Sophie Roy ne pensait jamais pouvoir aller au cégep.
Cette « enfant de la DPJ » a été placée dans un foyer de groupe du centre jeunesse de la Montérégie durant deux ans à la fin de son adolescence.
« Je rêvais de poursuivre mes études, mais je n’en avais pas les moyens. Dans ma tête, à 18 ans, comme je devais quitter le foyer de groupe, j’allais être forcée d’arrêter l’école et commencer à travailler pour gagner ma vie », raconte la jeune femme qui a aujourd’hui 19 ans.
Comme bien des « enfants de la DPJ », Sophie ne peut pas compter sur le soutien de sa famille.
À 18 ans, elle était résignée à se trouver un emploi au salaire minimum pour survivre.
Au même moment, son travailleur social lui a parlé d’un tout nouveau programme – baptisé projet CLÉ – mis sur pied par le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Est.
Le projet offre à des « enfants de la DPJ » un soutien financier de 5000 $ par an pour les aider à payer leurs droits de scolarité, leur logement et leurs frais de subsistance. Il est financé par la Fondation du Centre jeunesse de la Montérégie grâce à des dons privés.
En guise de « cadeau de graduation », ces jeunes reçoivent 3000 $ supplémentaires pour rembourser leur prêt étudiant lorsqu’ils obtiennent un diplôme postsecondaire.
Mais plus important encore, on leur fournit un mentor bénévole issu de la communauté qui s’engage à les conseiller jusqu’à la fin de leurs études.
C’est ici que Linda Rouleau entre dans la vie de la jeune Sophie.
Mme Rouleau, gestionnaire immobilière à la société Cominar et elle-même mère de famille, ne connaissait rien des rouages de la DPJ avant qu’une amie lui parle du projet CLÉ lors d’une soirée caritative.
« Franchement, je ne savais pas ce qui arrivait avec les jeunes des centres jeunesse lorsqu’ils atteignaient 18 ans », a-t-elle raconté à La Presse.
« J’ai eu des frissons quand on m’a raconté qu’il leur était pratiquement impossible de poursuivre des études postsecondaires et que je pouvais contribuer à les aider. »
— Linda Rouleau
Depuis le début de leur jumelage en août, la mentor et l’étudiante se voient tous les mois. Sophie peut parler durant des heures de ses études en architecture. Elle termine la troisième session de sa technique de trois ans. Elle aimerait poursuivre à l’université dans le même domaine.
« Ça a changé mon avenir »
Même si rien ne les destinait à se rencontrer, elles se sont trouvé plein d’intérêts communs. La fille de 18 ans de Mme Rouleau s’est liée d’amitié avec Sophie. « On a développé une relation comme une nouvelle famille », décrit la mentor.
« Ça a changé mon avenir », lance la jeune femme de 19 ans, avec émotion. « Ma famille est peu présente, poursuit-elle. La famille qui est là pour m’épauler, c’est celle de Linda. »
« Puis, elle réussit bien en plus, Sophie », enchaîne la mentor, la fierté perceptible dans la voix.
Au terme de ses études en architecture, Sophie caresse le rêve de concevoir… un foyer de groupe de la DPJ. Les foyers dans lesquels sont placés les enfants de la DPJ sont-ils vétustes, Sophie ?
« Il y a place à l’amélioration. J’aimerais redonner à ceux qui m’ont aidée à réaliser mon rêve. »
— Sophie Roy
Depuis des années, le centre jeunesse de la Montérégie met beaucoup d’efforts sur la scolarité des jeunes qui leur sont confiés, notamment en tentant le plus possible de maintenir ces derniers dans leur école de quartier, dit la chef de service à la direction adjointe du programme jeunesse du CISSS de la Montérégie-Est (qui englobe désormais le centre jeunesse), Sophie Dubuc.
Or, ces jeunes – qui ont les capacités de poursuivre leurs études après leurs 18 ans – abandonnent trop souvent l’école par manque de moyens et de soutien.
« Pour nous, c’était une catastrophe avec tout ce qu’on avait investi comme temps et énergie. On n’arrivait pas à nos fins », explique Mme Dubuc.
« On était très préoccupés par le fait que la possibilité des jeunes de poursuivre leurs études après 18 ans était très limitée, voire nulle », ajoute pour sa part la directrice générale de la Fondation du Centre jeunesse de la Montérégie, Suzie Roy.
Un projet « victime » de sa popularité
Le projet a débuté en septembre 2015 de façon modeste – six jeunes ont reçu de l’aide la première année. Depuis, 33 jeunes en ont bénéficié dont certains ont déjà obtenu leur diplôme. Certains ont fait des DEP, d’autres sont à l’université.
Le projet est aujourd’hui « victime » de sa popularité. Des jeunes sont sur une liste d’attente. La Fondation du Centre jeunesse de la Montérégie est à la recherche de mentors et de nouveaux donateurs.
Les mentors – qui peuvent provenir de n’importe quel domaine – sont épaulés par des intervenants de la DPJ spécialisés dans la réadaptation pour les guider dans leur bénévolat.
« On ne veut pas des mentors qui lâchent en cours de route, car ces jeunes-là ont déjà vécu trop d’abandons. »
— Sophie Dubuc
Un programme visant à « qualifier » les jeunes de la DPJ financé par l’État existe depuis 2002 à travers le Québec (Programme qualification des jeunes), mais il ne finance pas les études jusqu’à l’obtention d’un diplôme postsecondaire comme le fait le projet CLÉ.
Le programme québécois débute lorsque le jeune a 16 ans et s’arrête lorsque ce dernier fête ses 19 ans (alors que le projet CLÉ ne fixe pas de limite d’âge). Pendant cette période, un éducateur de la DPJ le guide vers la vie adulte en l’aidant à trouver un logement, un emploi ou une formation « qualifiante ».
En Montérégie, la DPJ « superpose » les deux programmes pour offrir le plus d’aide possible aux jeunes, souligne la PDG adjointe du CISSS de la Montérégie-Est, Catherine Lemay.
« À ma connaissance, on est les seuls au Québec à offrir un projet aussi complet pour accompagner le jeune de sa majorité jusqu’à la fin de ses études », dit la PDG qui a l’« ambition secrète » d’étendre le projet CLÉ dans tous les services de protection de l’enfance à travers le Québec.