Témoignage : Santé mentale

À 48 ans, tout à coup, la chute...

L'auteure raconte son parcours qui l'a menée à deux doigts du suicide malgré de nombreuses réalisations

Je suis la cadette d’une famille de 12 enfants, orpheline de père depuis l’âge de 11 ans. Ma mère a fait tout ce qu’elle pouvait. Inutile de vous mentionner que je ne pouvais pas me permettre une crise d’adolescence !

Pourtant, je disais constamment à ma mère : ne me cherche pas, je m’en vais me pendre ! J’avais 15-16 ans ; en théorie et dans le meilleur des mondes, ma mère aurait dû me faire consulter un professionnel de la santé, mais pauvre maman, elle avait beaucoup d’autres chats à fouetter et n’avait pas vraiment le temps de s’occuper de ces niaiseries-là.

Nous étions au début des années 80, la dépression et les maladies mentales étaient le lot de la voisine d’à côté qui n’avait qu’à se donner des coups de pied au cul.

Arrivée au cégep, lors de mon cours d’éducation physique, mon professeur m’a dit une phrase banale qui résonne encore dans ma tête : toi, Francine, si tu avais été poussée par tes parents, tu avais la physionomie pour être une grande athlète olympique ! Ton endurance, ta persévérance, ton physique, tout est là. Quel beau gâchis ! BANG ! BANG !

Ce jour-là, ma vie a été centrée sur cette phrase : je ne gagnerai peut-être jamais de médaille olympique, mais je vais toujours être dans le top.

• Un bac en criminologie ;

• Un poste de VP aux finances dans l’entreprise familiale pendant 25 ans ;

• Un enfant atteint de cancer à l’âge de 5 ans ;

• Quatre autres enfants adoptés ;

• Mise sur pied de deux fondations : j’ai amassé plus de 12 millions pour les enfants et les jeunes adultes atteints de cancer ;

• Accompagnement de plus de 27 enfants et jeunes adultes dans la mort, dont plus de 10 sont décédés dans mes bras.

• Mise sur pied de PME ;

• Auteure de deux livres et de divers billets d’opinion ;

• Deux fois personnalité de la semaine de La Presse ;

Puis arrive l’été de mes 48 ans.

Déceptions professionnelles, échec financier, fatigue intense. Incapable de « performer », je vomis tous les matins. Je souffre d’insomnie émotive pour tout et pour rien, et surtout je sens le plancher s’écrouler sous mes pieds… Je n’ai plus de contrôle sur rien !

CHUTE VERTIGINEUSE

Ça a été le début d’une très grande descente, une chute vertigineuse dans un précipice dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Ma réaction ? Il est hors de question que je ne puisse pas continuer de performer ! Le mot BURN-OUT est tellement synonyme de faiblesse.

C’est alors que mon vieux plan d’adolescence a refait surface : « Où tu vas, Francine ? » Je vais me pendre !

C’est en novembre dernier que j’ai commencé à planifier ma sortie.

Mon mari est exceptionnel, il n’aura aucune difficulté à se trouver une autre amoureuse.

Mes fils sont maintenant autonomes, ils vont pouvoir s’organiser seuls.

Ma fille de 12 ans a un père et des frères qui vont l’aimer et elle a la chance d’avoir des tantes et une marraine qui vont facilement pouvoir jouer mon rôle auprès d’elle. Le fruit de mes polices d’assurance garantit l’avenir de toute ma famille.

Acte de courage ou lâcheté, je ne voulais surtout pas me poser la question !

Le 16 janvier 2016, c’est la journée que j’avais choisie. Profondément convaincue que c’était la seule chose à faire, l’heure et l’endroit étaient planifiés. J’avais pensé à tout. Mais je n’avais pas pensé à ma chance incroyable d’avoir une famille et un réseau d’amis qui avaient assisté à ma chute spectaculaire.

Cette journée-là, ils m’ont tendu la main. Ils m’ont laissé verser les larmes que je n’avais pas versées depuis 48 ans, puis ils m’ont conduite à l’hôpital. Je me suis laissé faire comme une jeune adolescente, j’ai mis les genoux par terre et j’ai accepté d’être aidée.

Trois mois se sont écoulés depuis. Je suis suivie par une psychiatre, je vois une psychologue, je parle de mon état de plus en plus ouvertement. Malheureusement, mon instinct me fait encore employer le mot LOSER pour décrire mon état, ce qui met en colère mon entourage.

DIFFICILE À ADMETTRE

Malgré le grand pas que j’ai franchi, admettre que je suis malade dans ma tête et dans mon cœur est terriblement difficile. Il me reste encore beaucoup de travail. Le travail de toute une vie.

La maladie mentale frappe tout le monde : la maladie mentale, c’est souffrant, c’est sournois, c’est terrible à vivre pour soi et pour tout l’entourage…

Si mon témoignage peut vous aider à ouvrir les yeux sur vos proches, sur leur mal de vivre, leur appel à l’aide souvent silencieux, il aura valu la peine que je mette mes tripes sur la table.

Je mets de côté ma fierté pour vous rejoindre en toute humilité, pour que vous sachiez que même les plus forts peuvent souffrir et tomber au combat.

Il arrive un moment dans la vie où on croit que tout est fini, alors que c’est en fait le début d’autre chose de meilleur.

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