Médecins

Comparer la rémunération en secret

Maintenant que les pourparlers sur le passé sont terminés s’engage une autre négociation cruciale, celle comparant la rémunération de nos médecins avec celle de leurs homologues canadiens.

Pourquoi je parle de négociation ? Parce que selon l’entente signée la semaine dernière, les comparaisons ne seront pas faites de façon indépendante par l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), comme on pouvait s’y attendre. Ces comparaisons passeront plutôt par un processus pointilleux de discussions pour savoir ce qui sera comparé et comment.

Et le plus curieux de l’affaire, c’est que le rapport sur cette comparaison restera secret, si l’on se fie à l’entente. « Les parties s’engagent à garder confidentiel le rapport de l’ICIS », est-il écrit à la fin de l’annexe 1 de l’entente. Ce rapport sera remis aux parties en septembre 2019.

Pardon ? Après des années à débattre sur la question, les Québécois n’auront pas droit de savoir enfin si nos médecins sont mieux ou moins bien payés que leurs pairs canadiens, selon une étude approfondie ? N’est-ce pas de nature à empirer le climat de suspicion ?

Dès que j’ai vu cette clause, jeudi dernier, je me suis empressé de questionner les deux camps pour comprendre l’incompréhensible.

Au Conseil du trésor, on m’a expliqué que les médias pourront tenter d’avoir une copie du rapport par la voie de la Loi sur l’accès à l’information.

Ah ! bon ? Il faudra donc faire pile ou face pour espérer connaître l’issue de ce débat !

Qu’en pense la Fédération des médecins spécialistes du Québec ? « Nous n’avons aucunement l’intention de ne pas partager l’entente », m’a répondu Sylvain Bellavance, directeur des affaires juridiques de la FMSQ.

Oui, mais vous vous êtes engagés, vous avez signé pour la confidentialité ? « On n’a pas l’intention de garder ça confidentiel », me dit-il.

Mais qui donc a bien pu exiger une telle confidentialité ? Réponse que m’a donnée le ministre de la Santé, Gaétan Barrette : l’Ontario.

L’Ontario ? Eh bien oui, pour faire la comparaison, il faut certaines données additionnelles de l’Ontario, notamment concernant la charge de travail, selon ce que m’explique le ministre. « Et l’Ontario a accepté de fournir ces données à la condition que le rapport reste confidentiel, ce à quoi j’ai acquiescé », m’a dit M. Barrette. L’entente à ce sujet a été verbale et non manuscrite.

La FMSQ n’a pas exigé cette confidentialité, me dit le ministre, mais elle est bien au courant de la chose.

Ainsi, ce sont nos voisins ontariens qui nous empêcheront d’avoir enfin des éclaircissements publics sur le sujet !

L’Ontario, faut-il savoir, est en négociation avec ses propres médecins, qui réclament une hausse de 39 %. Le litige a été confié à un arbitre le 8 janvier, soit après l’entente verbale avec Gaétan Barrette. « Si l’Ontario nous libère de cette obligation, je n’ai pas de problème à ce que le rapport devienne public », me dit le ministre.

Tout de même, n’est-il pas incroyable que les Québécois et les Ontariens ne puissent savoir si leurs médecins, à même les fonds publics, sont adéquatement payés ?

J’ai donné un coup de téléphone au ministère de la Santé de l’Ontario lundi midi pour vérifier. Quatre jours plus tard, toujours pas de réponse.

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Cette curieuse confidentialité occulte un autre volet de cette affaire : le droit de regard des parties sur les méthodes de comparaison.

L’annexe 1 de l’entente précise que la rémunération sera comparée entre les provinces selon deux méthodes : les revenus moyens, d’abord, et la tarification des codes d’acte, ensuite. Une troisième méthode sera également considérée, celle de la dépense de rémunération des médecins par habitant.

Toutefois, à partir de ces paramètres, l’ICIS ne pourra pas s’en remettre à son savoir-faire des 30 dernières années pour trancher. Il devra « soumettre chacune des méthodologies qu’il envisage utiliser à une analyse détaillée et à une approbation des parties négociantes, et ce, préalablement à la réalisation des travaux ».

De plus, ces méthodologies seront revues, tout comme les résultats préliminaires, à la lumière des observations des parties.

Imaginez le bras de fer qui se jouera si les résultats ne satisfont pas l’une ou l’autre des deux parties.

Bref, une autre période de négociation est entamée et elle sera déterminante pour la suite des choses. N’est-ce pas essentiel qu’on ait accès au rapport dans ce contexte ? Allo, Ontario ?

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