Cour d’appel

La Loi sur la laïcité a un impact « bien réel », témoignent des enseignantes

La Loi sur la laïcité de l’État devrait être suspendue temporairement puisqu’elle bafoue les droits fondamentaux de nombreuses femmes quant à l’égalité des sexes, ont plaidé mardi des opposants à la « loi 21 » devant la Cour d’appel du Québec. Une dizaine de femmes musulmanes affirment devoir renoncer à leur métier en raison de leurs convictions religieuses.

Ces femmes, qui ont fait des études, racontent s’être fait récemment refuser un poste d’enseignante dans plusieurs commissions scolaires montréalaises, parce qu’elles portaient un symbole religieux. La juge en chef du plus haut tribunal de la province a semblé préoccupée par ces nouvelles déclarations écrites qui montrent les conséquences bien réelles qu’a la Loi sur les femmes voilées.

« Quand [le juge Yergeau] a conclu que le préjudice irréparable était hypothétique, il n’y avait pas de preuve que le préjudice était réel. On ne fera pas comme si ça n’existait pas », a tranché la juge Nicole Duval Hesler devant une centaine de personnes, dont une vingtaine de femmes portant un symbole religieux.

« L’impact sur les femmes qui portent le voile, c’est l’éléphant dans la pièce. »

— La juge Dominique Bélanger

Le juge Michel Yergeau de la Cour supérieure du Québec a rejeté l’été dernier la demande de sursis provisoire de la Loi réclamée par une étudiante en enseignement de l’Université de Montréal et deux groupes ontariens. Il n’y avait pas de preuve de « dommages sérieux ou irréparables » pour suspendre immédiatement la Loi, selon le juge. La loi sur la laïcité interdit aux procureurs, aux policiers, aux enseignants, aux directeurs d’école et à d’autres fonctionnaires de porter un signe religieux. Une clause de droits acquis (« clause grand-père ») exclut les employés déjà en poste en mars dernier.

Selon les opposants, la Loi a un « impact significatif » et « bien réel » sur de nombreuses personnes – principalement des enseignantes – qui sont incapables d’obtenir un emploi dans leur domaine d’études en raison de la pratique de leur religion. « La Loi a un impact disproportionné sur les femmes », a plaidé en anglais Me Olga Redko.

UN BARRAGE DE QUESTIONS

Si la Loi n’est pas suspendue, des citoyens devront attendre plusieurs années pour que l’affaire soit tranchée sur le fond, déplorent les opposants. « Des personnes assises dans cette salle ne peuvent pas avoir un emploi. Elles ont des enfants, elles ont fait des études. Mais le gouvernement dit : “tant pis, nous avons fait un choix de société”», a martelé Me Catherine McKenzie.

« La présomption est que la loi sert à l’intérêt public. […] L’objet de la loi, c’est de mettre fin aux controverses qui durent depuis longtemps », a plaidé Me Éric Cantin. L’avocat du Procureur général du Québec a dû répondre à un barrage de questions des juges de la Cour d’appel.

« En présence d’un risque d’un préjudice sérieux et irréparable, est-ce que l’intérêt public ne devrait pas plutôt faire en sorte que nous conservions en place temporairement les droits fondamentaux ? », s’est demandé la juge Dominique Bélanger.

Les juges ont mis la cause en délibéré.

Citations tirées des déclarations sous serment

« L’adoption de la Loi a détruit tous mes plans. […] Jamais, pendant mes six ans d’enseignement, la façon de m’habiller m’a empêchée d’aider mes élèves à réussir. Maintenant, je suis déprimée et anxieuse et je me sens comme une citoyenne de seconde classe dans ma propre province. »

— Une diplômée en enseignement embauchée par la Commission scolaire de Montréal en août 2019

« J’ai dû me résoudre à trouver un nouvel emploi […] qui me procure un faible revenu. La Loi a un impact économique marqué sur moi et sur ma famille. […] Je me sens désormais déprimée et frustrée par rapport à la situation. Je sens une colère en moi. »

— Une étudiante à la maîtrise qualifiante en enseignement au secondaire de l’Université de Sherbrooke

«  [Le directeur] m’a expliqué que la [Commission scolaire] lui avait confirmé que j’étais obligée de retirer mon voile si je voulais continuer à travailler. J’étais sous le choc. […] Je ne peux tout simplement pas retirer mon hijab. Ce n’est pas une option. »

— Une diplômée en histoire de l’UQAM qui a fait de la suppléance à la Commission scolaire Marie-Victorin à l’été 2019

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.