Série 2/2 L’après-Weinstein dans le monde

« Encore très loin » de l’égalité entre les sexes

Depuis la dénonciation des agressions sexuelles commises par le producteur Harvey Weinstein, un mouvement sans précédent qui pourrait transformer profondément les relations entre les sexes s’est mis en branle un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, les répercussions en France.

En France, la tempête #MeToo, popularisée par le mot-clic #BalanceTonPorc, a déferlé à la mi-novembre avec la publication coup sur coup de deux reportages, le premier dans Libération, le second dans Le Monde.

Dans les deux cas, il était question d’organisations politiques progressistes, théoriquement vouées à la défense des droits des femmes. Mais en pratique soumises à des pratiques machistes à faire dresser les cheveux sur la tête.

Le premier cas concerne le Mouvement des jeunes socialistes (MJS), dont l’ancien président, Thierry Marchal-Beck, avait l’habitude d’agresser des militantes avant de se présenter comme un leader féministe et de livrer de vibrants discours pour l’égalité des sexes. Huit de ses victimes ont rompu le silence, dans la foulée de l’affaire Weinstein.

Selon l’une d’entre elles, lors d’un camp d’été du MJS, les militants allaient jusqu’à pratiquer un jeu sexuel à points. Plus ils accumulaient de conquêtes sexuelles, plus ils montaient dans les instances…

À l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), les jeunes recrues subissaient une sorte de rituel d’initiation sexuelle nécessaire à l’avancement de leur carrière.

Un mot d’ordre d’une vulgarité sans nom régnait au sein de cette organisation, selon les témoignages publiés sur les réseaux sociaux et dans Le Monde : le syndicat, a-t-on l’habitude d’y répéter, « se construit à coups de queue… ».

« Quand tu étais une femme, tu étais soit une épouse, soit une sœur, soit une putain. »

— Ancienne cadre du syndicat

Deux organisations, une même culture… et une même omerta sur le harcèlement sexuel infligé aux femmes.

Au fil des dernières semaines, la France a aussi été secouée par le scandale Tariq Ramadan : plusieurs femmes accusent ce prédicateur musulman charismatique, petit-fils du fondateur du mouvement des Frères musulmans, d’avoir profité de son aura intellectuelle pour les agresser et les violer.

Deux ans plus tard

Ce n’est pas la première fois que des affaires de ce genre éclatent en France. Il y a deux ans, une série de révélations ont éclaboussé l’ancien député écologiste Denis Baupin, accusé d’avoir harcelé à répétition huit militantes de son parti.

Sur le coup, des groupes féministes s’étaient réjouis : l’affaire Baupin annonce le début de la fin du machisme, a-t-on espéré. Puis… rien.

L’affaire Baupin n’a pas eu de suites, constate la sociologue Vanessa Jérôme. Mais elle croit que cette fois, c’est différent.

« Le mouvement #BalanceTonPorc a fait boule de neige, c’est devenu un vrai mouvement de fond. Les femmes disent : “Ça suffit, y en a marre de supporter tout ça, du sexisme ordinaire à l’agression.” »

Mais la France est loin de la Suède, où l’indignation a atteint toutes les couches de la société. « Chaque jour, dans l’autobus, j’entends des gars dire des horreurs sur le mouvement #BalanceTonPorc », ajoute la sociologue, qui ne s’attend pas à ce que la vague antimachiste fasse des miracles en France.

« Ce que j’espère, c’est que ceux qui disent ces horreurs, à l’avenir, parlent un peu moins fort. »

Car le plus grand acquis, selon elle, de la vague #MeToo, c’est que la « honte est en train de changer de camp ».

Les femmes ne sont plus gênées de dénoncer les agressions dont elles sont victimes. Comment faire pour que l’impact de ces dénonciations perdure ?

« Nous avons passé un cap, des choses refoulées depuis longtemps sont sorties, maintenant, il faut que ça devienne l’affaire de tous, qu’on enclenche un débat de société. »

— Jean-Claude Kaufmann, sociologue français

Pour ce spécialiste du couple, le défi est de « redéfinir les rapports de séduction sans imposer une police des mœurs ».

« Nous croyons avoir atteint l’égalité entre les sexes, mais en réalité, on en est très loin. Particulièrement en ce qui a trait au partage des tâches domestiques. Et en ce qui a trait au sexe. »

Selon lui, ce qu’on a appelé « l’affaire Baupin » a ouvert les portes à un débat sur ces questions en France. Le scandale Weinstein y a donné un coup d’accélérateur.

La bombe Weinstein décortiquée

Ce qui est particulier dans la vague de dénonciations suivant l’affaire Weinstein, c’est qu’elle ne retombe pas, note Martine Delvaux, professeure de littérature à l’UQAM, qui recueille des témoignages de victimes de harcèlement dans le cadre d’un projet littéraire.

Il y a trois ans, le mouvement #agressionnondénoncée, né dans la foulée des accusations contre l’animateur torontois Jian Ghomeshi, s’était rapidement épuisé, note-t-elle. Cette fois, c’est différent.

« Des gens puissants ont été mis à pied, des têtes sont tombées, les employeurs ont réagi immédiatement, il n’y a plus de complaisance pour les secrets de Polichinelle. »

Ce qui frappe aussi Martine Delvaux, c’est que contrairement aux messages de 140 caractères qui s’étaient répandus comme une traînée de poudre il y a trois ans, cette fois, les femmes publient de longs statuts détaillés. Qui mettent souvent en scène des hommes « grotesques, pathétiques, pitoyables ».

Tout ça contribue à « renverser le fardeau de la honte ».

La vague mondiale

Maroc

L’affaire Weinstein a incité 16 Marocaines à sortir du silence et dénoncer le harcèlement sexuel dont elles ont été la cible dans leurs secteurs professionnels respectifs. Les témoignages de ces femmes issues de divers milieux ont été publiés dans l’hebdomadaire TelQuel. Parmi elles, on retrouve la sociologue Fatima Zohra Outaghani, la présidente de l’Organisation panafricaine de lutte contre le sida, ou encore la comédienne Meryem Zaïmi. Cette dernière relate comment un réalisateur avait tenté de la forcer à coucher avec lui pour pouvoir jouer dans ses films. « C’est un fléau pire que le sida », accuse Fatima Zohra Outaghani. 

La vague mondiale

Japon

La société japonaise traîne de la patte en matière de lutte contre le harcèlement sexuel. Shiori Ito, jeune journaliste, a révélé avoir été violée par un célèbre collègue. Celui-ci l’avait invitée au restaurant en lui faisant miroiter la possibilité de se faire embaucher à la chaîne de télévision TBS. La jeune femme raconte avoir alors été droguée et violée. La police l’a découragée de porter plainte, pour préserver sa carrière. Après ses révélations, la jeune femme a été vertement critiquée sur les réseaux sociaux, où on lui a notamment reproché ses tenues vestimentaires. Jusqu’à la femme du premier ministre Shinzo Abe qui a appuyé le possible agresseur en « aimant » un statut où celui-ci accusait la jeune femme d’avoir tout inventé.

La vague mondiale

Corée du Sud

Après la dénonciation d’une jeune employée d’une entreprise de meubles qui affirme avoir été violée par un collègue de travail, mais qui s’est vue forcée de revenir sur sa plainte, les voix se libèrent. Jusqu’aux infirmières qui ont protesté parce que leurs patrons les obligeaient à faire des spectacles en petite tenue devant les patients ! Une série de scandales forcent le gouvernement à augmenter la peine maximale imposée aux cadres d’entreprises reconnus coupables d’avoir camouflé des cas de harcèlement.

La vague mondiale

Espagne

Si le mouvement #MeToo n’a pas vraiment fait boule de neige en Espagne, les Espagnoles ont lancé leur propre mouvement sous le mot-clic #YoSíTeCreo (« moi je te crois »). Le mouvement fait suite à un viol collectif survenu à Pampelune lors des fêtes de la San Fermín, en 2016. Les cinq accusés se sont défendus en tentant de discréditer leur victime.

La vague mondiale

Inde

Raya Sarkar, étudiante indienne faisant une maîtrise en droit aux États-Unis, ouvre un site partagé et invite les étudiants à dénoncer les agressions sur les campus en Inde. Rapidement, on y retrouve les noms de 72 professeurs.

La vague mondiale

Chine

La Chine fait bande à part. Dans la foulée de l’affaire Weinstein, un article paru dans le China Daily assure que « les valeurs chinoises traditionnelles et les mœurs conservatrices tendent à protéger les femmes contre les attitudes déplacées des individus de sexe opposé ». Il faut dire que celles qui dénoncent ces attitudes officiellement inexistantes risquent gros. En 2015, 10 militantes qui avaient voulu lancer une campagne anti-harcèlement sexuel se sont retrouvées en prison.

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