Chronique

Dans l’ombre d’Airbus

La présence de Bombardier au Salon international de l’aéronautique de Farnborough, qui s’ouvrira lundi prochain en banlieue de Londres, sera assurément plus discrète que par le passé puisque la multinationale québécoise sera bien obligée de naviguer dans l’ombre de son nouveau partenaire Airbus. Un partenaire qui occupe déjà passablement d’espace depuis qu’il a pris officiellement le contrôle de la C Series, il y a tout juste deux semaines.

On l’a bien vu en début de semaine, Airbus a décidé d’assumer pleinement son rôle d’actionnaire de contrôle de la nouvelle famille d’avions commerciaux qu’a conçue et développée Bombardier, qui y avait injecté plus de 7 milliards US dans les huit dernières années.

Mardi, le jour même où Airbus annonçait le changement de nom du programme de la C Series pour celui d’A220, le géant européen dévoilait une entente avec le transporteur au rabais américain JetBlue pour une commande ferme de 60 appareils A220-300.

Une bagatelle de 5,4 milliards US, rien que la deuxième commande en importance de la jeune histoire de l’avion développé à Montréal.

Qu’Airbus change la dénomination du programme de la C Series n’a surpris personne. Il était dans l’ordre des choses que le constructeur européen cherche à uniformiser son offre de produits en y intégrant le tout dernier arrivé.

Ce qui m’a davantage étonné et même un peu choqué, c’est qu’Airbus décide d’annoncer l’importante commande avec le transporteur JetBlue une semaine avant la tenue du Salon aéronautique de Farnborough.

Pour avoir assisté à une vingtaine de ces rencontres annuelles de l’aéronautique qui se déroulent en alternance à Londres et à Paris, j’ai bien compris que c’est le lieu hautement privilégié par tous les avionneurs pour dévoiler leurs plus récentes avancées commerciales.

C’est le théâtre des guerres incessantes entre constructeurs, que ce soit entre Boeing et Airbus ou entre Bombardier et Embraer. Une guerre qui se déroule sur le front des contrats gagnés ou perdus.

Si Bombardier avait toujours été aux commandes de la C Series, on aurait annoncé cette importante commande de JetBlue à Farnborough, avec canapés et champagne. Pas une semaine avant le show de l’année, dans le quasi-anonymat, comme si on dévoilait le nom du nouveau fournisseur des moquettes qui vont tapisser l’allée des avions.

La C Series banalisée

J’ai comme l’impression qu’Airbus a voulu vite se débarrasser de cette annonce afin d’avoir le champ libre à Farnborough pour annoncer les vraies affaires, soit les commandes de ses gros appareils A320, A330 et A350.

L’an dernier, au Salon du Bourget, Airbus avait annoncé la signature de 144 commandes fermes et de 182 lettres d’intention totalisant 39,7 milliards US. L’année précédente, à Farnborough, c’était 279 commandes, dont 197 commandes fermes.

Bref, les petits A220 dont vient tout juste d’hériter Airbus ne seront pas une distraction, la semaine prochaine, quand viendra le temps d’affronter Boeing sur le ring, en espérant le supplanter de quelques dizaines de milliards en nouveaux contrats.

Mine de rien

Mine de rien, toutefois, on voit bien que la traction de la C Series est de plus en plus ancrée dans la réalité du marché. Avec la dernière commande de JetBlue, Bombardier cumule un carnet de commandes de 462 appareils.

Le PDG d’Airbus a indiqué cette semaine que d’autres ententes seraient signées d’ici la fin de l’année. Ce qui est une excellente nouvelle pour Bombardier, mais aussi pour le gouvernement du Québec, partenaire minoritaire du programme A220.

Plus le carnet de commandes de l’A220 s’épaissit, plus les actionnaires minoritaires (Québec et Bombardier) vont s’enrichir lorsqu’Airbus devra les racheter une fois que le partenariat arrivera à échéance en 2025.

Les commentaires du président de JetBlue voulant que les appareils de la C Series soient nettement supérieurs aux nouveaux appareils de 100 places d’Embraer viennent confirmer l’avancée dont dispose Airbus pour accroître le rayonnement de l’A220 et pour accélérer la cadence des nouvelles commandes.

Bombardier prévoit terminer son exercice financier en dégageant des liquidités excédentaires et le titre boursier de la société s’est apprécié de plus de 80 % depuis le début de l’année. Dans sept ans, le petit 49,9 % que détiennent Québec et Bombardier dans l’A220 pourrait fort bien valoir une petite fortune.

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