Mode

Les dessous du cuir végane

De plus en plus de créateurs locaux et de grandes marques vendent des vêtements, des chaussures ou des accessoires avec l’appellation « cuir végane ». Mais que signifie cette expression ? Au-delà de l’absence de souffrance animale, cette matière est-elle éthique et écoresponsable ?

« Pourquoi le cuir végane est-il si génial ? Premièrement, il n’est pas fabriqué à partir de peaux d’animaux morts. De plus, c’est respectueux pour la planète – et très chic », vante sur son site l’association de défense des droits des animaux PETA. De quoi s’agit-il ? « La plupart des cuirs véganes sont en polyuréthane », précise l’association. Une solution de rechange au cuir issue de dérivés de pétrole.

Au Québec, plusieurs marques proposent du cuir végane réalisé à partir de polyuréthane. C’est le cas notamment de Jeane & Jax. Cette griffe locale née en 2014 vend des sacs à main, des portefeuilles et des sacs à dos, tous en cuir végane. « Le polyuréthane ressemble visuellement et au touché au cuir, explique Silvia Gallo, présidente de la marque. C’est poreux, souple, et ça respire. On peut le plier, le tordre et ça ne va pas s’abîmer. Alors qu’avec du PVC [polychlorure de vinyle], on va suer, ça va craquer, ça va peler. »

Et l’environnement ?

Philippe Denis, chargé de cours à l’École supérieure de mode de l’ESG UQAM, a vu apparaître le terme « cuir végane » il y a environ cinq ans. « Il s’apparente à la diffusion plus accrue du véganisme, voire à son émergence comme un phénomène de mode, explique-t-il. Cette appellation définit cependant tout et son contraire, et certains profitent de ce manque de définition. La majorité des cuirs véganes restent des sous-produits pétroliers. » Des matières moins nobles comme du faux cuir ou du vinyle obtiennent alors un « lustre factice ».

« Le bât blesse aussi d’un point de vue environnemental, souligne-t-il. Oui, cette matière n’est pas d’origine animale, mais sa production possède une empreinte écologique importante, bien que différente de celle du cuir. À son origine s’ajoute le fait qu’on utilise pour sa fabrication des solvants et des teintures synthétiques. » Pour Philippe Denis, cette réalité s’oppose au véganisme. « Je partage l’initiative de ne pas vouloir utiliser des produits animaux, mais les moyens m’apparaissent ici contradictoires. »

Selon Jean-François Ménard, analyste au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), il est difficile de se prononcer sur la préférence environnementale du polyuréthane vis-à-vis du cuir.

« Il existe plusieurs types de cuir, comme d’ailleurs de polyuréthane. Le premier est issu de ressources renouvelables [peaux animales], contrairement au second [hydrocarbures fossiles]. Différentes émissions toxiques sont générées lors de leur production. Il est surtout important de tenir compte de leurs contextes d’utilisation, notamment de leur durée de vie. »

— Jean-François Ménard

Silvia Gallo en est bien consciente. « Notre entreprise est durable, éthique et responsable socialement dans notre chaîne de production. Notre prochaine étape sera d’être écologique. On cherche la meilleure façon de minimiser notre empreinte sur l’environnement », précise-t-elle.

« Le polyuréthane est pour l’instant le meilleur compromis, estime Mélissa Lambert, présidente de la marque québécoise Lambert, qui propose des sacs en cuir végane fabriqués avec cette matière. Il est moins nocif pour l’environnement que le PVC, utilisé par certains de nos compétiteurs. C’est surtout un matériel durable dans le temps puisqu’il doit être assez résistant pour supporter un poids de 10 livres. »

Des options végétales

Mélissa Lambert et Silvia Gallo suivent cependant avec attention les avancées technologiques. Toutes deux s’intéressent aux cuirs véganes écologiques, faits à partir de matières végétales. « Il est encore très difficile de les trouver et ils sont très dispendieux, regrette Mélissa Lambert. Il faut s’assurer que la clientèle sera prête à payer le prix pour avoir un cuir de ce type. » Elles espèrent qu’à l’avenir, le cuir végane d’origine végétale se démocratisera. Et ainsi, peut-être, pouvoir l’adopter.

Parmi les options qu’elles regardent de près : le Piñatex, une matière imitant le cuir faite à partir de fibres d’ananas. La marque québécoise Rose Buddha l’utilise depuis deux mois. « La matière vient d’une coopérative de producteurs d’ananas des Philippines. Les feuilles d’ananas étaient jusqu’à présent brûlées ou compostées. On utilise désormais leurs fibres dans nos sacs », explique Madeleine Arcand, cofondatrice de la marque. Ces sacs sont vendus entre 265 $ et 595 $, alors que ceux de Jeane & Jax ne dépassent pas 130 $, et ceux de Lambert, 180 $, pour les plus grands modèles.

Partout dans le monde, d’autres marques misent sur les végétaux pour faire du cuir végane : certaines utilisent de l’eucalyptus, d’autres, des champignons, de la vigne… Mais le cuir végane d’origine végétale en est à ses balbutiements et constitue un marché de niche. La marque française de souliers véganes Veja annonçait récemment avoir trouvé « une matière écologique se substituant au cuir ». « Le C.W.L est constitué de toile de coton enduite de 50 % de déchets de maïs de l’industrie alimentaire. » Une avancée parmi d’autres qui pourrait bien, à l’avenir, changer la donne.

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