Opinion

Régler le débordement des urgences

La solution doit venir de l'enfant pauvre de notre système de santé : les soins et services à domicile

La période de la grippe hivernale ramène annuellement l’enjeu du débordement des urgences au Québec.

Chacun y va de ses solutions : amélioration de la première ligne, cliniques de grippe, changement de la rémunération des médecins, agrandissement des urgences, lits de débordement, augmentation du nombre de lits d’hôpitaux et de places en CHSLD. Tous profitent de cette crise pour faire valoir la panacée qui réglera une fois pour toutes ce problème. Mais ces solutions en apparence attrayantes occultent le véritable enjeu : les personnes vulnérables, souvent âgées, qui sont hospitalisées faute d’un suivi adéquat et qui prolongent leur hospitalisation faute de soins et services à domicile.

Utilisons une comparaison simple pour illustrer le problème de l’encombrement des urgences et des lits d’hôpital. Les établissements sont comme une baignoire : le robinet représente le flot de malades qui nécessitent une hospitalisation et le drain la sortie de ces malades. Lorsque la baignoire déborde, on peut agrandir la baignoire ou la changer pour une plus grande. Qu’arrivera-t-il alors ? Pour un temps, elle ne débordera plus, mais une fois sa nouvelle capacité atteinte, elle débordera à nouveau si on ne change pas l’intensité du flux d’entrée par le robinet et du flux de sortie via le drain.

C’est la même chose pour les urgences et les hôpitaux : augmenter leur capacité en ajoutant des lits n’est qu’une solution temporaire qui ne règle pas le problème à la source.

Il en est de même pour les places d’hébergement : une augmentation n’aura qu’un impact temporaire sur les temps d’attente en CHSLD.

Il faut donc examiner davantage les flux d’entrée et de sortie. À l’entrée, il est vrai qu’une première ligne plus efficace et disponible fera dévier de l’urgence une certaine proportion de malades. Faute de voir rapidement leur médecin de famille ou encore d’avoir un rendez-vous en clinique réseau ou en clinique de grippe, faute de consulter le pharmacien ou l’infirmière, les malades n’ont d’autre choix que de se présenter aux urgences. Ce flux indu de patients, en plus d’entraîner des temps d’attente importants qui favorisent la contamination des autres usagers, détourne des ressources humaines qui pourraient être autrement utilisées pour soigner des personnes atteintes plus gravement. Un meilleur accès à la première ligne n’aura cependant qu’un impact indirect et limité sur le vrai problème : l’encombrement des urgences par des malades gravement atteints qui nécessitent une hospitalisation.

Pour diminuer le flux d’entrée de ces malades, il faut améliorer leur suivi pour prévenir une détérioration lors d’un épisode de grippe. Les stratégies qui incitent un meilleur suivi médical (via la rémunération), la vaccination contre le virus de la grippe ou le pneumocoque et des soins et services à domicile plus intenses dont l’inhalothérapie pourraient prévenir des hospitalisations.

Promesses de succès

Mais c’est au niveau du flux de sortie que des interventions appropriées ont surtout des promesses de succès. Actuellement, on estime que 2500 lits d’hôpitaux (16 %) sont occupés par des personnes, souvent âgées, qui attendent un congé vers des ressources d’hébergement, de réadaptation ou des soins à domicile. À ceux qui souhaitent une augmentation du nombre de lits d’hôpitaux, le voilà le Saint-Graal avec en prime les infrastructures et les ressources humaines déjà en place et financées. Mais, comme nous l’avons vu, l’augmentation des places en CHSLD n’aurait qu’un effet transitoire sur l’attente.

La solution au flux de sortie et en partie au flux d’entrée repose sur des services à domicile bien organisés et en quantité suffisante.

Pas des services post-hospitaliers, mais surtout des soins et services à long terme pour permettre aux personnes âgées et handicapées de vivre à domicile malgré une perte d’autonomie. Cela assurerait un meilleur suivi et éviterait des hospitalisations indues. Cela amènerait surtout une alternative à l’hébergement, diminuerait l’attente pour les CHSLD, diminuerait l’attente en établissement de réadaptation et à l’hôpital et au final désengorgerait les urgences.

En finançant essentiellement les hôpitaux et les médecins, notre système de santé néglige un élément essentiel dans une perspective de vieillissement de la population : les soins et services à domicile. Avec 85 % des budgets de soins de longue durée consacrés à l’hébergement, les soins à domicile ne répondent qu’à un maigre 5 % des besoins, un pourcentage qui a d’ailleurs diminué au cours des dernières années. Et il ne suffit pas d’y injecter de l’argent pour s’attendre à une amélioration des services.

Nous avons monitoré les soins à domicile reçus par les personnes âgées de Sherbrooke de 2011 à 2015 pour constater que le nombre de visites à domicile a chuté de façon drastique (plus de 70 %) au cours de cette période. Et ce, même si le gouvernement auquel j’appartenais a injecté 110 millions de dollars en 2013-2014 pour rehausser de 25 % le budget des soins à domicile. Cet investissement ne s’est malheureusement pas traduit par plus de services. Le financement a sans doute été utilisé par les établissements pour d’autres besoins jugés davantage prioritaires. Il est probable que l’investissement de 264 millions annoncé récemment par la ministre actuelle subisse le même sort.

Il faut donc absolument changer le mode de financement des soins à domicile et remettre aux personnes, et non aux établissements, la responsabilité de gérer le financement de leurs services à domicile. C’est ce que proposait le projet d’assurance autonomie que nous avions élaboré en 2013 et qui est resté en plan à la suite des élections de 2014. Cette nouvelle forme de financement, adoptée par plus d’une quinzaine de pays, dont le Japon et la France, est un élément essentiel et incontournable pour faire face aux défis du vieillissement pour le système de santé. C’est l’élément clé pour agrandir le drain et éviter que la baignoire des urgences déborde, encore et toujours.

* Réjean Hébert est professeur titulaire au département de gestion, d’évaluation et de politique de santé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

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