Mon clin d’œil

« Chéri, si j’étais toi, je ne mettrais pas ma cravate jaune. »

— Isabelle Brais à François Legault avant sa rencontre avec Emmanuel Macron

Réplique

Rêver d'un réseau scolaire public unifié

En réponse au texte d’Égide Royer, « Trois constats alarmants sur nos écoles », publié le 3 janvier dernier.

Monsieur Royer, vous identifiez dans votre texte du 3 janvier dernier trois indicateurs critiques de notre système éducatif. Le premier de tous, ce sont les 42 % d’élèves québécois qui au secondaire fréquentent le privé subventionné ou le public sélectif. Vous écrivez que « ce tamisage amène plusieurs écoles “ordinaires” à accueillir un nombre disproportionné d’élèves présentant des retards d’apprentissage importants ou des besoins particuliers, entre autres en ce qui a trait aux difficultés émotives et comportementales ». Et vous avez tout à fait raison.

Cet enjeu, celui de la ségrégation scolaire, c’est-à-dire la séparation des enfants en fonction de leurs notes ou du revenu de leurs parents, est crucial. De tous les leviers disponibles sur le tableau de bord du Conseil des ministres, celui qui permet de mettre fin à notre politique officieuse de ségrégation scolaire est de loin le plus déterminant pour le futur du Québec.

Vous connaissez comme moi les constats implacables du Conseil supérieur de l’éducation : « La stratification de l’offre de formation – causée par la multiplication des programmes particuliers sélectifs et des établissements privés – entraîne des inégalités de traitement au bénéfice des plus favorisés. Autrement dit, ceux qui en auraient le plus besoin ne profitent pas des meilleures conditions pour apprendre, ce qui est contraire à l’équité. »

Or l’équité, qui est maximale quand il n’y a pas de ségrégation scolaire, est un véritable moteur de réussite.

« Le statut socio-économique a une forte incidence sur la performance des élèves, mais dans les systèmes d’éducation plus équitables, davantage d’élèves défavorisés sont performants », nous a dit l’OCDE en octobre dernier. Résumons : plus de diversité sociale conduit à plus d’équité, ce qui permet ensuite de meilleurs résultats scolaires d’ensemble. La recherche atteste de l’impact positif de l’équité sur la moyenne générale ; l’impact est encore plus fort pour ce qui est de la baisse du taux de décrochage.

Vous noterez par ailleurs que la recherche ne se limite pas à étudier les élèves en difficulté, mais considère l’effet de la variable socio-économique sur l’ensemble des élèves. Il faut à mon avis porter l’analyse à ce niveau tant il est déterminant. Le Mouvement L’école ensemble a fait réaliser une analyse à partir de la banque de données de PISA ; elle nous a permis de constater qu’il y a six fois plus d’enfants défavorisés dans les écoles publiques ordinaires et sélectives combinées qu’au privé. Nous avons dû recourir aux statistiques de PISA, car le ministère de l’Éducation ne fait pas ces calculs, trop explosifs politiquement.

La gestion des méfaits

Là où nous divergeons d’opinion, Monsieur Royer, c’est pour ce qui est des solutions. Vous proposez des quotas d’élèves en difficulté ou handicapés (EHDAA) dans les réseaux public sélectif et privé subventionné, de manière à mieux répartir la tâche pour les enseignants. C’est une proposition que faisait le Parti québécois à la dernière campagne. Il s’agit là d’une vieille stratégie : la gestion des méfaits.

Cette stratégie postule que l’école privée subventionnée est là pour de bon, comme si elle nous était imposée par quelque force supérieure, et qu’il faut tâcher de simplement gérer les déséquilibres qu’elle cause. La montée en force du réseau public sélectif (écoles internationales, alternatives, arts-études, etc.) créé pour concurrencer l’école privée sur son terrain, celui de la sélection, est un fruit de cette stratégie. On peut aussi penser aux fonds spéciaux saupoudrés dans les milieux défavorisés. Votre proposition de quotas d’élèves EHDAA procède aussi de la gestion des méfaits.

Des quotas seraient non seulement difficiles à appliquer (le privé ne renoncera pas à son droit de renvoyer des élèves pour, comme une montgolfière jetant du lest, maintenir « ses » résultats), mais ils seraient forcément biaisés (le privé accepterait les enfants EHDAA de parents riches).

Plus fondamentalement, cette solution ne règle pas le problème que vous identifiez à juste titre.

Pourquoi donc s’interdire de s’attaquer aux sources mêmes de notre système injuste ?

Il faut abolir le réseau public sélectif et mettre fin aux subventions aux écoles dites privées. Ce qui se passera ? Une poignée d’écoles privées pourra continuer à offrir son produit (en Ontario, où le privé n’est pas subventionné, 5 % des enfants fréquentent ce réseau). La majorité d’entre elles toutefois n’auront pas de marché pour leur offre et devront se céder aux commissions scolaires. Ainsi naîtront des bassins scolaires étanches (fin du contournement de la carte scolaire) que les commissions scolaires auront la responsabilité de rendre les plus socialement mixtes possible.

Ces deux solutions donneront naissance à un nouveau réseau public unifié et dynamisé par un afflux massif d’élèves provenant du privé subventionné et du public sélectif.

Les effets sur le bien-être des enfants, des parents et du personnel scolaire seront immédiats. S’ensuivront une hausse de la « moyenne générale du Québec » et la baisse tant souhaitée de notre taux de décrochage stratosphérique.

J’espère que cette lettre ouverte entamera entre nous un dialogue au sujet de ce qui demeure l’enjeu social le plus fondamental pour les Québécois.

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