Réforme du mode de scrutin

François Legault piégé

Quelle mouche a donc piqué François Legault cette semaine ? C’était déjà saugrenu que cet appui de la Coalition avenir Québec (CAQ), parti de centre droit défenseur de l’identité québécoise, à un mode de scrutin proportionnel qui diminuerait le poids politique des francophones et des régions, sans parler de la banalisation des gouvernements minoritaires.

Mais le chef caquiste est allé encore plus loin mercredi en apposant carrément sa signature à un document endossé par ses adversaires de Québec solidaire (QS) et du Parti québécois (PQ). Il n’a pas craint de se peinturer lui-même dans le coin, comme même Justin Trudeau ne l’avait pas fait dans ce dossier à Ottawa.

Une fois élu premier ministre majoritaire, François Legault aurait donc comme priorité de se lancer, sous la surveillance du PQ et de QS, dans une réforme casse-gueule du mode de scrutin, qui devrait lui faire perdre sa majorité au scrutin suivant si elle était adoptée…

Francophones et régions

Dans les milieux de gauche, l’appui à la proportionnelle est devenue un article de foi camouflant mal l’affaiblissement du pouvoir historique de la majorité francophone.

Le chef de la CAQ est-il conscient du fait que, bien placé pour accéder au pouvoir en octobre prochain, il s’est piégé lui-même à l’avance en prenant un engagement aussi formel à l’égard d’un projet de réforme qui pourrait le hanter longtemps ? 

Espérons qu’il ne caresse pas l’espoir illusoire de se voir appuyer en retour par des segments de l’électorat qui l’auront toujours en aversion, au détriment de sa base naturelle nettement plus conservatrice.

Le choix de changer ou non de gouvernement sera l’un des principaux enjeux de la prochaine campagne électorale. Contrairement à ce qu’on prétendait jusqu’à récemment dans les cercles souverainistes, c’est la preuve que ce n’est pas le mode de scrutin actuel qui a installé trop longtemps les libéraux au pouvoir. C’est plutôt l’obsession d’une trop grande partie des élites politiques pour une souveraineté dont les Québécois ne voulaient pas.

On en revient donc aux paramètres fondamentaux d’un pouvoir francophone objectivement favorisé par ce mode de scrutin uninominal à un tour qui, loin d’être l’horreur que l’on dit, a amplement fait ses preuves ici comme dans le reste du Canada.

La vulnérabilité politique de la majorité francophone – le fait que le Québec n’a pas le statut d’État indépendant ni celui de société distincte au sein du Canada – est en partie compensée par ce mode de scrutin qui avantage dans les faits les francophones.

C’est à ce délicat équilibre que voudraient bêtement renoncer des partis à ce point prisonniers de la rectitude politique et d’une vision déconnectée de la démocratie, qu’ils sont disposés à abandonner les régions et les francophones qui les appuient.

On n’est plus capables de voir que la proportionnelle profiterait avant tout aux libéraux, dont seraient revalorisés les appuis massifs non francophones dans un petit nombre de circonscriptions montréalaises.

Référendum nécessaire

On n’en attendait pas moins des Verts et de Québec solidaire. Un tel manque de lucidité est plus décevant de la part des péquistes, incapables de maintenir le pouvoir francophone existant tout en prétendant vouloir la totalité des pouvoirs.

Contrairement enfin à ce que François Legault affirmait mercredi pour justifier son appui à la proportionnelle, les études montrent que les gens n’apparaissent globalement pas plus satisfaits après la mise en œuvre de cette dernière.

Ici comme ailleurs au pays, l’expérience a montré à quel point il était difficile de mener à terme une réforme du mode de scrutin. S’il est aisé par exemple de s’entendre sur le principe de la proportionnelle, il en va tout autrement quand il s’agit de choisir entre les nombreuses variantes possibles.

Plus encore, parce qu’elle serait de facto de nature constitutionnelle redéfinissant la façon dont la démocratie et la gouvernance se vivent ici, une réforme du mode de scrutin ne saurait se passer de l’approbation d’une éventuelle opposition officielle libérale, sauf à faire valider le tout par référendum.

François Legault est-il conscient de ce que, faute d’appui des libéraux, sa réforme du mode de scrutin nécessiterait la tenue d’un référendum ?

Alors que les Québécois sont à la veille de décider qui sera leur prochain premier ministre, le manque de prudence de François Legault relativement à un enjeu aussi important pour le poids politique de la majorité francophone ne laisse pas d’être inquiétant.

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