Chronique

L’université est déjà gratuite au Québec

L’annonce du gouvernement ontarien qui rend ses droits de scolarité universitaires pratiquement gratuits pour les moins nantis frappe l’imaginaire et relance le débat au Québec.

Rapidement, certains se sont emparés de la nouvelle pour dire que le Québec se faisait doubler sur sa gauche et pour laisser entendre que l’Ontario devenait financièrement plus avantageux pour les étudiants. Or, dans les faits, l’université est DÉJÀ gratuite au Québec pour la clientèle que vise l’Ontario.

Voyons voir. Essentiellement, l’Ontario a annoncé lors de la présentation de son budget qu’elle réformait son système de prêts et bourses pour le rendre plus accessible. Le gouvernement de Kathleen Wynne promet de rendre gratuites les études au collège et à l’université pour tous les étudiants dont les revenus des parents sont de 50 000 $ ou moins. Par gratuit, il faut comprendre que les étudiants visés toucheraient une subvention en début d’année leur permettant de payer en totalité leurs droits de scolarité.

Au Québec, oh surprise, ce système est déjà en place depuis longtemps. D’abord, l’accès est gratuit dans les cégeps, qui s’apparentent aux collèges ontariens visés par le programme libéral en Ontario. Et cette gratuité est complète, peu importe le revenu des parents, contrairement à l’Ontario.

Surtout, à l’université, notre système de prêts et bourses fait en sorte qu’au bout du compte, nos étudiants moins nantis ne paient déjà rien pour suivre leurs cours.

Le site internet du ministère de l’Éducation du Québec a un bon outil pour simuler l’aide disponible aux étudiants. Il permet justement de faire une comparaison avec l’objectif ontarien, notamment pour les étudiants dont les parents ont des revenus de 50 000 $ ou moins.

Ainsi, un étudiant au bac dont les parents ont 50 000 $ de revenus touchera quelque 6150 $ d’aide financière annuelle, dont presque 3700 $ en bourses. Le gros de la somme est versé avant le début de chaque session. Dit autrement, cet étudiant sera en mesure de rembourser totalement les droits de scolarité de quelque 1600 $ par session utilisés pour les simulations (3200 $ par année).

La gratuité est moins rapidement accessible pour les étudiants qui travaillent, puisque leurs revenus sont ajoutés à ceux des parents pour le calcul de l’aide financière. Par exemple, pour un étudiant qui aurait des revenus de 5000 $ par année, la gratuité universitaire est possible si ses parents ont 48 000 $ de revenus ou moins, plutôt que 50 000 $.

Évidemment, des revenus familiaux de 50 000 $, ce n’est pas beaucoup. Il reste que pour l’essentiel, la gratuité sauce ontarienne est déjà accessible ici au Québec. Et c’est bien tant mieux !

Plus les revenus des parents sont faibles, plus l’aide financière du Québec augmente, et inversement. Le coup de pouce du gouvernement est aussi majoré pour les étudiants qui n’habitent pas avec leurs parents. Dans certains cas, les bourses doublent, à 6400 $, et en ajoutant les prêts, on atteint près de 9000 $ d’aide financière pour des étudiants dont les parents gagnent 50 000 $.

L’aide financière du Québec n’est pas parfaite, tant s’en faut. 

Par exemple, on constate que les bourses chutent à la vitesse d’une pente de ski des Alpes après 52 000 $ de revenus parentaux pour les étudiants qui vivent chez leurs parents (voir tableau). De plus, les étudiants n’ont pratiquement plus accès aux prêts dès que le revenu des parents excède 92 000 $ à 99 000 $, selon les situations.

Cela dit, il ne faut pas oublier qu’au Québec, les enfants de « riches » bénéficient, eux aussi, des droits de scolarité les plus faibles en Amérique du Nord, comme ceux de la classe moyenne, ce qui n’est pas le cas en Ontario. Les droits moyens en Ontario sont de 6160 $, si l’on se fie aux exemples de Mme Wynne, ou de 7539 $ selon Statistique Canada, soit le double du Québec.

Autre élément à considérer : les contribuables qui paient de l’impôt peuvent bénéficier des crédits fédéral et provincial pour les études de leurs enfants. Le crédit est de 8 % au Québec et de 12,5 % au fédéral, ce qui donne 738 $ de gain pour des droits de scolarité annuels de 3600 $.

Le nouveau régime ontarien deviendra beaucoup plus progressif que celui du Québec. Il sera gratuit pour les moins nantis, mais demeurera très coûteux pour les plus riches.

En somme, il ressemble plutôt à celui que voulait implanter le Québec AVANT les manifestations des carrés rouges, qui impliquait une hausse substantielle des droits jumelée à un système de bourses plus généreux pour les moins nantis. Pour les ex-manifestants, prendre en exemple le virage ontarien est donc une drôle d’idée.

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