Hockey

Pour en finir avec le copinage

Chaque année, la sélection des joueurs de hockey mineur donne lieu à des accusations de copinage. Pour en finir avec les conflits d’intérêts, une association de hockey mineur sur la Rive-Sud a pris les grands moyens : elle a engagé une firme externe pour former les équipes. Une petite révolution qui semble porter ses fruits.

Avec la fin de l’été et la rentrée des classes revient chaque année une tradition capable d’enflammer les quatre coins du Québec : la sélection des équipes de hockey mineur.

Chaque année, les accusations de copinage fusent. Chaque année, des jeunes se font reléguer, d’autres sont promus, mais partout, partout au Québec, des parents se sentent floués. Il y a des mots durs échangés à l’aréna, il y a les lettres pleines de menaces voilées, il y a même des juges qui sont appelés en renfort.

L’année dernière, par exemple, un père de Longueuil a saisi les tribunaux : son fils s’était fait ravir un poste de gardien dans le midget BB au profit du fils d’un dirigeant de l’Association de hockey mineur (AHM) locale.

C’est une tradition bien de chez nous et qui semble inévitable. Mais qui ne l’est peut-être pas.

À Sainte-Julie, sur la Rive-Sud, se déroule depuis maintenant sept ans une expérience qui a changé du tout au tout la manière de sélectionner les joueurs. Elle a été mise en place par Éric Boulianne, le président de l’AHM de Sainte-Julie. Ce policier de carrière admet qu’au départ, certains parents n’ont pas apprécié.

« Je suis policier ici depuis 23 ans. La première année, je pensais me faire crever mes pneus d’auto. Mais les gens se gardaient une petite gêne, parce que j’étais policier. C’était “M. Boulianne”, au lieu de “mon sacrament !”. Je pense que ça m’a donné une chance de mettre ça en place. »

— Éric Boulianne, président de l’AHM de Sainte-Julie

Boulianne est arrivé à la tête de la petite association de 850 joueurs il y a huit ans. Au début, il dit qu’il ne voulait pas s’impliquer dans le hockey mineur. « J’avais bien d’autres choses à faire ! Mais je voyais des atrocités, comme des papas qui évaluaient les joueurs. »

Il connaissait Pierre Allard, qui est aujourd’hui préparateur physique du Canadien de Montréal. Allard est aussi propriétaire de la firme Solution Sports, qui se spécialise dans l’évaluation des joueurs.

Il s’est dit que pour en finir avec les chicanes de parents, il valait mieux les sortir du processus de sélection, et par le fait même tous les dirigeants de l’AHM et tous ceux susceptibles d’avoir un conflit d’intérêts. Mieux valait engager une firme externe, même si ça coûterait des sous.

« J’ai dit à mes bénévoles : “Faisons-nous un cadeau. Prenons des gens de l’extérieur pour décider de la composition de nos équipes” », raconte-t-il.

SÉPARÉ DES PARENTS

Jeudi soir, l’aréna de Sainte-Julie bourdonne. Il y a la rentrée des classes, mais il y a aussi la rentrée des glaces. Sur la patinoire, une trentaine de joueurs atomes tourbillonnent autour de cônes orange.

Dans le restaurant qui surplombe la glace, Mathieu Gravel observe les jeunes avec attention. L’évaluateur, employé de Solution Sport, prend des notes sur son ordinateur portable. Gravel a joué dans la LHJMQ et a même été capitaine des Patriotes de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il connaît le hockey. Et pour l’heure, il se concentre sur les habiletés techniques de jeunes de 9 et 10 ans.

« Ce sont les premières évaluations. On se concentre sur la technique : le patin, le maniement de la rondelle, les situations de un contre un. Ça nous permet de séparer le simple du double lettre », explique Gravel, qui passera plus de 90 heures dans les prochaines semaines à observer les joueurs des Grizzlys de Sainte-Julie dans des matchs intra-équipes et hors-concours.

Gravel est protégé par des panneaux qui le séparent des parents. Boulianne explique que lorsqu’ils ont commencé à travailler avec la firme externe, il a insisté sur ce point : « Je ne voulais personne de l’Association autour des évaluateurs. Un seul observateur pouvait être là, parce qu’il n’avait aucun enfant dans l’organisation. Sa mission était de s’assurer que l’Association en avait pour son argent. »

Quand la firme décide quels joueurs vont évoluer dans le BB, le CC ou le simple lettre, elle donne la liste à l’AHM. Pas question de changer les formations. Pierre Allard, qui a eu une carrière de joueur professionnel, explique que sa firme a essayé plusieurs façons de faire. Mais maintenant, elle n’accepte de travailler qu’avec des associations qui lui donnent carte blanche.

« On a essayé d’autres formules. Par exemple, faire une sélection, mais laisser le dernier mot à l’AHM. Mais ça ne fonctionne pas. Il y a tout le temps quelqu’un avec un intérêt quelconque – le père de l’un, l’oncle de l’autre – qui joue avec l’alignement », explique Allard. 

« Maintenant, on n’accepte de travailler que d’une façon : si on nous laisse faire l’équipe et puis c’est tout. »

— Pierre Allard, propriétaire de la firme Solution Sports

Au début, même s’il ne s’est pas fait crever ses pneus, Éric Boulianne a dû se battre pour que l’expérience survive. « Les parents des fois semblent raisonnables, mais dès qu’il est question de leur enfant sur la glace, ils deviennent complètement timbrés. Ils adorent leur enfant, je comprends. Mais des fois, je reçois des courriels complètement déraisonnables, dit-il. Je fais plus de relation d’aide dans mon bénévolat dans le hockey mineur que je peux en faire dans mon travail de policier. »

UN « CADEAU AUX BÉNÉVOLES »

Avec les années, les parents ont compris, dit-il. « Ce n’est pas parfait. Mais Pierre Allard et Mathieu Gravel, ce sont des gens qui ont joué pro. Ils peuvent se tromper. Mais si eux se trompent, n’importe quel parent qui pense connaître le hockey parce qu’il regarde le Canadien le samedi soir risque aussi de se tromper. »

Les AHM qui fonctionnent ainsi au Québec sont rares, peut-être parce qu’elles préfèrent garder le contrôle malgré les accusations de copinage, mais peut-être aussi à cause du coût. Contrairement aux parents, les évaluateurs externes ne sont pas bénévoles. Chaque saison, l’AHM de Sainte-Julie doit débourser 30 000 $ pour faire faire ses équipes.

« Mais c’est un cadeau que l’on fait à nos bénévoles. Parce que l’entraîneur qui doit faire les dernières coupes, s’il écarte l’ami d’un jeune, le fils d’untel, alors il va se faire détester toute la saison, croit Éric Boulianne. Ici, le coach s’en lave les mains. Il peut répondre aux parents que c’est la firme qui a choisi. Ça enlève une pression énorme sur les bénévoles. »

Cette saison est la dernière de Boulianne à la tête de l’Association. Il est bien fier d’avoir instauré un système qui, il l’espère, va lui survivre à Sainte-Julie.

« Ça fait l’envie de bien des associations. Quand je vois ce qui se passe ailleurs : le copinage, la mafia, le manque d’éthique... Ici, il n’y a pas ça. On est bien fiers, dit-il. On est une petite organisation. On fait du bénévolat. Mais on fait les choses comme il faut. »

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