PARLONS GUENILLES

À bientôt, Hélène !

C’est en septembre prochain que le sevrage se fera sentir. Triste nouvelle : après plus de 20 ans, la boutique Hélène Barbeau, érigée boulevard Saint-Laurent, fermera ses portes. La designer est mon amie ; un lien qu’elle a d’ailleurs créé avec beaucoup de ses clientes.

Celle qui a étudié en tourisme au début des années 80, la fille qui a payé tous ses frais de scolarité en vendant des pièces de vêtements qu’elle fabriquait dans son petit appartement, a eu, à la fin de son bac, une vision : sa destinée, c’était dessiner et coudre des vêtements. Une continuité, en somme, pour une fille qui aimait, déjà toute jeune, les virées chez Marshalls et la couture en famille. C’était inscrit dans son ADN.

Elle est retournée à l’école, à Pierre-Dupuy, au programme d’éducation des adultes. Un concentré pour sa vocation naissante. Elle y a fait une rencontre marquante, celle de Richard Côté, le propriétaire de C’est ma mère qui m’habille (souvenirs, souvenirs).

La vie, ça passe vite ! Ai-je besoin de vous le rappeler ? « Parle-moi de tes bons coups », que je lui demande. « Ma première commande ! J’étais folle comme un balai, une toute petite boutique au coin de Villeneuve et Hutchison, 600 $ ! » Elle enchaîne aussitôt dans son style turbo-Barbeau : « Ensuite, quatre pièces en lin, achetées par la boutique Revenge, et j’ai aussi vendu chez Midi-Neuf, te souviens-tu ? » On est en pleines réminiscences de cet âge d’or de la mode québécoise et Hélène lance une fleur à Francine Fontaine, propriétaire de la boutique Revenge : « Elle organisait tellement d’événements ! Son apport à l’essor de la mode d’ici est incroyable ! »

C’est à la même époque que naît la signature Barbeau. À l’aide de sa patronniste Simone, cent fois sur le métier Hélène perfectionne ses modèles, bâtit ses vestes, ses robes et ses pantalons indémodables, seyants et, le qualificatif aura peut-être l’air bizarre, sécurisants. Oui, le motto de toutes les filles qui fréquentent la boutique est : dans le doute, porte du Barbeau.

« Je fais des vêtements de jour, pour tous les jours », dit Hélène avant d’ajouter fermement : « Je me suis toujours tenue loin du frill ! » Il ne faudrait surtout pas penser que ses collections manquaient d’audace, loin de là. Hélène, admiratrice de Dries Van Noten et de Raf Simons, entre autres, a souvent offert des propositions plus champ gauche, mais, comme elle l’affirme, elle a « toujours eu du plaisir à répondre à la demande des clientes et à leur offrir du service, à des prix raisonnables ».

Je m’ennuie déjà. Je pose la question : « Mais qu’est-ce qui se passe avec la mode d’ici ? » Hélène est plus posée : « Quand j’ai commencé, la mode était à la mode, il y avait des salons, des émissions à MusiquePlus et, en plus, il y avait une ferveur pour acheter local, un véritable engouement. Aujourd’hui, il y a beaucoup, beaucoup d’offres, des grandes chaînes qui vendent des vêtements fraîchement copiés des runways... Je ne peux pas vendre à des prix aussi bas. Et je ne te parle pas de tout ce qu’on peut acheter en ligne. Pis aujourd’hui, c’est la bouffe qui est à la mode. »

Pas complètement défaitiste, mais tout de même concernée, Hélène s’inquiète, avec raison, de constater que parfois, la création d’ici finit à la braderie… Alors, consciente de l’opportunité qu’elle a eue d’avoir pignon sur rue si longtemps, Hélène prendra une pause et fermera à la fin juin.

« Qu’aimerais-tu faire après ? », que je lui dis, la soupçonnant d’y avoir réfléchi. « Beaucoup de clientes m’ont demandé si j’aimerais faire du magasinage personnel et ça me tente. J’aimerais aussi me faire une place en télévision et en cinéma. » « Et pour habiller qui, par exemple ? », que j’ajoute. Elle commence lentement : « Quelqu’un qui a du plaisir, qui connaît la mode, qui a de l’audace… » Elle allume : « Une fille comme Pénélope McQuade, elle peut être sophistiquée, porter un look scandinave et elle est trippante même en runnings… » Elle s’emballe : « Je rêve de rouler un rack de vêtements à quelqu’un et lui dire : Go ! On essaye, on va dans toutes les directions ! » Ça, c’est mon Hélène.

Vous vous demandez ce qu’il se passera d’ici la fermeture, en juin ? « Des soldes, c’est déjà commencé ! Je vais revisiter mes basiques avec tous les beaux tissus qu’il me reste dans l’atelier et je vais continuer à expérimenter avec la peinture sur tissu », confie celle qui a toujours su élever les standards, à sa façon.

Cela m’apaise un peu, je ferai le plein de vestes parfaites, de robes polyvalentes et toujours élégantes, et surtout de ses pantalons, si seyants, à l’architecture qui répond parfaitement à ce que toutes les filles aiment.

Hélène a toujours eu un joker dans sa poche… bien cousue.

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