Stress post-traumatique

Guérir de l’inguérissable

Alors qu’il était médecin sur le front, Daniel Dufour a été plongé dans les horreurs de la guerre et la barbarie humaine. Il a ensuite mis des années à panser le mal invisible qui le rongeait. Puisant dans son expérience personnelle et dans sa pratique auprès de personnes atteintes d’un choc post-traumatique, l’ancien travailleur humanitaire a élaboré la seule méthode qui peut, selon lui, guérir ceux qui souffrent de cette pathologie.

De 1978 à 1987, le Dr Daniel Dufour a exercé la médecine dans les coins les plus chauds du monde : aux frontières thaïlandaise-kampuchéenne et pakistano-afghane, en Rhodésie-Zimbabwe, au Liban et dans les camps de Sabra et de Chatila. Sur le terrain, le chirurgien et coordonnateur pour le Comité international de la Croix-Rouge a été placé devant les décisions les plus déchirantes, notamment au triage des personnes blessées.

À son retour, il s’est posé : abîmé, hanté par les visages des personnes dont le sort avait été remis entre ses mains.

« J’avais l’impression de devenir fou. Et aucune idée de ce qu’était le TSPT [trouble de stress post-traumatique] à l’époque. J’ai vu des psychiatres qui me disaient que je devais digérer l’indigérable, ce qui n’aidait en rien mes symptômes. »

— Le Dr Daniel Dufour

À Genève, en 1987, le médecin a ouvert parallèlement une clinique antistress où il a choisi de consacrer 50 min à chaque patient. Pendant 30 ans, il a vu défiler dans son cabinet des patients qui ont vécu un choc brutal et qui en ont gardé des séquelles, dont plusieurs professionnels – policiers, ambulanciers, soldats ou pompiers – et des victimes d’agressions et d’autres événements brutaux.

« Puisque j’en avais le temps, on remontait chaque fois aux causes, à des événements et des émotions qui n’avaient pas été vécues », dit-il. Pour accompagner ses patients dans l’expression de ces émotions bloquées, le médecin a créé l’approche OGE « à l’envers de l’EGO », l’ego étant cette conscience de soi, « ce mental qui juge et censure », décrit-il. Il a ensuite appliqué cette méthode sur lui-même pour constater sa propre guérison.

Libérer ses émotions

Dans son dernier livre, Le bout du tunnel, qui fait suite à La mort en première ligne, où il racontait son histoire, Daniel Dufour expose cette approche qui permet de libérer les émotions bloquées lors d’un traumatisme. « Si une émotion est vécue, on se sent bien. Le problème, c’est quand elle reste [enfouie]. »

Dans une situation de grand danger, une personne – et c’est le cas pour tout mammifère – aura trois réactions possibles : fuir, agresser ou figer, soutient-il. C’est une réaction de survie qui ne passe pas par l’analyse. La déconnexion des émotions vient ensuite par instinct de survie. Plusieurs personnes oublieront en totalité ou en partie l’événement traumatisant et ne se souviendront que du moment qui suit l’agression.

« Lorsqu’on remonte à l’événement, on se rend compte qu’il y a une énorme colère enfouie. Cette énergie que la personne a continué de bloquer finit par développer d’autres troubles. » Idéalement, au lieu de faire des cellules de crise, par exemple, il faudrait donner le droit aux victimes de vivre leur colère, soutient-il. D’après lui, on préviendrait ainsi plusieurs cas de TSPT.

Un jeune enfant, explique-t-il, vit spontanément ses émotions – la joie, la colère, la tristesse. Quand il est en colère, il crie. La censure vient avec le temps. « À partir du moment où on se permet de vivre l’émotion, la détente suit et le système se remet en route. Le traumatisme restera dans le souvenir, sans toutefois provoquer d’autres pathologies. »

Un mal méconnu

Le TSPT est difficile à détecter parce qu’il est camouflé sous d’autres symptômes. Les thérapies habituellement recommandées pour le traiter, une fois le trouble diagnostiqué, consistent généralement à faire parler la victime, ce qui reste cérébral. « Quand tout est bloqué et que vous faites un travail pour aller vers la résilience ou le pardon, par exemple, c’est purement intellectuel. C’est illusoire. On ne peut pardonner qu’une fois la colère exprimée. »

La médecine s’occupe quant à elle des dérèglements. Elle est incomplète parce qu’elle ne va pas à la cause, estime le médecin. « On vous suggère de vous calmer et on vous propose une pilule. Les antidépresseurs sont des camisoles chimiques. Vous continuez à avoir des ressentis, mais ils sont moins forts que si vous n’en preniez pas. Ça peut être bon temporairement, mais pas à vie. Sinon, vous endormez les émotions », dit-il.

Dans les deux cas, on accompagne les gens pour qu’ils arrivent à fonctionner, ce qui revient à marcher avec une béquille, estime le Dr Dufour.

L’a b c de L’OGE

Que faire de cette colère bloquée que ressentent ceux qui souffrent d’un TSPT ? Crier, selon l’approche OGE – dans votre voiture, dans le bois, sous l’eau… « Vomir cette émotion », conseille son fondateur.

« C’est physique, très primitif. Ce n’est pas de crier contre les autres, sur les autres ou devant les autres, mais de le faire pour se libérer soi-même de cette émotion qui crée des dérèglements. »

— Le Dr Daniel Dufour

Pour arriver à le faire, sans forcer l’émotion, il faut revisiter l’événement en faisant fi du mental (ou ego). On ressent alors l’émotion – un nœud ou une boule – qui doit ensuite être libérée. « Le problème avec les gens qui ont un TSPT, c’est souvent qu’on ne peut pas aller dans la scène parce que c’est trop violent. On suggère donc de remonter juste après l’événement. »

Le concept OGE a pour but qu’une personne s’accompagne elle-même ou en accompagne une autre. La méthode peut, par conséquent, être appliquée sans la présence d’un spécialiste, sauf dans un cas de TSPT sévère, recommande Daniel Dufour.

L’objectif d’OGE est d’encourager les victimes à regagner leur autonomie et à reconnaître d’elles-mêmes les signaux de détresse que leur envoie leur corps. « On peut accompagner une personne, mais la seule qui peut se traiter, c’est la personne elle-même. Il y a peut-être des gens qui souffrent de TSPT et qui vivent des vies “handicapées”. Je suis fier de pouvoir affirmer qu’on peut en guérir. »

Le bout du tunnel – Guérir du trouble de stress post-traumatique

Dr Daniel Dufour

Les Éditions de l’Homme

200 pages

Qu’est-ce qu’un TSPT ?

Les symptômes qui accompagnent un état de stress post-traumatique se révèlent habituellement dans les trois mois qui suivent un traumatisme, mais parfois des années plus tard, sous les formes suivantes : un sentiment de peur intense (accompagné de palpitations, de difficultés respiratoires, de tremblements ou d’une transpiration excessive), un état d’hypervigilance, des flash-back, des pensées incontrôlables, une difficulté à ressentir certaines émotions, à se concentrer

ou à dormir. Les experts en état de stress post-traumatique recommandent généralement de traiter cette pathologie par la thérapie cognitivocomportementale, l’hypnose ou la technique EMDR (Eye movement desensitization and reprocessing).

D’autres ressources 

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.