Tunisie

La contestation gagne de nouvelles villes

KASSERINE, Tunisie — La grogne contre le chômage et l’exclusion sociale, partie de Kasserine, s’est étendue hier à de nouvelles villes de Tunisie, cinq ans après la révolution largement motivée par ces fléaux.

Face à la dégradation de la situation, le premier ministre Habib Essid a écourté sa visite en Europe, où il participait au Forum économique de Davos, et a annoncé qu’il présiderait demain une séance exceptionnelle du Conseil des ministres.

À Kasserine, dans le centre défavorisé du pays, la police a, comme la veille, fait usage de gaz lacrymogène pour disperser des manifestants qui bloquaient des routes et jetaient des pierres, selon une journaliste de l’Agence France-Presse. En soirée, l’atmosphère restait tendue et le couvre-feu non respecté. 

« Ça fait un an que ce gouvernement est en place et rien de concret n’a été fait. Ça lui explose à la figure. »

 – Hamza Meddeb, chercheur pour le centre Carnegie et coauteur de L’État d’injustice au Maghreb, dans une entrevue à l’Agence France-Presse

C’est dans cette ville que les troubles ont commencé après la mort samedi dernier d’un chômeur de 28 ans, Ridha Yahyaoui, électrocuté après être monté sur un poteau. Le jeune homme protestait avec d’autres contre son retrait d’une liste d’embauches dans la fonction publique. 

« Nous en avons assez des promesses et de la marginalisation. Nous avons fait la révolution et nous ne nous tairons plus », a dit à l’AFP une manifestante, Marwa Zorgui, reflétant le ras-le-bol de nombreux habitants de la région. 

Un responsable de la sécurité a affirmé à l’AFP que les forces de l’ordre avaient reçu pour instruction d’observer « le plus haut degré de retenue », pour éviter toute escalade. Dans un communiqué, le gouvernement a « mis en garde contre le danger des infiltrations dans les protestations pacifiques » pouvant mener à « la violence et au vandalisme ». 

Hier matin, plus d’un millier de personnes, souvent jeunes, s’étaient rassemblées devant le gouvernorat de Kasserine pour obtenir des renseignements sur le recrutement de 5000 chômeurs annoncé la veille en urgence par le gouvernement. 

En journée, le ministère des Finances a toutefois rectifié cette annonce, indiquant qu’il ne s’agissait pas de créations d’emplois, mais de l’élargissement d’un dispositif d’aide. 

REMÈDES « SÉLECTIFS » ? 

Alors qu’elle visait à calmer la situation, l’annonce initiale a suscité des remous ailleurs, comme à Siliana, dans le nord-ouest du pays. 

« La marginalisation, on n’y remédie pas de manière sélective parce que Kasserine a protesté et pas Siliana », a lancé l’élu Salah Bargaoui. 

Des manifestations ont aussi eu lieu à Jendouba, Gafsa, Souk Lahad et Kébili, selon des médias locaux.

« C’est comme si nous étions encore à la fin 2010, début 2011. De Bouazizi à Yahyaoui, les motifs et la manière se répètent », a estimé hier le quotidien arabophone Al Chourouk

À Davos, le premier ministre a déclaré que le chômage était « le problème essentiel […] et l’une des priorités du gouvernement ». Mais « nous n’avons pas de baguette magique pour en finir en peu de temps », a dit Habib Essid. La Tunisie doit « trouver un nouveau modèle de développement […] qui s’appuie sur la justice sociale », a-t-il ajouté, reconnaissant « beaucoup de disparités entre les régions ». 

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