Chronique

Bravo l’ennui

Il y a un piège qui guette tous les parents de jeunes enfants, et j’aurais aimé qu’on m’en parle un peu plus avant que je mette les miens au monde.

Le piège de la planification.

On nous fait miroiter l’organisation et les calendriers bien chargés comme une garantie d’enfance heureuse et efficace pour notre progéniture, et donc, par le fait même, pour notre sentiment d’accomplissement comme parent.

On attribue aussi à la planification, et à sa grande sœur bienveillante l’organisation, toutes sortes de vertus thérapeutiques pour notre équilibre mental.

Cours de piano, colonie de vacances, danse, impro, camps de jour de toutes les couleurs…

« Planifie et organise », m’a-t-on dit alors que j’étais enceinte de 53 semaines et curieuse de la suite de ma vie, carrière et compagnie. « Et tu vas voir, tu vas t’en sortir. »

« Arrange-toi pour que ton quotidien soit bien encadré. Prévois… »

Tu parles…

Pendant des années, jamais je n’arrivais devant une semaine de relâche « relax ». Oh, que l’horaire était bien arrangé.

Une invitation surprise ? Impossible.

Un enfant qui appelle. « Mon amie peut-elle venir jouer ?

— Désolée, ça va aller au mois prochain. »

La planification, ne dit-on pas suffisamment, c’est aussi une prison.

On planifie, on planifie, mais on construit des murs autant que des garde-fous.

On s’inquiète, on prévoit, on cherche, on court, on essaie de planifier la planification et on prive en chemin les enfants de la joie du flou, de l’à peu près, de la nécessaire énergie de l’improvisation. On évacue l’imagination, l’adaptation, voire la débrouillardise.

On les prive même du temps libre nécessaire à cet ennui dont ils ont tant besoin pour le développement de leur créativité, nous répètent les psys, quoi qu’en disent leurs airs accablés quand ils viennent se plaindre qu’ils n’ont « rien à faire ».

La planification, c’est aussi cette prison qui nous prive de flexibilité quand vient le temps de choisir, avec eux, de bifurquer vers un chemin inattendu porteur de découvertes qui se feront en famille, où tout le monde sera émerveillé, surpris, « challengé » en même temps.

« On s’en va où, maman ?

— Je sais pas. On va le découvrir… »

Après 16 ans de parentalité, dont une bonne dizaine à gérer semaines surchargées, vacances aux activités cordées et week-ends saturés, je déclare que la vie a besoin de flou, de vides, des joies minuscules et grandes de l’inopiné et de l’impromptu.

Parce que, avouons-le, à force de vouloir être efficaces, on est devenus névrosés.

Et c’est épuisant.

« Lâche prise », m’a dit plusieurs fois, encourageante, l’animatrice Marie-Claude Barrette, que j’avais en entrevue l’autre jour, mais avec qui on échangeait aussi sur l’art d’élever des ados. Une bien bonne idée que je conseille à tous de suivre.

***

En voulant surorganiser les semaines de relâche et autres vacances de nos enfants, c’est souvent nous, les parents, qui nous sécurisons d’abord et avant tout.

Selon un article que je lisais récemment dans le magazine Entrepreneur – ça fait chic de dire ça, mais c’est un lien que j’ai trouvé sur Twitter –, les psychologues et ceux qui étudient l’efficacité des gens en entreprises ont identifié un mal qu’ils ont baptisé « hurry sickness », la maladie d’être à la course. On ne parle plus d’être efficace, ici. On parle de gens qui sont toujours à la course parce que c’est devenu leur mode de fonctionnement, des gens qui courent après leur queue et finissent par tourner en rond, pressés d’être pressés. On parle de la disparition de la patience et de la capacité d’attendre, debout devant un ascenseur, à un feu rouge, dans le métro, assis dans un parc, sans rien faire.

Or, comme l’explique la psychothérapeute Odile Chabrillac, auteure de Petit Éloge de l’ennui, cette capacité de confronter l’absence d’activité est cruciale, non seulement pour notre créativité, mais pour notre accès au bonheur. « La frénésie de nos vies nous empêche d’accéder au bonheur, disait-elle récemment en entrevue au magazine Psychologies. Nous ne nous laissons pas d’espace pour le questionnement. Ce questionnement existentiel qui permet de trouver notre route pour être heureux. L’ennui génère un espace pour ce questionnement. Car nous vivons en apnée. Nous avons l’illusion de courir derrière le bonheur, mais nous sommes comme des hamsters qui tournent en rond dans leur cage. Nous ne savons – ou nous n’osons – pas nous arrêter. »

Comment peut-on donc montrer à nos enfants à être heureux si nous les plongeons dans la même course folle ?

En fait, ce que dit Mme Chabrillac, c’est que non seulement on ne devrait pas surcharger la vie de nos enfants, mais on devrait admirer, prendre exemple sur leur comportement devant l’ennui. « Un enfant qui s’ennuie, c’est un moment riche au cours duquel il développe son imagination et sa créativité. Il ne faut pas vouloir occuper à tout prix les enfants ! », dit-elle.

Alors non seulement ne paniquons pas si la semaine de relâche n’est pas déjà remplie d’activités. Profitons-en ! Laissons les portables au bureau et réapprenons, avec nos enfants, à ne rien faire, à regarder doucement les aiguilles de la montre tourner. Histoire de voir où cela nous transporte.

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