JAZZ ROCK

Nostalgie ou renaissance jazz-fusion ?

Immigrance
Snarky Puppy
Ground Up Records
Trois étoiles et demie

Pas moins de 19 musiciens font actuellement partie de Snarky Puppy, projet insensé à l’origine, voué à l’échec économique. Pourtant, cette tribu menée par Michael League en est à son 13e album, elle est aujourd’hui considérée comme l’une des plus grandes puissances pour la reconquête du territoire jazz-rock-funk, sous-genre dont l’obsolescence a duré une bonne paire de décennies… jusqu’à l’émergence de cette génération au XXIe siècle. 

Il fut et il est encore tentant d’y conclure à de la pure nostalgie, comme on l’observe chez une légion de groupes prog et jazz-fusion, mais il faut nuancer dans le cas de Snarky Puppy. 

Convenons d’abord de la filiation évidente avec les Weather Report, Headhunters, Return to Forever, Mahavishnu Orchestra, Brecker Brothers, Billy Cobham, George Duke, Jan Hammer, Steps Ahead, Spyro Gyra, Pat Metheny Group et autres Steely Dan, ces groupes des années 70 ayant fusionné jazz, rock, funk et pop pour ainsi ravir les jeunes mélomanes à l’époque… avant que leurs successeurs ne transforment leur legs en bouillie prédigérée pour grandes surfaces et talk-shows télévisés.

Force est d’observer, à l’écoute de cet Immigrance, que la toile de fond demeure un tissu de polyrythmes, discours harmonique typique du jazz-rock post-Miles Davis, textures synthétiques plutôt passéistes, motifs guitaristiques et arrangements de cuivres/anches très proches des sons imaginés il y a plus de 40 ans. Or, il se trouve assez d’ingrédients pour exclure cette certification nostalgie… sans se rouler par terre. 

Le classicisme fusion l’emporte sur les ornements world, électro ou hip-hop de ces nouvelles compositions ; ces ornements nous ramènent néanmoins à l’indicatif présent.

Chose certaine (et réjouissante), Michael League et Snarky Puppy ont conquis un public beaucoup plus vaste et majoritairement plus jeune que celui des nostalgiques. Ils ont ainsi repris le collier pour mener un peu plus loin cette tendance propice au groove et à la virtuosité.

J-POP

Redoutables Minifées !

Punk
Chai
Sony Music Japon
Quatre étoiles

Sauf de rarissimes groupes devenus exotiques en Occident, on ne sait que peu de choses de la musique populaire nippone, souvent qualifiée de J-Pop. Instruisons-nous donc à l’écoute de Chai, qui accumule les éloges pour son dosage idéal d’influences de l’Est et de l’Ouest. Issu de Nagoya, ce groupe entièrement féminin existe depuis 2012 et vit à Tokyo depuis 2016. À l’écoute de ce Punk et du précédent Pink, force est de constater que Chai n’a pas grand-chose à voir avec la J-Pop prédigérée, rien à voir non plus avec tout girl group destiné aux marchés les plus perméables de la pop culture bas de gamme. Au programme, new wave, garage rock, punk rock, big beat, J-Funk, hip hop, J-Pop… excellente pop chantée en japonais ou en anglais avec un accent gros comme ça. Les influences assumées seraient Tojyo Jihen (rock), Orange Range (rap-rock japonais), Jamiroquai, Basement Jaxx, Gorillaz, The Chemical Brothers, Justice et autres Chvrches. Cette mixtion infernale n’exclut aucunement les accroches mélodiques et les hymnes fédérateurs essentiels à la… pop.

— Alain Brunet, La Presse

Blues

Guitare, gospel, générosité

Halfway Home by Morning
Matt Andersen
True North Records
Trois étoiles et demie

Maniant les mots et la guitare en marge du maelström médiatique, Matt Andersen n’en demeure pas moins un incontournable du blues canadien. La recette a fait ses preuves : des cordes virtuoses tour à tour grattées, pincées, caressées et frappées, quelques riffs électriques, des arrangements de cuivres et une voix soul puissante qui planque des refrains minimalistes. Si Halfway Home by Morning fait moins de place aux rengaines folk que son prédécesseur (Honest Man, 2016), il mise davantage sur les orchestrations – une dizaine de musiciens se partagent une vingtaine d’instruments. Autre nouveauté : les voix d’accompagnement des McCrary Sisters, qui insufflent une somptuosité gospel à l’ensemble. Seules la déclaration amoureuse Been My Last et la ballade country Something to Lose, chantée avec Amy Helm, en sont dépourvues. Pour le reste, le Néo-Brunswickois continue d’emplir ses bagages de récits de route, de rédemption et de passions impossibles. Même si les pièces, enregistrées live à Nashville, finissent par se ressembler, elles sont à tout coup livrées avec aplomb et générosité. Les Montréalais pourront voir Matt Andersen sur scène le 29 juin.

Électro-pop

Jeux nocturnes

Tempéraments
Malik Djoudi
Cinq7/Lisbon Lux Records
Trois étoiles et demie

Les propositions électro-pop de qualité abondent sur la scène musicale, et tirer son épingle du jeu demande courage, maîtrise et originalité. Mission accomplie pour Malik Djoudi, qui double son répertoire avec Tempéraments, 12 titres criblés de synthés sur lesquels il pose une voix androgyne et sensuelle. Repéré sur le tard par la plateforme underground La Souterraine, le chanteur de Poitiers, en France, a ce don évident pour confectionner des rythmes dansants et sulfureux sans négliger le message. Polysémies, flous, oxymores, ellipses : Djoudi joue avec la langue et avec ses auditeurs, captifs, qu’il entraîne dans ses tourments intérieurs et ses réflexions nocturnes. « Dis-moi qu’t’y penses », martèle-t-il, sibyllin, sur une compo introduite à la guitare. L’influence de la pop synthétique des années 80 est bien présente, mais sa démarche « do it yourself » et épurée lorgne du côté de son contemporain britannique James Blake. Une connivence existe aussi avec Étienne Daho, qui vient d’ailleurs appuyer l’interprétation d’À tes côtés. Mais, au bout du compte, aucune comparaison ne résiste totalement à la signature Djoudi. C’est là, peut-être, le plus grand mérite pour quiconque affronte la déferlante électro-pop…

— Charles-Éric Blais-Poulin, La Presse

Folk-pop

Du pareil au même

Le long chemin
Nicola Ciccone
Les éditions Matita
Deux étoiles et demie

Bien sûr, on ne reprochera pas à Nicola Ciccone de reproduire ce qui fait son succès commercial depuis 20 ans : des bluettes simples et accrocheuses. Il reste que les nouvelles chansons du crooner pèsent fort, très, très fort, sur le piton amoureux. Toutes les pièces, à l’exception d’une version réarrangée – et améliorée – d’Oh toi mon père, tournent autour de deux thèmes, soit la résilience des femmes (Elle, Courage, Pleure, Cinq, Superman est une femme) et la vie de couple (Le long chemin, La rue du paradis, etc.). Des sources d’inspiration intarissables, certes, pourvu que la forme et l’angle d’attaque soient renouvelés. Réflexion sur l’amour au temps du numérique, Difficile l’amour –  « Je t’aime tout simplement, sans pléonasme, sans préavis » – renvoie directement à J’t’aime tout court… « sans détour ni serment » (2009). L’album est truffé de clichés amoureux et de rimes faciles, ce qui n’enlève rien à la voix rassurante et à la sincérité palpable du chanteur. Musicalement, rien de neuf sous le soleil, avec des formules éprouvées guitare ou piano-voix. Les irréductibles de Nicola Ciccone seront comblés. Ils sont nombreux.

— Charles-Éric Blais-Poulin, La Presse

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