Entretien avec la ministre française de la Justice

La surveillance de masse, un mal « nécessaire »

Le terrorisme moderne rend inévitable la surveillance de masse. C’est le constat dressé par la ministre française de la Justice Christiane Taubira au cours d’un entretien avec La Presse, à l’heure où la France, comme le Canada, projette d’élargir les pouvoirs de ses services de renseignement.

« Dangereux », « liberticide », « scélérat »… Le projet de loi relatif au renseignement que veut faire adopter le gouvernement français s’attire des critiques de toutes parts, qui ne sont pas sans rappeler celles que génère le projet de loi C-51 à Ottawa.

Ce Patriot Act à la française, comme le surnomment certains détracteurs en référence à la loi antiterroriste américaine adoptée dans la foulée du 11-Septembre, prévoit élargir les pouvoirs des services de renseignement hexagonaux.

« On est conscients que la surveillance est intrusive, on est conscients que la surveillance peut être massive, on est conscients qu’il peut y avoir des abus », reconnaît la ministre française de la Justice, Christiane Taubira, mais elle assure du même souffle que les mécanismes de contrôle prévus seront un efficace contrepoids.

La garde de Sceaux, surnom donné en France au ministre de la Justice, qui conserve encore aujourd’hui dans son bureau la presse servant à établir le sceau officiel de la République, s’est entretenue avec La Presse, hier, lors de son passage à Montréal.

AUTRE ÉPOQUE, AUTRE RÉALITÉ

Auparavant, les terroristes qui planifiaient un attentat « organisaient également leur évasion », rappelle- t-elle, alors qu’aujourd’hui « ils programment eux-mêmes de périr dans l’acte terroriste ».

« Lorsque la vie ne compte plus, non seulement lorsqu’on l’ôte à d’autres, mais lorsqu’on prévoit de la perdre soi-même, on est face à des logiques et à des modes de fonctionnement complètement différents », affirme Mme Taubira.

Cette nouvelle forme de terrorisme répond à des « logiques différentes » qu’il faut chercher à comprendre pour mieux la contrer, avance Mme Taubira, qui estime que la surveillance est « nécessaire » pour y parvenir.

Elle voit l’empiétement des mesures de sécurité sur la vie privée comme un « compromis » qu’il faut faire pour garantir la sécurité de la population, ce qui est la responsabilité de l’État.

La ministre trouve cependant « tout à fait légitime que les gens s’inquiètent », notamment à propos des technologies qui seront employées et de leur « caractère intrusif », puisque le risque de dérive « est réel, il est objectif », mais elle insiste : « On reste dans l’État de droit, on ne sacrifie pas les libertés, on protège les citoyens. »

DÉRADICALISATION

De passage à Ottawa, jeudi, Christiane Taubira a signé une entente mettant sur pied un groupe de travail canado-français portant notamment sur la prévention de la radicalisation en détention, où la France a de l’avance sur le Canada.

« Nous avons un nombre plus important de personnes concernées », explique la ministre, évoquant le chiffre de 300, en France, contre une douzaine, au Canada.

Les autorités françaises ont ainsi déployé « toute une série de dispositifs » afin de « repérer des personnes qui sont susceptibles de basculer dans la radicalisation violente, ce que nous appelons la détection de signaux faibles ».

Des universitaires et des associations de victimes ont été mis à contribution pour mettre sur pied des formations destinées au personnel carcéral, aux aumôniers, mais aussi aux détenus eux-mêmes.

CHRISTIANE TAUBIRA EN CINQ TEMPS

1952 Naissance à Cayenne, en Guyane française (département d’outre-mer en Amérique du Sud)

1993 Élue députée de Guyane pour une première fois

2001 Fait adopter la loi reconnaissant l’esclavagisme comme crime contre l’humanité, surnommée « loi Taubira »

2012 Nommée ministre de la Justice

2013 Victime d’une vague d’injures racistes dans la foulée de l’adoption de la loi permettant le mariage homosexuel

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.