CHRONIQUE

OD, la queue et les crétins

Alors que Sophie Parrot le maquillait, un candidat d’Occupation double Bali lui a dit : « T’es mon coup de cœur : je te donnerais des coups de queue dans la face ! » C’était au début du mois, au lendemain de la diffusion du premier épisode de cette émission de téléréalité relayée par V.

Le candidat en question a ajouté qu’il ferait bien « une ligne de poudre sur le cul de Marina [Bastarache] », l’animatrice de l’émission OD+ en direct, à laquelle il participait à titre d’invité. Pendant qu’il fanfaronnait avec deux de ses copains d’OD, l’un d’eux filmait le tout. Édifiant.

« Ils se filmaient et ils se trouvaient drôles », m’explique Sophie Parrot, qui n’a pas trouvé ça drôle du tout. Elle travaillait avec sa collègue coiffeuse dans une petite loge à l’étage, au-dessus du studio de Musique Plus où l’émission est tournée. « Ils faisaient des commentaires sur notre physique. Ma collègue se faisait demander son numéro de téléphone avec insistance. Elle leur a dit qu’elle avait un chum, mais ils ne voulaient rien entendre. »

Sa collègue en a eu assez. Elle est sortie se plaindre à l’équipe de production. Sophie Parrot s’est alors retrouvée seule avec les trois candidats, qui ont commencé à lui dire qu’ils aimeraient bien « la prendre ». « Je n’en revenais pas, dit la maquilleuse. Je ne me sentais pas bien. J’étais toute seule avec trois douchebags de six pieds. »

« Je suis descendue au studio et j’ai envoyé quelqu’un chercher mes effets personnels. J’ai dit à l’équipe que je ne voulais plus me retrouver seule avec des candidats. »

— Sophie Parrot

Elle en a notamment parlé à Marina Bastarache, qui a rencontré les candidats après l’émission. La collègue de Sophie a aussi trouvé la « story » Instagram (vidéo disparue après 24 heures) des trois candidats et l’a montrée à des membres de l’équipe de production.

« Après l’émission, je pleurais dans ma voiture, me confie Sophie. J’étais sous le choc. J’en ai parlé à ma psy. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Je ne vais pas appeler la police ! »

J’ai joint le candidat en question, Marc-André Thériault, qui a minimisé l’incident. « Quand elle m’a explosé dans la face, j’ai dit à Marina que c’était une joke de showbiz mal placée ! Je lui ai dit que si elle le prenait mal, elle n’était pas à sa place à OD. J’ai été choisi parce que j’ai une grande gueule, pas parce que je suis gentil ! »

« Ils mettent trois niaiseux ensemble et ils nous reprochent d’être niaiseux ! C’est beaucoup plus stuck-up qu’on pense, OD. Ils donnent l’impression qu’ils veulent du monde trash, mais ils ne l’assument pas. »

— Marc-André Thériault, candidat à OD

Thériault, un ancien barman de 29 ans qui travaille dans un gym pour femmes, jure que l’expression « coup de cœur, coup de queue » est une boutade, un running gag entre anciens candidats d’Occupation double, dont plusieurs, dit-il, sont ses amis (il m’a envoyé une capture d’écran de Facebook où il parle à Judith Perron, candidate d’OD en 2010, en ces mêmes termes).

Le plus ironique ? Il s’agit du candidat qui a été exclu par les candidates d’Occupation double dès la première émission – celle du premier « tapis rouge » – parce que certaines le trouvaient « trop gentil ». Il avait lu un poème sur ses parents, mariés depuis 30 ans, et déclaré que l’un de ses défauts était d’être « trop empathique »…

« C’est vrai qu’il s’est dit beaucoup de marde, reconnaît un candidat ayant participé au même épisode d’OD+ en direct, qui est l’auteur de la vidéo diffusée sur Instagram. J’ai une fille de 3 ans et demi, et je ne voudrais pas qu’on lui parle comme ça. » On l’espère.

Madeleine Cantin est la productrice de l’émission OD+ en direct chez Productions J. Lorsqu’elle a été informée des propos dégradants tenus par ses invités, elle les a rencontrés à son tour. Est-ce que la production a fait tout en son pouvoir pour qu’une telle situation ne se reproduise plus ? Est-ce que d’autres candidats se sont retrouvés seuls depuis avec l’équipe de coiffure-maquillage ?

« Qu’est-ce qu’on peut faire ? Ça fait 15 ans que je fais de la télé et c’est la première fois de ma vie que je vois ça. On a été vigilants. On n’a pas pris ça à la légère. Je n’ai pas l’habitude d’inviter des tatas. On fait de la bonne télé. C’était hors de mon contrôle. »

— Madeleine Cantin, productrice d’OD+ en direct

Sophie Parrot, elle, en a vu d’autres depuis qu’elle travaille en télé comme maquilleuse. Un animateur de 20 ans son aîné lui a décrit, alors qu’elle n’avait que 19 ans, ce qu’il aimerait lui faire en lui agrippant les fesses. Un patron d’entreprise, lors du tournage d’une publicité, a multiplié les remarques désobligeantes pendant qu’une styliste replaçait le bas de pantalon d’un artiste.

Des mononcles, Sophie en a côtoyé beaucoup. Le plus souvent, lorsqu’elle a dénoncé leurs agissements ou remarques déplacés à ses supérieurs, on lui a dit : « Ris ! Évite le sujet ! Ne sois pas désagréable ! » Parce qu’on ne voulait pas perdre un client, une commandite ou un contrat. 

Or, les mononcles n’ont pas tous 50 ou 65 ans, comme Éric Salvail et Gilbert Rozon. Certains n’ont pas encore 30 ans, sont moins connus, mais n’ont pas davantage d’égards pour les femmes.

On en prend peut-être aujourd’hui la mesure, mais on banalise leurs comportements sexistes depuis toujours. On ne s’attend pas à moins d’un concurrent d’OD qu’il se comporte en goujat. Ça vient avec les gros bras, la syntaxe laborieuse et le tatouage tribal.

À Occupation double Bali, un candidat peut en embrasser un autre à la télé sans son consentement libre et éclairé. Dans ce microcosme télévisuel où la tenue suggérée est le maillot de bain, le terme « rapprochement » semble être un euphémisme fourre-tout (s’cusez-la) pour désigner autant un baiser sur les lèvres que sur les petites lèvres. Avec ou sans consentement ? Ça, le « rapprochement » ne nous le dit pas. Et on s’étonnerait de voir un candidat menacer de fouetter le visage d’une maquilleuse avec son pénis, en faisant passer ça pour un compliment ?

Est-ce trop demander des hommes, de tous les âges et de tous les milieux, qu’ils respectent un tant soit peu les femmes qu’ils côtoient, notamment au travail ?

Un humoriste américain avait cette formule récemment, pour expliquer même aux plus obtus des machos à quel moment leurs propos sont humiliants et inacceptables : « Ne dites jamais à une femme ce que vous ne voudriez pas qu’un homme vous dise… en prison ! » Je te fouetterais la face avec ma queue ?

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