Les auteurs

Bien plus qu’écrire des jokes

Les humoristes travaillent rarement seuls. Derrière leur talent se cachent la plupart du temps un ou plusieurs auteurs, qui savent tout de ce qui se passe dans leur tête. Trois d’entre eux démystifient leur travail.

Humour

Odrée Rousseau
Auteure pour Mariana Mazza

Qui ?

Diplômée de l’École nationale de l’humour, volet auteur, en 2014, Odrée Rousseau vient d’avoir 30 ans. Elle a collaboré à l’écriture du spectacle Femme ta gueule de Mariana Mazza et travaille entre autres avec Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, Eve Côté des Grandes crues et Eddy King.

Ses débuts

Fan d’humour, Odrée Rousseau a connu Mariana Mazza quand elle se produisait encore dans les bars. Au moment de créer son premier spectacle, l’humoriste, qui avait déjà son équipe, a commencé à envoyer des textes à Odrée Rousseau en lui demandant de les commenter. « Je me souvenais de l’avoir vue tester le numéro de la diva cup, et je lui ai fait plein de suggestions. J’en avais plein aussi pour son numéro de la masturbation sous la douche. » C’est donc grâce à son « expertise féminine » qu’elle s’est retrouvée membre de l’équipe de Mariana Mazza, avec Justine Philie, notamment. « Pour vrai, ç’a commencé comme ça. J’étais juste embarquée sur le spectacle en venant aux rodages, et je suis devenue auteure à part entière. »

Un truc de pro

« Il faut savoir s’adapter à l’humoriste avec qui on travaille, dit Odrée Rousseau. Je ne suggérerais jamais la même joke à Eddy qu’à Eve. » Il faut donc se mouler à l’univers de chacun, aux sujets, à la manière avec laquelle les humoristes se comportent sur scène. « Quand tu les connais bien, tu mesures mieux ce que tu peux proposer. Il faut que tu comprennes ce qu’ils veulent dire et de quelle façon. » Elle avoue avoir accepté des contrats « en se faisant violence », mais, ajoute-t-elle, « un bon auteur est capable d’intégrer différents univers ».

Humoriste frustrée ?

« Je ne pensais pas que c’était possible de faire de l’humour sans faire de scène », dit Odrée Rousseau, qui n’a mis que six mois après sa sortie de l’École nationale de l’humour pour gagner sa vie avec sa plume. Alors non, la jeune auteure n’est pas une humoriste frustrée. « Vraiment pas ! Monter sur scène, ça m’attire zéro. Je n’ai jamais recherché ça. J’ai beaucoup de plaisir dans l’ombre, assise avec mon laptop dans le coin d’une salle. J’admire beaucoup les humoristes, je les adore, mais je me demande comment ils font pour aller au bat constamment. » L’auteure prend tout de même plaisir à entendre les gens rire de ses blagues. « Quand Mariana fait des grosses salles et que tu entends des milliers de personnes rire de tes jokes, t’es contente pour ton amie, mais tu te dis : il y a un peu de moi là-dedans… »

Humour

Christian Viau,
Auteur pour Laurent Paquin

Qui ?

À 42 ans, Christian Viau est un vieux routier de l’écriture humoristique. Il a été auteur pour les galas Juste pour rire et a travaillé avec Rachid Badouri, Jean-Marc Parent et Laurent Paquin notamment. Il est aussi directeur de la programmation du festival d’humour Montréal Comédie Fest.

Humoriste frustré ?

Christian Viau a été accepté à l’École nationale de l’humour, dans le volet humoriste, en 2000. Il a ensuite fait de la scène pendant plusieurs années, entre autres en assurant des premières parties pour Mike Ward, Maxim Martin et Louis-José Houde, avant de tout arrêter en 2007. « Je me suis rendu compte que ça prend quelque chose de magique pour faire de la scène, et que moi, c’est plutôt en écriture que je l’avais », dit Christian Viau, qui a pour mentor François Avard. Malgré tout, il n’a jamais pris officiellement sa retraite de la scène. « Je dis toujours que ça va arriver à un moment donné. Je ne suis pas un humoriste frustré, je suis un humoriste déçu. Mais je suis tellement heureux dans ce que je fais, je ne suis pas à plaindre. »

Les débuts

La première vraie collaboration de Christian Viau a été avec Rachid Badouri. Après, sa carrière d’auteur a pris son envol. « On se connaissait déjà, il était en train d’écrire son premier spectacle et n’était pas super satisfait de ses auteurs. Il m’a demandé qu’on travaille sur son numéro d’agent de bord. On s’est rencontrés dans un café à Anjou, on a parlé pendant deux heures, j’ai écrit toute la nuit et le lendemain, il avait un numéro. À partir de là, on a écrit son premier show ensemble au complet. » Quelle est la qualité principale d’un auteur ? « L’adaptation. Peut-être que j’ai l’avantage d’avoir fait de la scène, donc d’être capable de me mettre à leur place », dit Christian Viau, qui explique que l’écriture humoristique est très mathématique. « Les virgules, les points de suspension, tout. J’écris tel que ça doit être dit. »

La méthode

Christian Viau travaille avec Laurent Paquin depuis 2009, tant à la radio que sur des spectacles solos, dont le plus récent, Déplaire. Mais il n’est pas le seul auteur à faire partie de son équipe. « Laurent travaille depuis toujours avec Sylvain Larocque. Je me suis greffé à eux, puis on a inclus Julien Trapp. En même temps, Laurent est une machine d’écriture. Je me souviens d’une rencontre à quatre dans sa cuisine ; 80 % du dernier show était déjà écrit. Julien avait dit : “C’est pas que je ne veux pas embarquer, mais c’est déjà bon de même !” » Leur travail aura été bien sûr d’écrire, mais aussi de peaufiner et de tester. « Laurent fait aussi un dispatch. Il me disait : “Comme t’es le seul de mes auteurs à avoir des enfants, peux-tu écrire pour le numéro des anecdotes de voyage en auto ?” » Bien connaître son humoriste reste donc un avantage. « Avec Laurent, on connecte sur tellement de choses. On est des chums dans la vie, on a des enfants du même âge, ce sont des détails qui font que tu communiques mieux en écriture. »

Humour

Olivier Thivierge
Auteur pour François Bellefeuille

Qui ?

Olivier Thivierge a étudié à l’École nationale de l’humour en 2007, volet auteur. En plus de travailler avec François Bellefeuille, il écrit pour Simon Leblanc et Julien Lacroix.

Sa méthode

Olivier Thivierge a connu François Bellefeuille à l’École nationale de l’humour et l’a contacté pour collaborer avec lui bien avant qu’il ne soit connu. « J’ai proposé de lui envoyer des gags après l’avoir vu au Saint-Ciboire, ça faisait seulement quelques shows qu’il avait trouvé son personnage de scène. » De quoi a l’air la vie d’un auteur d’humour ? « J’écris beaucoup, mais j’ai aussi beaucoup de réunions. Je ne reste pas juste chez moi à répondre à des commandes. » Avec François Bellefeuille et Simon Cohen, l’autre auteur du spectacle, il y a beaucoup de collaboration. « Le monde pense qu’on écrit tous les textes de François, mais la base vient tout le temps de lui. Après, on retravaille ensemble. Il ne dit pas : ‟OK, là, écris-moi un numéro sur l’hiver !” Ça perdrait de sa couleur et les gags seraient trop génériques. »

Un truc de pro

Il est important de bien connaître son humoriste quand on écrit pour quelqu’un. « J’entends sa voix quand j’écris. C’est comme pour la télévision. Je pense aux personnages, aux répliques. » L’important est donc de maîtriser son univers. Lui arrive-t-il d’écrire des choses qu’il sait qu’elles ne sont pas pour François ? « Non. Ça arrive plus souvent que je vais écrire de mauvais gags [rires]. » Ces mauvais gags se rendent rarement jusqu’à l’humoriste, avoue-t-il. « Mais il faut prendre des risques aussi », dit Olivier Thivierge, qui travaille en ce moment avec François Bellefeuille sur l’émission spéciale qui sera présentée en janvier sur Netflix, et sur les nouveaux numéros qu’il est en train de tester après ses spectacles.

Humoriste frustré ?

Olivier Thivierge n’a jamais rêvé des feux de la rampe. « Le stress de monter sur scène, ce n’est pas pour moi. La scène vient avec plus de récompenses, mais plus de pression aussi », dit l’auteur, qui a toujours su que c’est dans l’écriture qu’il s’amusait le plus. « J’ai fait de l’impro, j’aimais ça, mais l’idée d’aller sur scène seul, non. » Il avoue qu’il est gratifiant d’entendre le public rire de ses blagues. « C’est sûr qu’on préfère que l’ensemble du numéro marche, mais quand c’est notre gag, on est satisfait. C’est l’fun d’entendre le monde rire, mais on ne se dit jamais : ‟ah, j’aimerais être là à sa place”. »

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