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Préparer la vie après la DPJ

Être contraint d’abandonner l’école pour occuper un emploi précaire afin de survivre. Ou, encore pire, se retrouver à la rue sans nulle part où aller. C’est le destin tragique de nombreux « enfants de la DPJ » lorsqu’ils atteignent 18 ans. Deux projets –  l’un à Montréal et l’autre en Montérégie – ont récemment été lancés pour améliorer leur sort. Un dossier de Caroline Touzin

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Un tremplin vers la vie adulte

Visite de la première maison mise sur pied pour soutenir les « enfants de la DPJ » une fois qu'ils sont devenus adultes

LA MÈRE DU PROJET

Marie-Josée Roy a toujours trouvé que la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), pour laquelle elle travaille depuis 32 ans, n’offrait pas assez de services de transition aux jeunes placés en foyer de groupe ou en unité supervisée lorsque ces derniers atteignent 18 ans. « Ces jeunes sont plus vulnérables que les autres, et pourtant, comme société, on est plus exigeant envers eux qu’envers le reste de nos jeunes », lâche-t-elle. En effet, à 18 ans, ils doivent quitter leur foyer de groupe ou leur unité supervisée. « Ils se retrouvent seuls pour se trouver un logement, un emploi, obtenir un diplôme, etc. », explique-t-elle. Alors quand le ministre de la Santé Gaétan Barrette a entamé sa réforme de la santé et a dit à ses gestionnaires d’être « créatifs » et de lui suggérer des idées novatrices, Mme Roy a saisi l’occasion. Sachant qu’un foyer de groupe de la DPJ situé dans un quartier résidentiel de Montréal était inoccupé depuis des années, cette chef de service de la DPJ anglophone (Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw) a proposé de le transformer en ressource résidentielle pour jeunes de 18 à 25 ans qui ont été confiés à la DPJ durant leur jeunesse. « Nos jeunes qui quittent les centres jeunesse à 18 ans se retrouvent souvent dans des situations précaires. Ils sont surreprésentés dans les refuges pour jeunes de la rue », explique-t-elle. Après trois ans de démarches, Mme Roy vient d’accoucher de « son bébé ». La maison ASPIRE – un projet géré par le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal qui englobe désormais les centres Batshaw – a ouvert ses portes en juillet dernier.

LA PREMIÈRE RÉSIDANTE

À 18 ans, Julie* n’avait nulle part où aller. Pas question de retourner chez ses parents. Elle y a vécu l’enfer jusqu’à ce que la DPJ la retire de chez elle au début de l’adolescence. « Mes cinq frères et sœurs et moi, on a été exposés à des choses qu’on n’aurait jamais dû voir, raconte la jeune femme qui a aujourd’hui 19 ans. Il y avait tellement de chicanes, de violence entre mes parents que ces derniers oubliaient qu’on était là et qu’on était juste des enfants. » Durant les premiers mois suivant sa majorité, Julie a erré de la maison d’une connaissance à une autre. Elle se sentait de trop partout où elle passait. Puis, l’été dernier, elle a contacté son ancienne travailleuse sociale de la DPJ. Elle l’a implorée de l’aider. Elle n’avait personne d’autre vers qui se tourner. L’intervenante de la DPJ a accepté de l’aider même si son dossier était « fermé ». Le « timing » était parfait. La maison ASPIRE allait ouvrir. Julie a fait visiter sa nouvelle maison à La Presse mardi dernier. « J’ai la plus grande chambre », lance-t-elle, tout sourire. La jeune femme nous montre fièrement sa nouvelle table à dessin – très utile pour ses études collégiales techniques en génie civil. Cinq autres jeunes y vivent. « Je me sens à l’aise parmi eux. Ils sont passés par les mêmes choses que moi, raconte-t-elle. Ça me donne le courage de m’exprimer sur ce que je vis. »

LA MAISON

Les jeunes qui y sont hébergés – tous d’anciens enfants de la DPJ – peuvent y faire un séjour maximum de deux ans. Ils doivent être aux études ou avoir un travail. Ils paient un loyer mensuel de 200 $. Lors de leur départ, 50 % du coût du loyer leur est remis. Cette formule est une première au Québec, selon Marie-Josée Roy, chef de service transition à la vie adulte au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. Aucun intervenant de la DPJ n’y travaille même si la maison est la propriété de l’État. Un jeune mentor – issu de la communauté – réside avec les jeunes. Il assure une supervision minimale et il conseille les jeunes dans leur recherche d’emploi, la gestion de leur budget, l’obtention de prêts et bourses, etc. « Certains jeunes ont été placés depuis leur enfance. Ils sont habitués à ce qu’on fasse tout pour eux : la cuisine, la prise de rendez-vous médicaux, etc., décrit Mme Roy. L’idée, c’est de développer leur autonomie dans un contexte sécuritaire. » La Fondation des Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw a meublé la maison, en plus d’offrir des bourses aux résidants qui poursuivent leurs études comme Julie.

LA MENTOR

Jessica Perreault-Howarth vit à la maison ASPIRE depuis juillet. Cette étudiante en travail social de 33 ans joue le rôle de mentor auprès des jeunes qui y sont hébergés. « J’éprouve un sentiment quasi maternel pour ces jeunes. En même temps, ils sont adultes ; ils font ce qu’ils ont à faire et moi, ma job, c’est de m’assurer qu’ils vont bien. » Elle s’est engagée à y vivre durant un an. En échange, son loyer est payé. La future travailleuse sociale n’a pas de bureau. Elle jase avec ses « colocs » en faisant la vaisselle ou en préparant le souper avec eux le soir. « Ce sont des jeunes qui ont de la difficulté à faire confiance aux adultes dans leur vie. Cette confiance est longue à bâtir. Il faut être présente et patiente, décrit-elle. Ils peuvent parfois me tester du genre : si je te crie après, seras-tu encore là demain ? Si je fais une erreur, vas-tu me donner une seconde chance ? Ils ont tellement vécu d’abandons. »

* Julie a choisi un nom fictif, mais son histoire ne l’est pas.

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D’« enfant de la DPJ » à étudiant au postsecondaire

Sophie Roy ne pensait jamais pouvoir aller au cégep.

Cette « enfant de la DPJ » a été placée dans un foyer de groupe du centre jeunesse de la Montérégie durant deux ans à la fin de son adolescence.

« Je rêvais de poursuivre mes études, mais je n’en avais pas les moyens. Dans ma tête, à 18 ans, comme je devais quitter le foyer de groupe, j’allais être forcée d’arrêter l’école et commencer à travailler pour gagner ma vie », raconte la jeune femme qui a aujourd’hui 19 ans.

Comme bien des « enfants de la DPJ », Sophie ne peut pas compter sur le soutien de sa famille.

À 18 ans, elle était résignée à se trouver un emploi au salaire minimum pour survivre.

Au même moment, son travailleur social lui a parlé d’un tout nouveau programme – baptisé projet CLÉ – mis sur pied par le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Est.

Le projet offre à des « enfants de la DPJ » un soutien financier de 5000 $ par an pour les aider à payer leurs droits de scolarité, leur logement et leurs frais de subsistance. Il est financé par la Fondation du Centre jeunesse de la Montérégie grâce à des dons privés.

En guise de « cadeau de graduation », ces jeunes reçoivent 3000 $ supplémentaires pour rembourser leur prêt étudiant lorsqu’ils obtiennent un diplôme postsecondaire.

Mais plus important encore, on leur fournit un mentor bénévole issu de la communauté qui s’engage à les conseiller jusqu’à la fin de leurs études.

C’est ici que Linda Rouleau entre dans la vie de la jeune Sophie.

Mme Rouleau, gestionnaire immobilière à la société Cominar et elle-même mère de famille, ne connaissait rien des rouages de la DPJ avant qu’une amie lui parle du projet CLÉ lors d’une soirée caritative.

« Franchement, je ne savais pas ce qui arrivait avec les jeunes des centres jeunesse lorsqu’ils atteignaient 18 ans », a-t-elle raconté à La Presse

« J’ai eu des frissons quand on m’a raconté qu’il leur était pratiquement impossible de poursuivre des études postsecondaires et que je pouvais contribuer à les aider. »

— Linda Rouleau

Depuis le début de leur jumelage en août, la mentor et l’étudiante se voient tous les mois. Sophie peut parler durant des heures de ses études en architecture. Elle termine la troisième session de sa technique de trois ans. Elle aimerait poursuivre à l’université dans le même domaine.

« Ça a changé mon avenir »

Même si rien ne les destinait à se rencontrer, elles se sont trouvé plein d’intérêts communs. La fille de 18 ans de Mme Rouleau s’est liée d’amitié avec Sophie. « On a développé une relation comme une nouvelle famille », décrit la mentor.

« Ça a changé mon avenir », lance la jeune femme de 19 ans, avec émotion. « Ma famille est peu présente, poursuit-elle. La famille qui est là pour m’épauler, c’est celle de Linda. »

« Puis, elle réussit bien en plus, Sophie », enchaîne la mentor, la fierté perceptible dans la voix.

Au terme de ses études en architecture, Sophie caresse le rêve de concevoir… un foyer de groupe de la DPJ. Les foyers dans lesquels sont placés les enfants de la DPJ sont-ils vétustes, Sophie ?

« Il y a place à l’amélioration.  J’aimerais redonner à ceux qui m’ont aidée à réaliser mon rêve. »

— Sophie Roy

Depuis des années, le centre jeunesse de la Montérégie met beaucoup d’efforts sur la scolarité des jeunes qui leur sont confiés, notamment en tentant le plus possible de maintenir ces derniers dans leur école de quartier, dit la chef de service à la direction adjointe du programme jeunesse du CISSS de la Montérégie-Est (qui englobe désormais le centre jeunesse), Sophie Dubuc.

Or, ces jeunes – qui ont les capacités de poursuivre leurs études après leurs 18 ans – abandonnent trop souvent l’école par manque de moyens et de soutien.

« Pour nous, c’était une catastrophe avec tout ce qu’on avait investi comme temps et énergie. On n’arrivait pas à nos fins », explique Mme Dubuc.

« On était très préoccupés par le fait que la possibilité des jeunes de poursuivre leurs études après 18 ans était très limitée, voire nulle », ajoute pour sa part la directrice générale de la Fondation du Centre jeunesse de la Montérégie, Suzie Roy.

Un projet « victime » de sa popularité

Le projet a débuté en septembre 2015 de façon modeste – six jeunes ont reçu de l’aide la première année. Depuis, 33 jeunes en ont bénéficié dont certains ont déjà obtenu leur diplôme. Certains ont fait des DEP, d’autres sont à l’université.

Le projet est aujourd’hui « victime » de sa popularité. Des jeunes sont sur une liste d’attente. La Fondation du Centre jeunesse de la Montérégie est à la recherche de mentors et de nouveaux donateurs.

Les mentors – qui peuvent provenir de n’importe quel domaine – sont épaulés par des intervenants de la DPJ spécialisés dans la réadaptation pour les guider dans leur bénévolat. 

« On ne veut pas des mentors qui lâchent en cours de route, car ces jeunes-là ont déjà vécu trop d’abandons. »

— Sophie Dubuc

Un programme visant à « qualifier » les jeunes de la DPJ financé par l’État existe depuis 2002 à travers le Québec (Programme qualification des jeunes), mais il ne finance pas les études jusqu’à l’obtention d’un diplôme postsecondaire comme le fait le projet CLÉ.

Le programme québécois débute lorsque le jeune a 16 ans et s’arrête lorsque ce dernier fête ses 19 ans (alors que le projet CLÉ ne fixe pas de limite d’âge). Pendant cette période, un éducateur de la DPJ le guide vers la vie adulte en l’aidant à trouver un logement, un emploi ou une formation « qualifiante ».

En Montérégie, la DPJ « superpose » les deux programmes pour offrir le plus d’aide possible aux jeunes, souligne la PDG adjointe du CISSS de la Montérégie-Est, Catherine Lemay.

« À ma connaissance, on est les seuls au Québec à offrir un projet aussi complet pour accompagner le jeune de sa majorité jusqu’à la fin de ses études », dit la PDG qui a l’« ambition secrète » d’étendre le projet CLÉ dans tous les services de protection de l’enfance à travers le Québec.

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