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Canada inc. ne devrait pas être « trop rassuré »

La renégociation officielle de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) devrait débuter à la fin de 2017 et s’étaler sur un an. Pour le Canada, rien n’est acquis. Malgré les propos assez rassurants tenus le mois dernier par Donald Trump, plusieurs périls se profilent à l’horizon. Un expert en commerce international presse les entreprises canadiennes à se préparer à toutes les éventualités, au même moment où Justin Trudeau exhorte le président américain à respecter sa parole.

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Les inquiétudes

Peter Kirby, avocat au cabinet Fasken, a développé une expertise pointue en matière de commerce transfrontalier depuis trois décennies – y compris toute la gamme des litiges possibles. Son téléphone ne dérougit pas depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis le 8 novembre dernier. « J’ai eu une masse d’appels de clients qui disaient : qu’est-ce qui va se passer ? Il y a beaucoup d’incertitudes, mais comment peut-on prédire l’avenir dans une situation qui est impossible à prédire ? Si le ton était normal, si le ton des échanges commerciaux était normal, on pourrait avoir une idée. Mais ce n’est pas normal. »

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Les doux mots de Trump

Le mois dernier, pendant la visite du premier ministre Justin Trudeau à Washington, Donald Trump a déclaré qu’il souhaitait seulement « peaufiner » (tweak) la relation commerciale entre le Canada et les États-Unis. Trump a dit vouloir concentrer son attention sur le Mexique – le troisième membre de l’ALENA –, avec qui les relations commerciales seraient très « injustes ». Les exportateurs canadiens, sur les dents depuis le 8 novembre, ont poussé un profond soupir de soulagement. Mais Peter Kirby estime que ce serait « une erreur » pour eux d’être trop rassurés par ces déclarations bienveillantes. Car le sort du Mexique au sein de l’ALENA aura une influence réelle – et majeure – pour la suite des choses au Canada.

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La clé : l’approvisionnement

L’expert de Fasken insiste sur un point : « Penser que les États-Unis peuvent peaufiner leurs relations avec le Canada tout en détruisant leurs relations avec le Mexique est faire fi de la réalité économique de l’intégration de l’Amérique du Nord. » Il conseille depuis plusieurs mois à ses clients de s’attarder à leur chaîne d’approvisionnement. De nombreux manufacturiers canadiens achètent une bonne partie de leurs pièces au Mexique pour fabriquer ici des produits qui sont ensuite revendus aux États-Unis. Or, les autorités américaines laissent planer la possibilité d’augmenter les exigences en matière de contenu régional (nord-américain), mais aussi en matière de contenu américain, dans la nouvelle mouture de l’ALENA. Un changement qui laisse présager une importante augmentation de la facture pour les exportateurs canadiens, avance Peter Kirby.

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« En péril »

Cette possible hausse des coûts de fabrication au Canada pourrait se traduire par une importante perte de compétitivité des biens canadiens au sud de la frontière, avertit M. Kirby. « Si on met en péril la possibilité pour un entrepreneur d’acheter au Mexique, c’est grave, parce que pour être sur le marché américain, on doit être concurrentiel. Si on doit acheter les pièces sur le marché américain, ce sont les entreprises américaines qui vont avoir un avantage comparatif. Car elles peuvent acheter des pièces en dollars américains, alors qu’on paie plus cher ces pièces [en raison de la faiblesse du huard], en plus de payer pour les acheminer au Canada. »

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Diversifier, diversifier, diversifier

L’avocat de Fasken recommande aux entreprises canadiennes de nommer dès maintenant une personne responsable des « efforts de préparation » en vue de la renégociation de l’ALENA, si ce n’est déjà fait. Il conseille aussi aux exportateurs d’examiner d’autres débouchés pour leurs biens et services. Peter Kirby pointe notamment le bassin de 500 millions d’Européens qui deviendra plus accessible grâce à l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. L’objectif de cette diversification est simple : « réduire leur dépendance au marché américain si c’est possible ».

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Les délais

Pressée de questions par l’opposition à Ottawa, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland répète que la renégociation formelle de l’ALENA n’est pas commencée. Les « vraies négociations » devraient débuter seulement vers la fin de 2017, a déclaré la semaine dernière le secrétaire américain au Commerce, Ross Wilbur, en entrevue à Bloomberg. Les pourparlers dureront ensuite un an au maximum, espère-t-il. Chose certaine, Washington entend demander des concessions tant au Mexique qu’au Canada. « Les Mexicains le savent, les Canadiens le savent, tout le monde le sait ; les choses ont changé, a dit M. Ross. Nous allons avoir de nouvelles relations commerciales. »

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Trudeau avertit Trump

Le premier ministre canadien, de son côté, a lancé une forme de mise en garde à Donald Trump avant-hier, en marge d’une comédie musicale à New York. En entrevue à NBC News, Justin Trudeau a souligné que l’ALENA avait déjà été amélioré une douzaine de fois depuis sa mise en place. « Il y a toujours des occasions de discuter des façons de le rendre meilleur. Cela a entraîné la création de nombreux bons emplois pour beaucoup de gens des deux côtés de la frontière, et je le prends tout à fait au mot lorsqu’il [Donald Trump] dit qu’il veut seulement apporter quelques ajustements. » M. Trudeau a rappelé que plus de 2 milliards en biens et services transitent chaque jour par la frontière canado-américaine.

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