Communication

Les défis de « parler » émoji

Il est commun d’agrémenter nos échanges électroniques d’émojis censés ajouter de la clarté à la communication. Sauf que, parfois, c’est le contraire qui risque de se produire. Coup d’œil sur un langage que certains envisagent comme une nouvelle langue à part entière.

☺ ou : -)

Deux noms sont utilisés pour parler des symboles qu’on ajoute à nos textos et à nos échanges électroniques en général pour y mettre de l’émotion. Le terme émoticône englobe à la fois les signes formés d’éléments de ponctuation et les petits dessins, alors que le mot émoji se réfère directement aux icônes d’origine japonaise très en vogue depuis environ cinq ans.

Pourquoi « parler » émoji ?

La communication, même verbale, ne repose jamais que sur les mots. « Il y a aussi l’intonation, les silences ou le rire. Il y a plein d’autres signaux qui contribuent à raffiner le message », fait valoir Mélanie Millette, professeure au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les émojis permettent justement d’ajouter quelque chose qui relève du ton dans un échange écrit. « Ça précise le message en donnant une indication du ressenti », résume-t-elle.

Se tromper… une fois sur quatre !

Ces petits dessins clarifient-ils vraiment les échanges ? Pas toujours, selon une étude réalisée par le GroupeLens Research, à l’Université du Minnesota. Une fois sur quatre, les participants de l’étude n’arrivaient pas aux mêmes conclusions lorsqu’il leur fallait déterminer si le sentiment évoqué par l’image était positif, neutre ou négatif. Faut-il s’en étonner ? « La communication n’est pas une science exacte, dit Mélanie Millette. Le message est rarement unanimement décodé de la manière qu’on voulait l’encoder. » C’est aussi le cas dans la communication verbale.

Double sens

Est-ce que je viens d’envoyer un sexto par accident ? C’est par cette question qu’une journaliste du journal britannique The Guardian amorce sa chronique sur les émojis où elle évoque le double sens parfois méconnu des populaires icônes. Oui, bien entendu, plusieurs images possèdent un sens caché, souvent coquin. Tout le monde est capable de deviner que l’aubergine ou la banane évoque le sexe masculin. Or, pour certains initiés, un melon n’est pas qu’un melon, et une licorne n’est pas une monture imaginaire…

Perdu dans la traduction

Un autre piège s’ajoute à l’interprétation qu’on peut faire d’un émoji : la métamorphose qui s’opère lorsqu’il passe d’une interface à l’autre. L’icône du bonhomme sourire d’Apple n’est en effet pas la même que celle affichée sur un appareil qui utilise le système d’exploitation Android.

Les chercheurs de l’Université du Minnesota soulignent notamment que le bonhomme joyeux de Google (image du haut) est interprété comme un visage agressif lorsqu’il est lu par un appareil Apple (image du bas). Le risque de malentendu augmente donc lors de ces transits entre les interfaces, ont-ils constaté.

Traducteur d’émoji

Le défi d’interprétation posé par les émojis a incité une firme anglaise à ouvrir un poste de « traducteur d’émoji », comme l’ont rapporté ces dernières semaines des journaux britanniques. Dans son offre d’emploi, Today Translations disait chercher « la bonne personne pour faire face au défi posé par le langage le plus en croissance au monde ». La firme souligne notamment que le candidat devra tenir compte des différences culturelles dans l’utilisation et l’interprétation des émojis. « Un sourire avec les dents ne signifie pas la même chose ici et en Chine, la connotation des animaux n’est pas non plus la même ici et en Asie », confirme Mélanie Millette.

Un langage universel ?

Les partisans des émojis croient qu’ils pourraient devenir une forme de communication internationale. « Je suis perplexe », admet Mélanie Millette. Elle souligne notamment que « toutes les langues du monde ont leur propre structure grammaticale ». Ainsi, même en supposant que les icônes ne sont pas sujettes à interprétation, un message écrit en émojis dans une structure allemande, par exemple, serait difficilement compréhensible pour un lecteur francophone qui ne sait pas que le verbe conjugué est toujours en deuxième position dans cette langue et en dernier lorsqu’il est à l’infinitif. Conclusion : l’émoji n’est pas près de devenir un langage universel !

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