Transport urbain

Vélo, boulot, marmots

Ils ont des enfants et pas de temps à perdre dans les transports. Leur solution ? Le vélo en famille, été comme hiver. Rencontre avec des parents qui n’ont pas froid aux yeux.

UN DOSSIER DE CHRISTIAN GEISER

Simplement plus pratique

Valérie Houle, mère de trois enfants et enceinte de son quatrième, transporte ses enfants à vélo à longueur d’année. Pour la simple raison que c’est ce qu’elle considère être la façon la plus rapide de se déplacer. « On est juste des gens qui veulent se rendre du point A au point B de la façon la plus efficace possible ! »

Alors que le nombre de cyclistes qui roulent toute l’année ne cesse d’augmenter, on retrouve logiquement parmi eux des parents qui ne jurent que par ce moyen de transport.

« Nous avons toujours fait du vélo l’hiver. Et quand on a eu des enfants, on les a transportés en vélo toute l’année. C’est tout simplement plus rapide et plus pratique », explique Joëlle Rompré, maman de deux garçons de 4 et 6 ans.

« C’est la meilleure façon de me déplacer et, généralement, j’ai même du plaisir », déclare Étienne Roy-Corbeil, copropriétaire de la boutique Dumoulin Bicyclettes et papa de deux enfants de 4 et 9 ans.

Quant à Hugo Adam-Côté, père de trois garçons, ce sont les sources d’irritation des transports en commun qui l’ont convaincu. « J’étais tanné d’attendre et d’avoir chaud dans le métro. Et ça prenait le même temps. » Quant à la voiture ? « Trop compliqué. Il faut la sortir du trou de neige et trouver une autre place ensuite. »

Les trajets

Les gens ont parfois tendance à penser à la pire tempête de l’année et ils s’y imaginent à vélo. Pourtant, la grande majorité de l’hiver, les déplacements ne se font pas dans la neige, mais sur de l’asphalte mouillé.

Et quand les conditions sont mauvaises, il faut s’écouter, croit Valérie Houle. « Il faut respecter son rythme. J’ai roulé pendant mes deux dernières grossesses. Je prends le temps. S’il y a un obstacle, je n’hésite pas à faire descendre les enfants, quitte à les faire marcher à côté de moi. » Et non, il n’y a pas de gêne à laisser son vélo à la maison. « Si les conditions ne nous tentent pas, c’est bien correct ! »

Joëlle Rompré abonde dans ce sens. « Si c’est trop risqué, je ne prends pas les enfants en vélo. »

« Vous êtes à l’aise de faire du vélo en pleine tempête ? Parfait ! Vous n’êtes pas à l’aise ? Parfait ! », affirme Étienne Roy-Corbeil. Beaucoup de cyclistes d’hiver ne sortent pas quand les conditions sont épouvantables. L’été non plus, d’ailleurs !

Comme les conditions peuvent varier d’un endroit à l’autre, c’est aux parents de juger si c’est une bonne idée ou pas de transporter leurs enfants en vélo, avance Magali Bebronne, chargée de programme chez Vélo Québec. « Je ne dirais pas à tous les parents de sortir en vélo demain matin. Mais je suis convaincue que ceux qui le font ont confiance dans les capacités de leurs enfants, ils connaissent le trajet et savent qu’il n’y a pas de danger à le faire. »

Elle constate la hausse du nombre de parents qui font fi de l’hiver à vélo. Cela s’explique, selon elle, par l’amélioration de l’entretien des pistes cyclables l’hiver.

« C’est quelque chose qui n’aurait pas été envisageable il y a 10 ans. Le réseau est de plus en plus fiable, de mieux en mieux déneigé et abondamment salé, il y a donc moins de risques de glissade, il n’y a plus de raison de s’en priver. »

— Magali Bebronne, chargée de programme chez Vélo Québec

Les pistes cyclables séparées de la rue sont généralement bien déneigées. Le problème, c’est qu’une grande partie de notre réseau cyclable est composée de bandes cyclables ou de chaussées désignées. Théoriquement, c’est praticable quatre saisons, dans la réalité, on pousse la neige sur le côté… donc sur la piste cyclable, déplore Magali Bebronne.

Ce qui est important, c’est la communication et la fiabilité. « Après un nombre donné d’heures, les cyclistes ne devraient pas avoir à s’inquiéter si les pistes sont dégagées ou pas », croit-elle.

Partager la route

Au début des années 90, les cyclistes l’hiver, c’était une curiosité. « Les automobilistes ne s’en badraient pas, se rappelle Étienne Roy-Corbeil. Ensuite, il y a eu une certaine exaspération de la part des conducteurs, car il y avait beaucoup plus de cyclistes hivernaux. Maintenant, on est revenu à un partage de la route. Ils sont là. Il faut vivre avec. »

Les parents que nous avons interrogés sont d’ailleurs unanimes : l’immense majorité des automobilistes sont gentils et respectueux.

En fait, ces cyclistes qui n’ont pas froid aux yeux provoquent avant tout des sourires et des questions, plutôt que des coups de klaxon rageurs. « C’est rendu que le monde trouve ça cool. On sent un regard positif de la part des autres », explique Hugo Adam-Côté.

Même le discours public a changé, constate Magali Bebronne. « Avant, c’était pour ou contre. Maintenant, on se demande plutôt combien de kilomètres on va déneiger. »

Et les enfants là-dedans ?

Comme pour les parents, le secret pour continuer, c’est de ne pas les écœurer. « Je n’oblige pas mes enfants à le faire. Ce matin, ils voulaient y aller en vélo. Hier, c’était à pied », explique Valérie Houle. Il y a fort à parier que ces enfants suivront l’exemple de leurs parents. « Pour mes enfants, faire du vélo l’hiver, c’est normal. Un de mes garçons réclame d’ailleurs des pneus à clous pour son vélo ! », dit fièrement Joëlle Rompré.

Au chaud et en sécurité

Rouler l’hiver peut être intimidant pour les novices. Il existe pourtant des façons simples pour trimballer la famille au chaud, à vélo. « Ça dépend de vos besoins, de votre expérience en vélo et de la distance », explique Étienne Roy-Corbeil.

Valérie Houle et son conjoint ont choisi d’utiliser des vélos cargos qui permettent de transporter jusqu’à trois enfants. « On a commencé quand mon plus vieux était tout jeune. Avec un siège vélo traditionnel. Quand sa sœur est arrivée, on a acheté deux vélos cargos. Ça coûte un peu cher sur le coup. Mais bon, comme on n’a pas de voiture… », explique l’ingénieure qui travaille au centre-ville de Montréal.

Ce type de vélo étant particulièrement encombrant, leurs vélos restent tout le temps dehors. Ne craint-elle pas qu’ils s’abîment ? « Ça fait partie de l’usure normale. On les entretient le mieux qu’on peut. Tout s’abîme en hiver. Les voitures aussi ! », rappelle-t-elle.

Hugo Adam-Côté a choisi de garder son vélo et de tirer ses trois garçons. « J’achète d’occasion des remorques doubles. Ça ne vaut pas la peine de dépenser trop. Je les abîme vite. » Le vélo et la remorque sont attachés dehors en permanence. Le papa apprécie également la protection qu’offre la remorque. Tant contre le froid qu’en cas de chute. « Même si je tombe, elle ne se renverse pas. »

Quant à Joëlle Rompré, c’est son conjoint qui a construit leur vélo cargo… en bambou. À la différence des « longtails », les enfants sont transportés à l’avant dans un bac. « C’est sécuritaire car, si on tombe, les enfants sont protégés par la boîte », explique la maman.

Les enfants qui grandissent s’alourdissent aussi. « Je réclame l’assistance électrique ! Parce que des enfants de 4 et 6 ans, c’est lourd. En plus, des fois, on embarque un ami. Ça commence à faire beaucoup ! », plaide Joëlle Rompré.

Étienne Roy-Corbeil a choisi d’utiliser l’assistance électrique sur son vélo. « J’ai électrifié, car j’ai décidé de mettre les chances de mon côté pour continuer à faire du vélo l’hiver. Ça permet de faire des trajets qu’on ne ferait pas, sinon, avec les enfants. C’est l’avantage de l’électrique », explique le copropriétaire de Dumoulin Bicyclettes, qui se décrit aussi comme un grand adepte du cocktail transport.

Tous les parents insistent par ailleurs sur l’importance d’être vus. L’hiver, la nuit tombe vite, et il ne faut donc pas lésiner sur les lumières.

Comme en ski

Comme les enfants sont immobiles, ils doivent être mieux habillés que leur parent qui pédale. Il faut veiller à limiter l’exposition de la peau au froid et surtout… communiquer. « La première fois que j’ai fait du vélo et qu’il faisait vraiment froid avec mon gars qui avait 2 ans, on est arrivés à la garderie et il m’a dit : “Papa, j’ai trop chaud !” », raconte en riant Étienne Roy-Corbeil.

Selon Joëlle Rompré, c’est le gros bon sens qui prime. « Je les habille comme pour aller en ski. Je mets leur habit de neige, avec leur casque et des lunettes de ski. »

Les difficultés sont parfois surprenantes. « Le plus difficile, bizarrement, c’était de trouver des tuques qui n’ont pas de gros pompons ou de petites oreilles quand ils sont bébés pour pouvoir leur mettre un casque », dit Valérie Houle.

Sans compter que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas les chutes brutales du thermomètre qui sont le plus pénibles. « Le plus difficile, c’est pas les grands froids, mais la pluie de novembre ! poursuit-elle sans hésiter. On les habille comme des oignons. »

Quant à elle ? « Si vous me croisez en m’en allant faire l’épicerie ou en allant faire du vélo, je suis habillée de la même façon… À part le casque ! »

En Harley-Davidson, je n’ai peur de personne

Nous avons pu essayer, pendant une dizaine de jours, le Yuba Spicy Curry avec assistance électrique que nous a prêté la boutique Dumoulin Bicyclettes. On est tout d’abord intimidé par les dimensions et le poids de la bête. Par contre, une fois en selle, on est franchement surpris par l’efficacité du moteur électrique. Probablement pas autant que tous ces automobilistes dépassés dans les bouchons et que ces deux sportifs étonnés de se faire dépasser par un tel vélo dans la côte Berri. Il faut dire qu’avec le gros panier à l’avant et l’interminable banquette à l’arrière, c’est tout un attelage. Le moteur électrique fait oublier ce poids, et l’expérience est vraiment surprenante. Selon le niveau d’assistance électrique, on pédale plus ou moins. On n’arrive donc pas en nage au travail et, à la fin de la journée, la perspective de monter une côte avec chargement et enfant n’est pas décourageante. Sans compter que, sur un trajet total de 20 km par jour, on a retranché 20 minutes par rapport au temps moyen réalisé avec le vélo personnel. Sans enfant ! D’accord, on a peut-être abusé du mode turbo…

Évidemment, une fois l’assistance enlevée, l’histoire est différente. Le vélo est plus difficile à mouvoir. En mode électrique, il faut penser à s’habiller un peu plus que quand on roule sans assistance, car on dépense moins d’énergie et le corps se réchauffe moins. Avec ses dimensions et sa vocation, on pourrait penser que de troquer son vélo de route pour un Yuba, c’est un peu comme abandonner la voiture sport pour la fourgonnette. Dans les faits, c’est plus comme passer à un Harley-Davidson pratique et sans le bruit. C’est gros, puissant, et ça fait tourner les têtes.

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