bettez.

C’est le cas : une adresse IP liée au compte internet de l’entreprise familiale Entreprise Bettez « est reliée au téléchargement de pornographie juvénile » en 2010-2011.

Après une dernière tentative afin de le coincer pour le meurtre de Cédrika Provencher, la police se rabat sur les accusations de possession de pornographie juvénile et arrête Jonathan Bettez fin août 2016.

« De vagues hypothèses »

Or, la police ne pouvait pas se baser sur « de vagues hypothèses, voire une simple intuition » pour demander à Facebook de lui fournir sans mandat les adresses IP de Jonathan Bettez, a décidé le juge Lacoursière hier. « Entre 2007 et 2015, les policiers ne disposaient d’aucun élément de preuve démontrant que le requérant aurait possédé, distribué ou accédé à de la pornographie juvénile. » Les policiers devaient avoir des «  motifs raisonnables de croire  » que l’infraction avait été commise pour procéder ainsi.

Plus encore, la demande faite à Facebook n’était pas urgente, contrairement à ce qu’ont affirmé les policiers à l’entreprise. 

La découverte des ossements de Cédrika Provencher le jour même de la demande « n’a strictement aucun rapport avec l’enquête portant sur des activités de pornographie juvénile », a écrit le magistrat.

Le juge Lacoursière reproche aussi à la SQ d’avoir obtenu un mandat général (plus facile à obtenir) plutôt qu’un mandat de perquisition (plus difficile à obtenir) afin de fouiller dans les ordinateurs de M. Bettez après son arrestation.

« La violation » des droits fondamentaux de l’accusé « est grave », peut-on lire dans la décision de 19 pages, qui évoque « une erreur flagrante ».

Résultat : toute la preuve obtenue par la police doit être écartée, puisqu’elle découle de cette première demande fautive.

Flanqué de son client demeuré stoïque malgré la victoire, le criminaliste Marc-Antoine Carette s’est félicité de cette décision. «  Heureusement, le juge Lacoursière a prononcé l’acquittement de M. Bettez », a souligné l’avocat.

Le procureur de la Couronne au dossier, Me Jean-Marc Poirier, n’était pas du même avis. «  Le juge va prendre le soin de rendre une décision étoffée et motivée qu’on va prendre le soin, de notre côté, d’analyser pour voir s’il y aura une suite au dossier. Une suite qui pourrait être un appel, par exemple », a-t-il dit.

Le fil des événements

31 JUILLET 2007

Cédrika Provencher, 9 ans, disparaît. Elle est vue pour la dernière fois au coin d’une rue, tout près de chez elle à Trois-Rivières. Elle ne laisse derrière elle que son vélo.

AUTOMNE 2007

Jonathan Bettez apparaît sur l’écran radar des policiers. Il est à l’époque le propriétaire de l’une des 258 Acura TSX 2004 de couleur rouge au Québec. La SQ s’intéresse aux propriétaires de ce type de véhicule, dont une description a été donnée par un témoin. Bettez n’a pas d’alibi.

SEPTEMBRE 2007

Moins de deux mois après la disparition, la police commence à mener des opérations de filature visant Bettez. Diverses opérations de surveillance physique seront effectuées au cours des 10 prochaines années.

2 JUIN 2009

La SQ lance une vaste opération d’infiltration dans la vie de Jonathan Bettez. On l’attire dans un scénario monté de toutes pièces grâce à un faux concours qui lui fait gagner un voyage de golf à Mont-Tremblant. Les autres gagnants sont des policiers. L’opération d’infiltration durera 13 mois et comptera 25 scénarios.

DÉCEMBRE 2015

Des ossements appartenant à Cédrika Provencher sont retrouvés dans un secteur boisé de Trois-Rivières. Les policiers préparent une remise publique et médiatique des ossements à la famille. Il s’agit d’une stratégie de provocation dans le but de faire parler le suspect, toujours surveillé.

2016

La police obtient le droit d’installer des caméras dans les maisons de proches et de membres de la famille du suspect, en plus d’écouter leurs conversations. Le but : capter des propos incriminants.

AOÛT 2016

Jonathan Bettez est arrêté et accusé de possession de pornographie juvénile pour des faits survenus de 2009 à 2013. Les chefs d’accusation n’ont rien à voir avec l’affaire Cédrika. Lors de son arrestation, il refuse alors de se soumettre au test du polygraphe, test qu’il a déjà refusé de passer à quatre reprises depuis la disparition de l’enfant.

JUILLET 2018

La publication de centaines de pages de documents judiciaires lève le voile sur l’intensité de la campagne de surveillance de Jonathan Bettez par la SQ au fil des années.

OCTOBRE 2018

Le juge Jacques Lacoursière écarte la preuve recueillie par la police et acquitte Jonathan Bettez des accusations de pornographie juvénile qui pesaient sur lui.

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