Laval

L’ascension et la déchéance de Gilles Vaillancourt

Au moment de sa démission en 2012, Gilles Vaillancourt occupait la fonction de maire de Laval depuis 23 ans. Son règne, marqué par une grande concentration du pouvoir autour de sa personne, prend fin dans un climat de scandale alors que les allégations de corruption et de collusion visant son administration se multiplient. 

Pendant 23 ans, Gilles Vaillancourt aura été le maire de Laval, mais aussi la coqueluche de l’establishment du monde des affaires. « Une île, une ville, un Gilles. » Ce n’est pas un adage, mais bien une citation recueillie auprès d’un entrepreneur en construction au début des années 90. Pour cet entrepreneur qui aimait les lignes de commandement claires, brasser des affaires à Laval était, disait-il, une véritable joie, car tout y était possible : c’était simple, direct et rentable.

Mais pendant toutes ces années, la rumeur a mis à mal la réputation de Laval. Le régime Vaillancourt est rapidement devenu synonyme de contrôle absolu et, surtout, de circulation d’enveloppes brunes. Ce n’est toutefois qu’à compter de 2010 que les choses se sont précipitées, dans la foulée de nouvelles révélations dans les médias, entraînant une enquête policière appelée Honorer. Retour sur l’ascension et la déchéance de Gilles Vaillancourt.

FAMILLE ENRACINÉE

La famille Vaillancourt fait partie de ces grandes familles lavalloises engagées dans la vie politique locale. Marcel Vaillancourt, pompier à la retraite ayant ouvert un commerce de meubles (MD Vaillancourt meubles), touche aux élections scolaires. C’est aussi un libéral actif, proche du député Jean-Noël Lavoie, l’instigateur de la fusion des 14 municipalités de l’île Jésus en 1965. Cet univers politisé va préparer la voie aux neuf enfants Vaillancourt en général, et à l’aîné Gilles – né le 9 janvier 1941 – en particulier. C’est donc tout naturellement qu’en 1973, l’équipe qui vient de se créer autour du candidat à la mairie Lucien Paiement – créant une alliance entre unionistes et libéraux – sollicite Gilles Vaillancourt. À 32 ans, Gilles Vaillancourt est marié et travaille dans l’entreprise familiale.

EN APPRENTISSAGE

Gilles Vaillancourt brigue les suffrages dans le district de Laval-des-Rapides et fait son entrée à l’hôtel de ville, où il est immédiatement nommé au comité exécutif. Il en est plus tard délogé lorsque Claude Ulysse Lefebvre est élu maire en 1981. Gilles Vaillancourt devient alors chef de l’opposition. Mais pas pour très longtemps. La colère gronde dans les rangs de l’équipe Lefebvre, le Parti du ralliement officiel de Laval (PRO). En 1983, une tentative de putsch avorte lorsque le maire Lefebvre invite Gilles Vaillancourt à se joindre à lui et à devenir vice-président du comité exécutif. Du coup, il se frotte au véritable pouvoir.

INCONTOURNABLE

En 1989, il devient « calife à la place du calife ». Gilles Vaillancourt s’installe à la mairie de Laval jusqu’en 2012. Rapidement, il devient incontournable. Tout gravite autour de lui. Les ingénieurs, avocats, promoteurs et autres entrepreneurs se bousculent au portillon. Son influence déborde les frontières de Laval. Les gouvernements lui prêtent une oreille attentive. On le sollicite pour qu’il fasse le saut en politique fédérale et provinciale. Le maire de Laval cumule les postes de pouvoir. Il sera président de l’Union des municipalités. Il prendra la tête de la Coalition pour le renouvellement des infrastructures au Québec. Il sera même nommé, en 2007, membre du conseil d’administration d’Hydro-Québec. Laval se développe au rythme que lui imprime son maire. Il obtient le prolongement du métro de Montréal sur son île. Il y a bien sûr des critiques sur la place publique pour le manque d’encadrement urbanistique et de vision sociale de l’administration Vaillancourt. Il y a aussi des reportages qui se multiplient et soulèvent des soupçons.

L’HOMME TEFLON

En 2002, la Sûreté du Québec met en branle une enquête nommée Bitume concernant des allégations de collusion entre des entreprises, avec la complicité de fonctionnaires de la Ville. Une suite de cafouillages administratifs mettra un terme à l’enquête. En apparence, rien ne semble ébranler Gilles Vaillancourt. Il règne sans partage. Quelques politiciens vont se lancer dans la bataille électorale, mais sans succès. Il faudra attendre sa démission en 2012 pour voir un changement de régime s’opérer à l’hôtel de ville. L’appareil politique qu’est le PRO est bien huilé. Depuis 1984, le parti finance ses activités partisanes avec les fonds publics sans être dérangé. Gilles Vaillancourt remplit des autobus de citoyens chaque printemps et les amène à la cabane à sucre. Mais d’anciens collaborateurs assurent que la belle assurance de Gilles Vaillancourt est fragile. On le dit « anxieux et insécure ». « Il s’était construit une carapace grâce à sa connaissance intime des dossiers », raconte l’une de ces personnes. On souligne également qu’il vivait modestement et voyageait peu, sinon pour se rendre en Floride.

TOURMENTE

Puis, en 2010, l’ancien député péquiste Serge Ménard dévoile à Radio-Canada que Gilles Vaillancourt a tenté de lui remettre 10 000 $ pour l’aider dans sa campagne électorale. M. Ménard dit avoir refusé. Le libéral Vincent Auclair a reçu la même offre lorsqu’il a été candidat aux élections générales dans Vimont, en 2002. M. Auclair devait déclarer n’avoir rien empoché avant de reconnaître les faits. Ce sera là l’élément déclencheur de l’enquête Honorer menée par l’escouade Marteau de la Sûreté du Québec (maintenant intégrée à l’Unité permanente anticorruption – UPAC). À partir de ce moment, Gilles Vaillancourt s’engage sur une pente de plus en plus glissante. Quelque 150 témoins sont rencontrés par la police, dont cinq proches de Gilles Vaillancourt qui acceptent de coopérer. Quelque 30 000 heures d’écoute électronique et 70 perquisitions ont finalement raison de Gilles Vaillancourt, qui remet sa démission en novembre 2012. Six mois plus tard, il est arrêté et accusé de fraude, complot, corruption, abus de confiance et gangstérisme.

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