Élections provinciales Opinion

Fantômes et squelettes des candidats 

Quand j’étais plus jeune, ce sont souvent les morts sortis de leur tombe pour venir voter qui constituaient les plus gros casse-têtes des sondeurs pendant les campagnes électorales. À leur décharge, disons que ce n’est pas toujours évident d’évaluer la prime à l’urne, surtout si l’urne en question est funéraire. Pour certains partis, les cimetières étaient alors effectivement remplis de gens irremplaçables. Aujourd’hui, ce sont les squelettes sortis des placards qui hantent les politiciens. 

Avant, les politiciens craignaient de se mettre le pied dans la bouche. Aujourd’hui, les campagnes électorales sont une promenade dans un champ de mines. Une fois la barrière levée, il faut surveiller où mettre les pieds pour ne pas déclencher l’explosion qui pourrait nous emporter. Dans le sillage de cette campagne, il y a déjà des victimes, dont Stéphane Le Bouyonnec, Éric Caire, Gertrude Bourdon, Muguette Paillé, Pierre Marcotte, Guy Leclair, Michelle Blanc. Pour cause, à l’heure des textos, des téléphones intelligents et des médias sociaux, la cachotterie a beau se croire profondément enfouie, le grand-père Google, dans sa grande sagesse, finit par la ramener à la surface au grand plaisir des adversaires. 

Mais oubliez le hasard et son fruit trop mûr, si les scandales arrivent à la pelle, c’est que les partis ont une escouade de fossoyeurs chargés de déterrer même le plus petit os à ronger et de le lancer au moment opportun à une meute de journalistes qui ne demandent qu’à rapporter. Si vous pensez vous lancer en politique, dit cette nouvelle réalité, assurez-vous de ne pas avoir la moindre trace douteuse sur la Toile. 

Bienvenue tout de même dans le grand bal de l’hypocrisie animé par des médias avides de potins. Ici, on vous demande d’être parfait avant d’entrer, mais une fois à l’intérieur, vous pouvez bien avoir le plus gros nuage de corruption et de dilapidation des fonds publics, tant que vous n’êtes pas condamnés vous restez sans reproche. Comme un couple où l’on exigerait une virginité totale avant d’épouser l’autre, mais où l’on se satisferait béatement du rôle de cocu content une fois les vœux prononcés.

Pourtant, qu’est-ce qui est moralement plus répréhensible, un jeune candidat qui a déjà publié une photo osée sur son Facebook ou un gouvernement qui a menti à sa population sur la vente d’un fleuron comme Rona ?

Qu’est-ce qui est plus éthique, un député qui a emprunté et remboursé douteusement 50 000 $ à un maire ou un prétendant au trône qui a déjà placé ses avoirs dans un paradis fiscal ? 

Si on veut exiger la pureté morale absolue comme condition préalable à l’entrée en politique, il faudrait aussi punir sévèrement ceux qui, une fois au pouvoir, renoncent à des promesses majeures qu’ils avaient faites à la population. Pour paraphraser Jules Michelet, la politique ne devrait pas être l’art d’obtenir l’argent des riches et les votes des pauvres sous de fausses promesses de les protéger les uns des autres. 

Au-delà des frasques sans intérêt national qui occupent toute la place pendant les campagnes, on gagnerait peut-être à concentrer notre diligence sur le service après-vente. Pourquoi ne pas se doter un jour d’outils démocratiques permettant au peuple de virer un gouvernement en cas de trahison d’une promesse majeure ? Sinon, pourquoi continuer de dire aux enfants que mentir pour arriver à ses fins est répréhensible ? Si on veut que les candidats soient blancs comme neige en entrant en politique, il faudrait les forcer à rester immaculés pendant qu’ils sont au pouvoir et peut-être même les empêcher, une fois retraités de la politique, de se recycler en lobbyistes au service d’intérêts privés pour venir soudoyer leurs anciens collègues derrière des portes closes.

La promesse de changer le mode de scrutin 

En campagne, le premier ministre Trudeau avait promis à la population de changer le mode de scrutin et une fois élu, il a organisé cyniquement une mascarade consultative pour mieux changer son fusil d’épaule. C’est bien plus pour des insultes semblables qu’il faut s’offusquer que les petites conneries pour lesquelles on harcèle Michelle Blanc depuis quelques semaines. 

Les chefs des partis de l’opposition du Québec se sont engagés publiquement à réformer le mode de scrutin. C’était le 9 mai 2018, et on devrait être nombreux à leur demander de se commettre encore et encore publiquement sur cette promesse majeure qui, en favorisant l’émergence de gouvernements de coalition, permet d’éviter les dérives autocratiques au détriment d’une majorité de la population.

Pensons ici aux climatosceptiques comme Doug Ford ou Donald Trump qui charcutent tout sur leur passage après avoir été plébiscités par bien moins que 50 % des votants. 

La réaffirmation solide de François Legault, Jean-François Lisée et Manon Massé de changer le mode de scrutin pendant le débat de jeudi est la plus douce des mélodies de cette campagne pour mes oreilles. Le Québec a socialement et démocratiquement besoin de ce changement. Quand vous avez quatre partis et un bloc de 30 % de la population qui semble acquis à vie à une seule formation, la représentativité de tous en prend pour son rhume.

L’avantage des gouvernements de coalition, fréquents dans le système à scrutin proportionnel mixte, c’est de forcer les adversaires politiques à collaborer et chercher des lignes de consensus pour le bien de la nation. Le projet de loi sur l’aide médicale à mourir est là pour nous rappeler tous les bienfaits de cette solidarité qui fait fi de la partisanerie.

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