Santé mentale

Se soigner pour ne pas retomber

L’image semble encore très nette dans la tête de Geneviève. « La première fois que j’ai craqué, j’étais dans le métro, raconte-t-elle. Je me suis mise à pleurer comme une Madeleine. Tout le monde me regardait comme si j’étais une freak… » Geneviève, la trentaine, n’était pas une salariée pressée comme un citron par un employeur trop exigeant à l’époque : elle était étudiante et travaillait pour s’éviter des dettes d’études.

Josiane est tombée pour des raisons semblables : à 18 ans, elle étudiait à temps plein, travaillait à temps plein et sortait « comme une fille de 18 ans ». Elle a tout plaqué du jour au lendemain. « Je me suis posée et je me suis reprise en main », dit-elle, en ajoutant que, à cet âge, on peut se remettre vite. Pour un temps.

Comme Geneviève, Josiane n’a pas seulement vécu un épisode d’épuisement professionnel, mais trois. Une chute brutale et deux rechutes tout aussi brutales. Josiane est allée chercher de l’aide – une psychothérapie, elle a refusé les antidépresseurs – après son deuxième épisode. Geneviève, elle, a fait des psychothérapies et a pris des médicaments, mais n’a pu mettre un mot sur ce qu’elle traversait qu’après son troisième burn-out.

CHUTE ET RECHUTES

Ce risque de récidive, le Dr François Baumann le condense dans un concept fort à-propos dans L’après burn-out – Comment éviter les pièges de la rechute ? : il parle de « fragilité acquise ». Il s’appuie sur son expérience clinique pour faire valoir que, à défaut d’opérer des changements dans leur vie professionnelle et personnelle, les rescapés de l’épuisement risquent de voir la roue s’emballer de nouveau avant longtemps.

« Les gens risquent de récidiver dans un délai de deux ans, observe le médecin français, qui s’est intéressé à l’épuisement professionnel à force de voir passer des travailleurs que le boulot avait rendus déprimés et anxieux. Ceux qui récidivent courent encore plus le risque d’une autre récidive. Plus le temps passe, plus les récidives risquent d’être rapprochées. »

« Je dis souvent que j’ai passé 10 ans en dépression », résume Marie-Ève Lamontagne, 37 ans. Elle a craqué pour la première fois en 2007. Puis, deux fois en 2011. Et aussi en 2013. Chaque fois, elle a arrêté de travailler pendant deux ou trois mois. La dernière fois, elle a décidé de ne plus être salariée et de se consacrer à des projets d’affaires personnels. Le jour de son entretien avec La Presse+, elle se demandait toutefois si elle n’était pas en train de glisser dans un nouvel épisode d’épuisement.

« J’étais hyper performante au travail. Je suis capable de comprendre vite, d’apprendre vite. C’était hyper valorisant. Alors j’en donnais, j’en donnais et, à un moment donné, j’en ai trop donné », raconte-t-elle, à propos de ses emplois dans le domaine de la télévision. Elle juge aujourd’hui que sa mémoire, sa concentration et sa capacité de gestion ne sont jamais revenues au niveau d’avant son premier burn-out.

UNE MALADIE DU TRAVAIL

L’épuisement professionnel est une « maladie du stress, une maladie d’adaptation à des contraintes extérieures », résume le Dr Baumann. 

« Les signes et symptômes vont varier selon les gens : il y en a qui auront des symptômes plutôt dépressifs et d’autres, plutôt anxieux », précise Louise St-Arnaud, directrice de la Chaire sur l’intégration professionnelle et l’environnement psychosocial de travail à l’Université Laval et auteure de Retour au travail après un congé de maladie.

Dans L’après burn-out, le Dr Baumann s’avance sur des traits de personnalité partagés selon lui par des gens qui ont traversé cette épreuve qu’il décrit comme des personnes « valeureuses », « perfectionnistes », « habituées de se débrouiller toutes seules ». « Ce sont des gens courageux, qui cherchent la réussite. Ils partagent peu et se retrouvent à tout assumer. »

« Il a fallu que je me rende au bout pour accepter que j’étais imparfaite, admet Marie-Ève Lamontagne. Il a fallu que j’accepte de l’aide et ça, ç’a été très dur. Pour moi, c’était un échec. Un signe de faiblesse. » Josiane est consciente d’avoir souvent dépassé ses limites. Après deux burn-out, elle n’avait d’ailleurs pas appris à appuyer sur le frein. Même malade – ses médecins craignaient un cancer – et mère de deux jeunes enfants, elle a continué à faire la « superwoman » et travaillait « comme si de rien n’était ». Elle a craqué de nouveau.

« C’est sûr que, pour certaines personnes, le problème est de ne pas connaître ses limites, concède Louise St-Arnaud. Mais des limites, il n’y en a pas non plus dans ce qui est demandé. » Faire porter le blâme de l’épuisement professionnel aux travailleurs sans réfléchir à l’organisation du travail, à la course au rendement boursier et à la valorisation de la compétition entre collègues ne tient pas la route, selon elle.

APPRENDRE À DIRE NON ?

Apprendre à dire non, faire du yoga et de la méditation pour apprendre à gérer ses difficultés, c’est bien. « Mais ça ne tient pas longtemps dans un contexte de travail. Dire non, on le fait pendant un, deux ou trois mois. Après, on reprend le rythme », estime la chercheuse.

Ses recherches l’incitent d’ailleurs à conclure que le climat existant dans bien des milieux de travail ne favorise pas le retour au boulot. « Lorsqu’on revient dans les mêmes conditions – et bien souvent dans des conditions qui se sont détériorées durant l’absence –, le processus d’intégration et de maintien en emploi est extrêmement risqué. Si on ne cherche pas à savoir ce qui, dans le travail, a participé à la détérioration de l’état de santé d’une personne, on la remet à risque. »

« L’arrêt de travail n’est pas suffisant en soi », juge aussi le Dr Baumann. Un burn-out est aussi un moment de remise en question profonde pour un individu, qui doit réévaluer son rapport au travail, son désir de reconnaissance, retrouver l’équilibre entre ses besoins personnels et professionnels, des réflexions pour lesquelles une psychothérapie s’avère un outil majeur, selon lui. Apprendre à accepter de l’aide est tout aussi capital. « On ne peut pas se sortir seul d’un burn-out, insiste-t-il. On a besoin de l’appui des autres. »

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