Flicker de Margaret Grenier

Entre tradition et avenir

Première visite à Montréal de la troupe de Colombie-Britannique Dancers of Damelahamid, dirigée par Margaret Grenier. La chorégraphe et danseuse vient présenter Flicker, une pièce de danse contemporaine autochtone.

La pratique de votre compagnie est fortement ancrée dans les traditions de vos ancêtres cris et gitksan, mais c’est aussi une troupe contemporaine. Comment liez-vous ces deux mondes ?

J’ai grandi avec la danse traditionnelle et j’ai décidé de continuer à la transmettre. Cette danse est spécifique à la côte Nord-Ouest et est très narrative. Nous écrivons l’histoire, composons la musique, créons nos costumes et les projections. C’est le côté contemporain, mais la forme de la danse est traditionnelle. Elle a été réactivée dans les années 60, heureusement, parce que plusieurs choses avaient été oubliées. J’ai grandi avec cette forme qui est âgée de plusieurs centaines d’années. Depuis 15 ans, mon objectif est de perpétuer cette tradition. Nous sommes très peu nombreux à le faire.

Mais vous racontez des histoires contemporaines ?

Depuis quelques années, c’est notre approche. Même si les costumes et les masques peuvent sembler traditionnels, ce n’est pas tout à fait le cas ; ils ne sont pas fabriqués de façon traditionnelle. Flicker ne raconte pas une vieille histoire, mais sert à transmettre le message que nous souhaitons faire passer. Le mot flicker veut dire « clignotement », mais c’est aussi le nom d’un oiseau, le pic flamboyant. Nous explorons l’histoire de notre famille à travers les décennies, la quête identitaire et le fait de vouloir continuer d’avancer malgré des pertes culturelles considérables. C’est un processus fortifiant.

L’un des sujets abordés est le monde animalier. Cela fait aussi partie de la tradition, la proximité entre les humains et la nature, non ?

Le plumage du pic flamboyant fait partie intégrante de nombreux dessins dans notre culture. En se posant la question d’une pratique contemporaine dans une structure traditionnelle, on a pensé aux arts visuels qui ouvrent des formes traditionnelles en innovant. C’est ce qu’on essaie de faire. Le symbole du plumage joue un rôle fondamental dans notre héritage, mais on l’utilise d’une manière contemporaine.

Est-ce qu’on peut dire que la fable que vous racontez est écologiste ?

Tout à fait. Cela fait aussi partie de notre culture. J’ai été formée de cette façon. Notre vision du territoire n’est pas fondée sur la propriété, mais sur le partage. Que nous vivions en ville ou pas, nous réfléchissons à notre impact sur l’environnement et sur notre vie. Sur la côte Ouest, dans notre culture, il n’y a pas de limite précise entre l’humain et l’animal. Le pic flamboyant dans la pièce est représenté à la fois comme un humain et un animal. Le personnage principal devient un oiseau au sens propre et au sens figuré. C’est une tradition qui m’a été transmise par ma famille.

Il y a aussi dans Flicker, semble-t-il, un climat de rêverie provoqué par les projections et les éclairages ? Pourrait-on le qualifier de spirituel ?

Oui. Nous parlons du monde spirituel. Nous utilisons un écran translucide qui permet aux interprètes de danser derrière ou devant l’écran, ce qui nous donne cette idée du tangible versus l’intangible. L’art, la danse nous permettent d’accéder à l’intangible. Je peux ainsi partager notre vision du monde des esprits. C’est aussi une façon de transmettre les connaissances et l’histoire de nos relations avec les esprits à travers la danse et le mouvement.

Comment voyez-vous l’émergence des arts et des artistes autochtones depuis quelques années ? 

Mon expérience démontre qu’il y a maintenant un dialogue qui était absent il n’y a pas si longtemps. Ce n’est pas encore suffisant pour construire des ponts entre les cultures, notamment pour comprendre l’immense diversité des expressions autochtones. Le grand public n’a pas encore une idée précise de la richesse de nos cultures. Quand nous créons et que nous nous produisons, nous sommes conscients que nous représentons plus que nous-mêmes. J’assume cette responsabilité avec beaucoup de sérieux. Le fait que nous venions au Québec avec Danse Danse démontre que les choses changent. C’est un très beau changement. La vraie réconciliation, c’est de permettre aux gens de rester eux-mêmes. Cela arrive de plus en plus souvent.

À la Cinquième Salle de la Place des Arts du 14 au 18 novembre, dans le cadre de Danse Danse

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