pénurie de main-d’œuvre

l’autocar de l’emploi

Ils viennent de partout dans le monde et ont pris l’autocar pour aller faire le tour de la Beauce. Ils cherchent un emploi, et les entreprises de la région cherchent à contrer la pénurie de main-d’œuvre.

Notre chroniqueuse Marie-Claude Lortie était à bord.

pénurie de main-d’œuvre

Employeurs cherchent immigrants, en Beauce

L’autocar attend sagement devant l’ancienne gare de la rue Berri, mais même s’il est à peine 7 h, je suis une des dernières à embarquer. À l’intérieur, c’est très calme.

Jean-Emmanuel, Oussein, Brice, Gladys et compagnie sont silencieux.

On a une bonne route à faire.

On part pour la Beauce.

On part pour la Beauce pour chercher du travail.

Là-bas, la crise de l’emploi est grave. Pas parce qu’il manque de jobs. Parce qu’il manque de gens. On n’est plus dans le plein emploi. On est dans la pénurie de main-d’œuvre.

Donc cap sur Scott et Sainte-Marie où, on espère, tout le monde trouvera son compte : un boulot ou un nouvel employé.

Ce voyage qui amène de nouveaux arrivants et d’autres membres de minorités visibles en quête d’un boulot est organisé par la Fédération des chambres de commerce du Québec dans le cadre de l’initiative Un emploi en sol québécois. Le but est d’aider les régions à recruter et d’aider les nouveaux arrivants et tous ceux qui ont de la difficulté à trouver l’emploi idéal à Montréal à sortir des grands centres.

Le voyage les mettra en contact directement avec des employeurs. Mais on en profitera aussi pour visiter un peu. Rencontrer les locaux. Vous vous rappelez le film La grande séduction ?

« Moi, j’aime les villes calmes et mes enfants sont prêts à me suivre », me confie Gladys Pontat, qui est d’origine martiniquaise et vit au Canada depuis 11 ans. Elle a déjà habité au Saguenay, où elle a obtenu un diplôme en assurance qualité au cégep Gérald-Godin, après avoir été formée en France, à Poitiers : un diplôme de premier cycle dans le domaine de l’industrie chimique et pharmaceutique. Actuellement, elle n’a pas d’emploi. Son mari, qui a un doctorat en génie, non plus. Ils vivent à Montréal, mais de l’aide sociale. « Oui, c’est très difficile. »

Dans le bus, en revenant, elle m’expliquera qu’une des entreprises alimentaires rencontrées à Scott lui a fait une proposition pour un emploi dans son usine de Saint-Hyacinthe. « Oui, je suis ouverte ! »

Plus loin dans le car, il y a aussi Brice Bouity, originaire du Congo-Brazzaville. Il est au Canada depuis trois mois. Il a fait six ans d’études en génie civil, il a 16 ans d’expérience. Il n’a pas envie de recommencer au bas de l’échelle, mais il est vraiment prêt à sortir de Montréal. Il est même convaincu qu’en région, il sera plus facile de s’intégrer.

Ça tombe bien. La Beauce, où on s’en va, fait partie de Chaudière-Appalaches, une région où le taux de chômage est particulièrement bas, à peine 3,5 %. En 2017, selon Statistique Canada, le nombre de jobs disponibles au Canada a augmenté de 23 %, et de 46 % au Québec. Chaudière-Appalaches est au cœur de ce phénomène.

Des gens comme Sabrina Champoux, conseillère en ressources humaines chez le fabricant de bardeaux de cèdre SBC Cedar, sont au rendez-vous quand les chercheurs d’emploi arrivent au parc Atkinson, à Scott, non loin de Sainte-Marie. « Oui, on est obligé, de mettre des commandes en attente parce qu’on manque de monde », explique-t-elle, alors que les candidats potentiels sont déjà en train de s’installer aux tables où les recruteurs les attendent, plein d’espoir.

À leur arrivée, c’est Aya Georgette Dje, du Carrefour Jeunesse Emploi, qui les a accueillis avec un sourire et une bonne humeur contagieuse. Agente d’intégration originaire de la Côte d’Ivoire, doctorat en sociologie, elle « vend » la Beauce aux immigrants. « Ça sert à quoi d’être à Montréal si c’est pour rien faire ? », leur demande-t-elle avec un immense sourire. « Moi aussi, quand on m’a offert de quitter Québec, je me suis dit que je n’avais pas quitté l’Afrique pour aller vivre à la campagne. Mais aujourd’hui, je ne partirais pour rien au monde. »

Aux visiteurs, elle parle de la qualité de vie, de tout qui est moins cher, en commençant par le loyer, de l’absence de bouchons de circulation, de la qualité de l’air, des terrains disponibles et abordables pour construire, de la disponibilité de médecins de famille, de la prise en charge par la communauté…

Nancy Labbé, directrice générale de la Chambre de commerce de la Nouvelle-Beauce, le territoire où est situé Scott, s’assure aussi du bien-être de tous les participants.

« Vous êtes tellement les bienvenus », leur dit-elle en courant à gauche et à droite pour que tous les candidats voient le plus de recruteurs possible.

Plus tard, dans le bus qui fera le tour de la région, elle parlera en détail de chaque bon resto de Sainte-Marie, des zones inondables de la rivière Chaudière, montrera où est le CLSC, sa rue. À midi, c’est elle qui fera le service de quiche, de lasagne et de salade. On dirait que si elle le pouvait, elle promettrait de préparer les boîtes à lunch des futurs travailleurs.

Dans le car du retour, il y a un peu plus de discussions.

Jean-Emmanuel Owono, 24 ans, originaire du Cameroun, arrivé au Canada depuis huit mois, a reçu une offre d’emploi officielle par courriel peu de temps après son arrivée dans le véhicule nous ramenant à Montréal. On lui propose un poste de chef d’équipe en ébénisterie chez Fabrication Clément. « Ça s’est très bien passé », dit-il. Le problème ? Il a fait la même activité de la FCCQ il y a quelques semaines, s’est rendu à Val-d’Or, a eu une offre d’emploi et même un stage d’une semaine clos par une fête en son honneur. « Là, je suis déchiré. »

À côté de lui, son ami Guy-Michel Adjimi, originaire de la Côte d’Ivoire, arrivé depuis sept mois au Canada, a eu lui aussi une offre de Val-d’Or. Ça leur tente de partir ensemble. « J’aime vraiment ça marcher dans la forêt, dit Owono. Là-bas, on est dans la nature. »

Oussein Koungou, originaire du Burkina Faso, a aussi reçu une offre d’une scierie. Mais il va attendre. Il sait que les entreprises ont besoin d’eux.

Pénurie de main-d’œuvre

La pénurie de main-d’œuvre en quelques mots

Non qualifiés

On insiste beaucoup sur l’importance d’être qualifié, peu importe d’où on vient, quand on arrive sur le marché du travail, mais tous les acteurs de la crise le disent : il y a du travail pour tout le monde, même des emplois non qualifiés, notamment dans la restauration, dans les hôtels…

Régions

Abitibi, Chaudière-Appalaches, Estrie… Il y a désespérément beaucoup de postes pour ceux qui acceptent de quitter la métropole. Et beaucoup de gens prêts à les accueillir à bras ouverts parce qu’actuellement, de nombreuses entreprises doivent rouler au ralenti, donc refuser des commandes, car elles manquent de main-d’œuvre.

Diplômes

Les immigrants vivent un paradoxe. Souvent, on les choisit parce qu’ils sont qualifiés, diplômés, formés, expérimentés, mais quand ils arrivent ici, on tarde à reconnaître cette expertise. Cela est la source de beaucoup de frustrations.

Sociodémographie

Il est vrai que, traditionnellement, le taux de chômage a toujours été plus élevé chez les immigrants que dans le reste de la population, et cet écart est plus grand au Québec et à Montréal qu’ailleurs au Canada. Cela dit, avec le temps, l’écart diminue. Il est aussi vrai qu’il y a de la discrimination à l’embauche, tel que démontré par l’étude de Paul Eid, de l’Université du Québec à Montréal. En 2012, le professeur et son équipe ont fait le test d’envoyer des CV semblables, avec des noms traditionnellement québécois et des noms aux consonances étrangères, pour répondre à différentes offres d’emploi dans divers secteurs. Résultats : 35 % des refus des candidats aux noms « étrangers » s’expliquent par de la discrimination pure et simple. Mais les gouvernements et les entreprises font des pieds et des mains actuellement pour corriger la situation, car la vitalité économique est en jeu, puisque le vieillissement de la population crée des pertes de main-d’œuvre que le taux de natalité ne peut combler.

Pénurie de main-d'œuvre

La clé, c’est le potentiel

Il y a une pénurie de main-d’œuvre au Québec. Dans plusieurs régions, c’est criant. Comment relever le défi ? Voici quelques idées d’immigrants et d’employeurs.

Karim Ait Hamlat

35 ans

Arrivé au Québec en juillet 2015, originaire de l’Algérie. A trouvé un vrai travail en mai 2017, après avoir fait plusieurs « jobines ». Il est maintenant agent d’approvisionnement au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. En gros, il aide le réseau de la santé à placer des personnes qui sortent des hôpitaux, beaucoup de personnes âgées mais pas uniquement, dans des ressources intermédiaires privées. Il faisait à peu près le même travail en Algérie.

« Le défi, c’est que le Québec et le Canada nous recrutent parce qu’on est qualifiés, mais ensuite, on nous fait comprendre, rendus ici, qu’on doit diminuer nos attentes face aux emplois. J’étais gestionnaire dans mon pays, je suis recruté pour ça, je m’attends à faire la même chose ici, non ? Dans le privé, mon expérience, c’est que les gens ne veulent pas prendre de risque. Au public, c’est différent.

« Est-ce que les recruteurs font autant d’efforts que nous ? Prennent-ils la peine d’essayer de voir, au-delà du CV, le potentiel des gens ? Parce que c’est ça, la clé. On recrute du potentiel. C’est pour ça que je ne crois pas qu’il faut changer le système d’immigration pour aller chercher des CV spécifiques pour des postes spécifiques. Parce que le marché du travail finit par changer, par évoluer. Dans mon cas, la personne qui a tout changé, c’est celle qui a vu mon potentiel, parce qu’en fait, je n’avais pas postulé pour cet emploi, mais pour un autre. »

Christiana Simonsen

41 ans

Arrivée au Québec du Brésil en 2003. Gestionnaire en ressources humaines chez Maya HTT, une entreprise de logiciels d’ingénierie pour fluides thermiques. L’entreprise est partenaire avec le programme Interconnexion de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, un des programmes sur le terrain, appuyé par Québec, pour favoriser l’embauche d’immigrants dans les entreprises montréalaises. Une dizaine de personnes ont ainsi été recrutées, dont trois qui sont encore au sein de l’entreprise.

« J’ai fait une maîtrise ici en relations industrielles sur l’intégration dans le marché québécois du travail. C’est mon travail, c’est aussi mon parcours. Le premier défi, c’est l’apprentissage du français, c’est clair. Et il y a connaître la langue et ensuite la question de l’accent. Moi, je parle bien français, mais mon accent est toujours là, et ce n’est pas rien.

« Ensuite, il y a la question de la non-reconnaissance des diplômes. Les gens ici ont peur de l’inconnu. Les ordres professionnels surveillent tout ça de près. »

Véronique Tougas

Présidente du groupe Cambli

L’entreprise de 250 employés de Saint-Jean-sur-Richelieu construit des véhicules blindés et fait face à de graves problèmes de recrutement. Au point où on songe maintenant à aller faire directement du recrutement à l’étranger.

« On cherche du monde dans toutes sortes de métiers, incluant des journaliers qu’on forme à l’interne. » Il y a de la place pour tous. « À cause du manque de main-d’œuvre, notre capacité de production est limitée. On va chercher des millions en moins. Je vis une croissance importante dans mon secteur. Mais je n’ai pas de main-d’œuvre.

« L’an dernier, il nous manquait 70 personnes. Il y a beaucoup de compétition entre les entreprises. Tout le monde a des problèmes de recrutement. Il manque de population active. Et le problème va aller en empirant. Les immigrants qui s’installent à Montréal veulent être à Montréal. Il faudrait leur dire avant qu’ils arrivent que des emplois les attendent à Saint-Jean. Il faut créer des liens très tôt dans le processus entre les immigrants et l’entreprise employeuse.

« On est prêts à les accueillir. À gérer l’intégration. À rendre les gens heureux et loyaux. On l’a faite, cette réflexion. On est rendus là. Et tout le monde doit la faire. Parce que sinon, c’est beaucoup d’activité économique en moins. »

Michel Leblanc

Président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Son organisme chapeaute notamment le programme Interconnexion qui met en lien des immigrants qualifiés et des entreprises qui recrutent.

« Le recrutement des immigrants progresse. La sélection est de plus en plus en lien avec les besoins du marché du travail… C’est sûr que sur le terrain, ici, il y a encore des blocages systémiques. L’humain penche naturellement vers ce qu’il connaît. C’est difficile à quantifier, même à identifier.  Les ordres professionnels se sont souvent traîné les pieds pour la reconnaissance des diplômes. Il y a de longs délais. Je rends hommage à l’Ordre des ingénieurs qui a diminué le délai de reconnaissance des diplômes en se fixant un objectif de huit à neuf mois. On espère que les autres ordres vont faire ça. 

« D’autres choses ont changé. Le gouvernement a triplé son engagement financier pour notre programme Interconnexion, qui existe depuis 10 ans. On est passés de 125 candidats par année à 1000 par année. Là, on vise 3000. On les met en contact avec des entreprises, on les mentore, on leur trouve des offres d’emploi, etc. Le taux de succès est de 70 %.

« Ce programme coûte 3 millions par année. Donc on parle de 1000 $ par participant maintenant. On aide les gens, dans certains cas, à quitter l’aide sociale, le chômage, les emplois précaires peu rémunérés. Pour le gouvernement, c’est très rentable. »

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