Santé publique

L’obésité en hausse dans les campagnes

Les habitants de la campagne ont traditionnellement une vie plus active et moins de kilos en trop que les citadins. Mais cela change rapidement, ont constaté des épidémiologistes britanniques. L’urbanisation ne fait pas que dépeupler les régions, elle augmente aussi le tour de taille.

Transition nutritionnelle

Les citadins ont été les premiers frappés par l’épidémie d’obésité. « On appelle ce phénomène la transition nutritionnelle », explique Majid Ezzati, du Collège impérial de Londres, auteur principal de l’étude publiée au début de mai dans la revue Nature

« Les gens travaillent et n’ont plus le temps de cuisiner à la maison, encore moins de cultiver leurs fruits et légumes. Alors ils achètent des aliments préparés souvent pauvres en nutriments et trop gras, et grâce à leur salaire, ils peuvent se permettre d’acheter plus de nourriture qu’ils n’en ont besoin. Dans les pays riches, la transition nutritionnelle s’est propagée depuis une bonne vingtaine d’années aux habitants des régions rurales, et on voit la propagation maintenant dans les pays émergents. En même temps, il y a eu une polarisation des gens riches et instruits dans les villes, ce qui a laissé dans les campagnes davantage de gens incapables de changer leurs habitudes de vie pour combattre l’obésité, par manque d’instruction ou par manque de moyens. » 

Selon les calculs du Dr Ezzati, qui a analysé 2000 études regroupant 112 millions de personnes entre 1985 et 2017, 55 % de l’augmentation de l’obésité dans les pays riches est attribuable à ce qui se passe dans les campagnes, une proportion qui monte à 80 % dans les pays pauvres et émergents. Au Canada, seulement 15 % de la population vit en milieu rural.

Une hausse de 42 % en dix ans

Au Québec, l’obésité est un problème plus prévalent à la campagne qu’en ville depuis belle lurette, mais le même phénomène est présent : le taux d’obésité rural a augmenté de 42 % entre 2003 et 2013-2014, contre 24 % pour le taux d’obésité urbain, selon les données de Statistique Canada et de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). « Il y a une différence particulièrement marquée pour les hommes », relève Marie-Claude Paquette, nutritionniste à l’INSPQ. « En milieu rural, le taux d’obésité des hommes est de 23,9 %, contre 18,9 % en milieu urbain. C’est une grande différence, beaucoup plus que chez les femmes. Cela dit, il y a de grandes variations dans les différents milieux ruraux. En Abitibi, les gens ont en moyenne de très bons salaires, on ne voit pas les mêmes dynamiques au niveau de l’alimentation. »

Déserts alimentaires

L’étude britannique a souligné l’émergence d’un nouveau type de « désert alimentaire », ces zones où il est difficile d’avoir accès à des aliments sains à prix abordable. « On a beaucoup parlé des déserts alimentaires dans les villes, mais on a maintenant des déserts alimentaires dans les campagnes, dit le Dr Ezzati. Les gens ont des voitures, mais les distances entre deux supermarchés sont si grandes que ça force les gens à aller au petit magasin du coin. Il y a aussi un problème de densité de population qui décourage les supermarchés d’offrir des produits sains qui attirent peu de gens, pour des raisons culturelles. » 

Le Dr Ezzati cite notamment une étude publiée en 2015 dans la revue Etiology of Obesity qui note que, traditionnellement, les familles habitant en campagne avaient des moyens de stocker de la nourriture, par exemple des congélateurs pour le gibier, une tradition qui limitait la dépendance aux supermarchés, mais qui se perd. Marie-Claude Paquette confirme que la lutte contre l’obésité est compliquée en milieu rural par ces nouveaux déserts alimentaires. En ville, l’accès à un supermarché est jugé difficile si la distance dépasse 1 km et à la campagne, 20 km. « En milieu urbain, il est plus facile de faire des partenariats pour les programmes antiobésité. On est justement en train de regarder ce défi. » 

En médiane au Québec, la distance d’un supermarché est de 996 m en milieu urbain (513 m à Montréal) et de 7,6 km en milieu rural, mais sur la Côte-Nord, cette distance médiane est de 19 km, selon un rapport de 2013 de l’INSPQ.

En 2003

14 % taux d’obésité dans les régions urbaines au Québec

14,9 % taux d’obésité dans les régions rurales au Québec

En 2013-2014

17,4 % taux d’obésité dans les régions urbaines au Québec

21,1 % taux d’obésité dans les régions rurales au Québec

Sources : Statistique Canada, INSPQ

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