Opinion : Le Canada et les opérations de paix

Ni cohérence ni crédibilité

Comment réconcilier la décision de ne pas accéder à la demande des Nations unies de prolonger l’engagement canadien au Mali avec l’ambition affichée d’Ottawa de briguer un siège non permanent au Conseil de sécurité en juin 2020 ? 

Dans un contexte où le Canada est en concurrence avec la Norvège et l’Irlande, deux pays très impliqués dans les efforts onusiens de résolution des conflits et de maintien de la paix, cette décision est d’autant plus inexplicable que l’extension demandée était relativement courte et que l’on savait que le retrait des troupes aurait un impact indéniable sur une mission déjà difficile et meurtrière.

Deux pistes d’explication se dégagent.

Il est possible que le Canada privilégie d’autres voies d’accès au Conseil de sécurité que celle de sa contribution aux opérations de maintien de la paix. 

Depuis l’élection du gouvernement libéral en 2015, le Canada a lancé plusieurs initiatives bien accueillies dans les milieux onusiens : la politique d’aide internationale féministe, la réconciliation avec les Premières Nations, ou encore la lutte contre l’utilisation d’enfants soldats.

Veille électorale

Il est également possible que les contraintes intérieures aient pesé sur le gouvernement Trudeau. Avec des élections fédérales en octobre prochain, le Canada a peut-être estimé que les risques liés à la présence canadienne au Mali sont trop grands et potentiellement trop coûteux. Avec une population de 37,06 millions d’habitants, en veille électorale, le Canada est particulièrement sensible au risque lié à des pertes de vies humaines ; or, la mission au Mali est de loin le déploiement onusien le plus meurtrier. Selon le site de l’ONU, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a affiché 195 pertes humaines, comparativement à 169 pour la mission en République démocratique du Congo, 82 pour la mission en Centrafrique et 67 pour la mission au Soudan du Sud. 

Pourtant, le 29 mars dernier, le Canada a annoncé en grande pompe sa contribution au Fonds de l’initiative Elsie pour la participation des femmes en uniforme aux opérations de maintien de la paix, un fonds qui a pour objectif d’inciter les pays contributeurs de troupes à augmenter les effectifs féminins parmi les Casques bleus. 

Vouloir augmenter la participation des femmes aux opérations de paix alors que l’on refuse de prolonger la mission canadienne au Mali envoie un message doublement contradictoire.

D’une part, cela suggère que le Canada reconnaît l’importance du maintien de la paix alors même qu’il se désengage d’un terrain clé à cet égard. D’autre part, Ottawa semble vouloir faciliter le déploiement de plus de femmes dans des missions de paix caractérisées par des contextes dangereux tout en refusant de contribuer au soutien logistique sans lequel on ne peut prétendre assurer ni la sécurité des troupes ni la protection des civils.

Le récent rapport Cruz, commandité par l’ONU pour lancer une réflexion sur l’amélioration de l’impact des missions de paix, a souligné l’importance de l’appui aux évacuations médicales, de l’amélioration des hôpitaux et du soutien logistique. Faute d’envoyer des troupes, la décision canadienne d’offrir à la MINUSMA un soutien logistique efficace, une expertise de pointe et du matériel technologiquement performant constituait une contribution judicieuse, pragmatique et utile. Cette contribution faisait une différence sur le terrain dont le leadership de la MINUSMA avait clairement signifié l’importance et l’impact.

En opposant aux demandes de prolongation un refus définitif, le Canada crée un vide au nord du Mali. Il met en péril les troupes sur le terrain, il fragilise la sécurité des populations et il agit de manière contraire aux valeurs et aux ambitions canadiennes. Plus encore, Ottawa souligne l’incohérence de ses engagements en faveur du maintien de la paix et ouvre la porte aux détracteurs qui posent désormais la question de la crédibilité de ces derniers.

* Marie-Joëlle Zahar est professeure à l’Université de Montréal et Sarah-Myriam Martin-Brûlé est professeure à l’Université Bishop’s.

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