Don d’organes

Octavie voulait vivre

Avertissement : cette histoire se termine mal. Malgré tout, Octavie aurait voulu que vous la lisiez jusqu’au bout. La jeune femme en attente d’une double greffe a laissé entrer La Presse dans son intimité au cours des derniers mois dans l’espoir de sensibiliser les Québécois à l’importance du don d’organes.

« Je trouve le temps long. »

Octavie Lambert n’est pas du genre à se plaindre.

Cette guerrière de 4 pi 9 po et 100 lb mouillée mène un combat contre la fibrose kystique depuis sa naissance.

Mais cela fait déjà quatre mois que la jeune femme de 19 ans à l’air juvénile est hospitalisée au CHUM lorsque La Presse la rencontre pour la première fois en avril.

Quatre mois dans une chambre – aussi lumineuse et confortable soit-elle –, c’est long. Très long.

Octavie attend une double greffe. Elle a besoin de nouveaux poumons. Et d’un nouveau foie aussi.

Dans toute l’histoire du CHUM, où elle est hospitalisée depuis janvier, on a pratiqué seulement deux fois une double greffe (poumons et foie transplantés en même temps).

La première fois, c’était en 2012. Elle espère être la troisième patiente.

« La fibrose kystique est une maladie qui atteint plusieurs organes. Tout le monde connaît l’atteinte pulmonaire, mais ça peut aussi atteindre le foie, les intestins, le pancréas », explique le pneumologue François Tremblay.

Le diagnostic de « FK » – comme dit Octavie – est tombé lorsqu’elle avait deux ans et demi. Mais depuis sa naissance, ses parents se doutaient que quelque chose n’allait pas. Bébé, elle était toujours malade. Elle ne grossissait pas au même rythme que les autres.

À partir de l’âge de 10 ans, elle a été hospitalisée à répétition pour son problème pulmonaire. Et depuis quelques années, son foie est aussi très malade. Au départ, les médecins prévoyaient lui transplanter des poumons d’abord, puis un foie dans une autre opération plus tard. Mais il est devenu évident qu’elle ne survivrait pas à une greffe pulmonaire sans un nouveau foie, ajoute le Dr Tremblay.

La jeune femme est maintenant trop malade pour attendre la double greffe à la maison. Sa capacité pulmonaire a beaucoup diminué. Elle est rendue à 13 %. « En bas de 30 %, c’est une atteinte très sévère », dit le pneumologue.

Octavie doit tout de même se garder en forme pour l’intervention. Des appareils d’exercice traînent dans un coin de la chambre. Elle réussit à faire 10 minutes de vélo stationnaire tous les deux jours.

Son amoureux vient passer une semaine sur deux avec elle. Ses parents viennent durant leurs journées de congé. Son papa est propriétaire d’un restaurant et sa maman travaille au service alimentaire d’un hôpital. Personne n’a les moyens de cesser de travailler pour rester à ses côtés.

« J’y vais un jour à la fois. Je vois cela comme un long combat », confie la jeune femme avec un mélange de calme et d’optimisme.

Octavie est active sur les réseaux sociaux. Elle alimente sa page Facebook d’autoportraits pris sur son lit d’hôpital pour conscientiser les gens au don d’organes.

Au moment de notre première rencontre, l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse vient d’adopter à l’unanimité une loi qui suppose le consentement au don d’organes. La province maritime devient ainsi le premier gouvernement en Amérique du Nord à le faire.

Quand la loi entrera en vigueur, tous les adultes de cette province seront considérés comme des donneurs d’organes potentiels, à moins qu’ils n’indiquent leur refus.

« Je trouve que c’est une bonne idée, dit la jeune femme toujours souriante. Souvent les gens sont d’accord, mais ils oublient de signer leur carte ou d’en parler à leur famille. Ça va sauver des vies. »

Un cas complexe

L’été arrive. Il n’y a toujours pas de donneur potentiel pour Octavie. Son cas est complexe. Elle a besoin d’un donneur dont les poumons et le foie sont en santé. Les organes ne peuvent provenir de deux donneurs différents. Il doit être du même groupe sanguin (O négatif). Et comme Octavie a pratiquement la taille d’une enfant, les organes doivent être petits.

Les médecins pourraient tailler des poumons trop gros pour elle, mais ça augmente les risques de complications, notamment plus de saignements, précise le pneumologue François Tremblay.

« Son cas est complexe, souligne l’intensiviste Daniel Corsilli. Ça prend idéalement un petit donneur avec de bons poumons et un bon foie, et dont le groupe sanguin et les antigènes sont compatibles avec ceux d’Octavie. »

La jeune femme obtient quelques congés temporaires pour retourner dans sa famille, dans Lanaudière. Chaque sortie est une expédition. Elle doit avoir assez de bonbonnes d’oxygène pour son séjour. Elle a besoin en permanence d’une assistance ventilatoire.

L’été passe et la nouvelle tant espérée n’arrive pas. Durant les vacances de la construction, alors qu’il y a plus d’accidents mortels sur les routes, sa maman, Nathalie Thibault, se surprend à porter une grande attention aux faits divers.

« Je regarde les nouvelles en me disant : oh un décès, on va peut-être recevoir un appel. C’est vraiment bizarre de penser comme ça. Un drame horrible pour une autre famille va peut-être sauver ma fille. »

— Nathalie Thibault, mère d’Octavie

Au mois d’août, l’état de santé d’Octavie se dégrade. Toute la famille est très inquiète. Son copain, Jimmy Belhumeur, et elle continuent de parler de leurs rêves. Pas question de se laisser aller au découragement. « Nos projets, ça me donne la force de me battre », dit Octavie.

Jimmy vient de terminer son cours de carreleur pour leur donner un meilleur avenir. Pour l’instant, il travaille au restaurant du père d’Octavie, mais dès que son amoureuse sortira de l’hôpital, il cherchera un emploi dans son domaine. Octavie, elle, veut terminer son secondaire. Puis aller au cégep. Et peut-être même à l’université ensuite pour devenir vétérinaire. Sa grande passion : les animaux.

« Il faut rester confiant »

Fin septembre, il est minuit moins une. L’équipe multidisciplinaire du CHUM qui soigne Octavie – composée de sept médecins – décide d’accepter les organes du premier donneur compatible, peu importe leur taille.

Les risques de complications sont plus élevés certes, mais son état de santé se dégrade vite. Il faut augmenter ses chances d’obtenir des poumons. Si la double greffe ne se fait pas rapidement, d’autres organes risquent de flancher. Et si c’est le cas, elle ne sera plus admissible à la transplantation.

« Il serait temps que ça arrive. On a hâte de sortir d’ici », lâche Jimmy, qui jongle avec ses horaires au restaurant et ses responsabilités de père (il a deux jeunes enfants d’une union précédente) pour être le plus souvent possible au chevet de son amoureuse. Il a l’air exténué, mais ne se plaint pas.

Jimmy a rencontré Octavie au restaurant du père de sa future amoureuse. « Je le savais que ça n’allait pas être facile. Je savais exactement dans quoi je m’embarquais », dit-il en la regardant tendrement.

« Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi fort qu’Octavie », poursuit-il. Ces temps-ci, il finit son quart de travail à 21 h à Berthier puis il fait une heure de route pour dormir avec son amoureuse. Et le lendemain, il repart travailler.

Il s’est récemment fait tatouer une horloge sans aiguilles. Après la greffe, il y ajoutera les aiguilles pour symboliser le début de leur nouvelle vie.

Début octobre, la famille d’Octavie refuse de penser au pire. « Il faut rester confiants », dit sa maman, qui travaille dans un hôpital de Lanaudière. « On n’a pas le droit de consulter notre cellulaire au travail, mais mon patron m’a donné une autorisation spéciale. Dès que je reçois l’“Appel”, je viens la rejoindre au CHUM. »

Pour dédramatiser, la famille a fait un pool. Chacun a misé sur la date à laquelle Octavie aurait sa greffe. Beaucoup ont parié sur le long week-end de l’Action de grâce.

La grande sœur d’Octavie, Carolane, doit partir en France une douzaine de jours à la fin du mois. Le voyage d’études de l’étudiante à la maîtrise en recherche et création est prévu depuis longtemps. « J’y vais à reculons », dit-elle. Sa petite sœur l’encourage à partir.

Son projet de maîtrise est inspiré d’Octavie, « sa muse ». L’artiste fait des installations numériques et photographiques sur le thème de la fragilité et de la force.

« Pour moi, Octavie, c’est l’incarnation de la force. »

— Carolane, grande sœur d’Octavie

Fin octobre, Octavie est transférée aux soins intensifs. Elle est branchée de partout. Son papa, sa maman et son copain se relaient à son chevet. Tout le monde doit porter un masque, des gants et une jaquette jaune en papier par-dessus ses vêtements pour diminuer les risques de contamination. Un virus peut la tuer.

Octavie n’est jamais seule. Dans la chambre, l’air est très sec. Une nuit, son papa, Christian, qui s’est assoupi dans un fauteuil à côté de son lit, est pris d’une quinte de toux. Octavie se réveille, inquiète. « Papa, es-tu correct ? »

Son père raconte l’anecdote avec les larmes aux yeux. « Ma fille est aux soins intensifs et elle s’inquiète pour moi quand je tousse », dit-il.

Dans les jours suivants, Octavie reprend du mieux au point qu’elle quitte les soins intensifs et retourne à l’étage des patients en attente d’une greffe.

Sauf que ce regain est de courte durée. À peine quelques jours plus tard, elle a un épisode de détresse respiratoire sévère. Elle est de retour aux soins intensifs.

Nous sommes début novembre. Le portrait s’assombrit. Ses reins cessent de fonctionner. Elle est placée sous dialyse. Son cœur est faible. La double greffe est désormais contre-indiquée. Ses médecins doivent la retirer de la liste d’attente.

« Je suis démoli », écrit Jimmy à La Presse dans un message texte en apprenant la nouvelle.

Octavie doit « fêter » ses 20 ans le 25. L’espoir qu’elle les atteigne est de plus en plus mince.

Au même moment, le député libéral André Fortin dépose un projet de loi visant à présumer le consentement des Québécois en matière de don d’organes.

M. Fortin propose qu’on soit tous considérés comme des donneurs potentiels, sauf si on exprime son refus, de son vivant.

Actuellement, un donneur éventuel doit plutôt autoriser, au préalable, le prélèvement d’organes ou de tissus. La ministre de la Santé du Québec, Danielle McCann, a dit être prête à se pencher sur cette idée, qu’elle a qualifiée de « projet de société ».

Il est trop tard pour Octavie.

Sa sœur, Carolane, rentre en catastrophe de son voyage d’études en France. De l’aéroport, elle saute dans un taxi pour se rendre directement au CHUM.

Arrivée aux soins intensifs, la scène lui brise le cœur. Octavie a les yeux fermés ; la bouche ouverte. Chacune de ses respirations semble lui arracher la poitrine. Elle a l’air inconfortable.

« Je suis là, mon cœur. Je suis de retour. Je t’aime, mon petit chat », lui murmure-t-elle à l’oreille.

Samedi matin, 9 novembre, le Dr Daniel Corsilli entre dans la chambre d’Octavie alors que toute la famille est rassemblée autour du lit.

« C’est le moment d’arrêter. On doit la soulager et la libérer de ses souffrances », explique le médecin doucement.

Le médecin s’assure que tout le monde est prêt ; qu’il ne manque personne. Des médicaments contre la douleur et l’anxiété sont administrés. L’appareil qui l’aide à respirer est retiré. L’intensiviste s’assure que la patiente ne souffre pas avant de quitter la chambre pour laisser toute la place à la famille.

À 9 h 11, la jeune femme pousse son dernier souffle.

L’horloge de Jimmy tatouée sur sa peau restera à jamais vide.

C’est demain, dimanche, que les funérailles d’Octavie ont lieu.

« Si son décès peut conscientiser des gens à l’importance du don d’organes, au moins, il aura un sens », dit la maman en deuil.

28 morts

Au Québec, en 2018, 28 morts sont survenues pendant l’attente d’une transplantation. En 2017, on en avait rapporté 54. La moyenne pour les 10 dernières années au Québec se chiffre à 47 morts annuellement.

De 450 à 500 donneurs d’organes

Le don d’organes est possible uniquement lorsque la personne meurt à l’hôpital, et ce, dans des circonstances précises. Seulement 1,4 % des personnes qui meurent à l’hôpital peuvent devenir des donneurs d’organes, soit l’équivalent de 450 à 500 personnes par année pour tout le Québec si toutes les conditions sont réunies chaque fois, selon le site du ministère de la Santé et des Services sociaux. Chaque donneur ayant perdu la vie offre ainsi la chance à huit personnes en attente d’une transplantation de recevoir un nouvel organe. Le donneur doit avoir signifié son consentement. Il est possible de le faire en inscrivant votre décision au Registre des consentements au don d’organes et de tissus de la RAMQ ou encore à celui de la Chambre des notaires du Québec, ou bien encore en signant l’autocollant apposé au dos de votre carte d’assurance maladie.

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