Nucléaire iranien

Près d’une entente, loin de la réconciliation

L’Iran et les grandes puissances se sont donné une dernière semaine pour conclure une entente sur le nucléaire iranien. Dans cette négociation, les États-Unis et l’Iran jouent gros. Une poignée de main, cependant, ne sera pas nécessairement synonyme de grande réconciliation, dit le politologue Thomas Juneau, professeur à l’Université d’Ottawa. Alors que les pourparlers ont repris hier à Vienne, l’auteur de Squandered Opportunities (Occasions manquées), un nouveau livre sur la politique étrangère de l’Iran, a répondu aux questions de La Presse.

Les négociations sur le nucléaire iranien sont de véritables montagnes russes depuis une décennie. Nous venons tout juste de passer la date butoir qui avait été fixée au 30 juin. Une entente est-elle toujours possible ?

J’évalue les chances qu’une entente soit conclue à environ 75 %. Mais même si la date butoir était le 30 juin, en pratique, depuis quelques jours, c’est devenu le 9 juillet, date limite à laquelle le président Obama peut soumettre l’entente au Congrès avant les vacances d’été. Donc, aujourd’hui, demain ou dans deux jours, on ne va pas considérer que c’est un échec. Les négociations vont se rendre jusqu’à la dernière minute.

Quels sont les enjeux principaux toujours sur la table ?

C’est difficile à dire. Ce que nous savons sur l’entente actuellement négociée est basé sur des fuites médiatiques. L’impression qu’on a est que l’enjeu principal est le relâchement des sanctions. L’Iran veut que le plus grand nombre de sanctions possibles soient levées le plus rapidement possible. Les États-Unis et l’Union européenne aimeraient que le relâchement se fasse de manière plus graduelle. Ces derniers veulent aussi que certaines sanctions restent en place même si on en arrive à une entente. Les États-Unis disent : on va seulement lever les sanctions liées au nucléaire et pas celles liées aux droits de la personne ou au terrorisme. Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’étiquettes sur les sanctions. 

De plus, on sait depuis avril que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) aura droit à des inspections intrusives en Iran, mais on ne connaît pas les détails. Autre question importante : l’Iran aura droit à un programme de recherche et développement dans le secteur nucléaire, mais le P5+1 (le comité de négociation formé des États-Unis, de la Chine, de la Russie, de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne) veut que ça soit encadré. Il reste à voir jusqu’à quel point.

On a vu un changement de ton de la part des Iraniens après l’élection du président réformiste Hassan Rohani en 2013. Y a-t-il eu un véritable changement idéologique au sein de l’équipe de négociation ?

L’Iran est un régime opaque et c’est difficile d’en connaître les intentions. Il ne faut pas exagérer la portée de l’élection d’un modéré à la présidence. C’est le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, qui prend ces décisions et s’il ne voulait pas de négociations, il n’y en aurait pas.

Qu’est-ce que l’Iran cherche à obtenir par cette négociation ?

Depuis 12 ans, et même plus – on peut remonter jusqu’à la révolution de 1979 –, l’Iran est soumis à un régime de sanctions extrêmement lourd qui a complètement handicapé son économie. Avant la révolution, l’Iran produisait 6 millions de barils de pétrole par jour, ce qui en faisait un des plus grands producteurs. Aujourd’hui, l’Iran produit moins de 3 millions de barils par jour. Ça a eu un coût phénoménal sur la société iranienne. À long terme, les sanctions sont devenues une menace à la survie de la République islamique. À la tête du régime, on a compris qu’il fallait faire le nécessaire pour obtenir le relâchement des sanctions, même si ça voulait dire de faire des concessions sur le programme nucléaire. Le Guide suprême appelle ça une « flexibilité héroïque ». 

Peut-on s’attendre à une nouvelle ère diplomatique si une entente est conclue ? 

Non, même s’il y a une entente nucléaire d’ici le 9 juillet, on ne parle pas du tout d’un rapprochement ou d’une grande réconciliation entre l’Iran et les États-Unis. On parle d’une solution à un problème ciblé, la question nucléaire. Ça aura un impact positif sur la relation, mais les États-Unis et l’Iran vont demeurer des compétiteurs dans la région et vont demeurer en désaccord sur beaucoup d’enjeux régionaux, que ce soit la Syrie, le conflit israélo-palestinien, le terrorisme, le Liban et l’Arabie saoudite.

À quoi peut-on s’attendre s’il n’y a pas d’entente ?

Si les négociations échouent, ça va être le statu quo dans la région. Il y aura aussi un jeu de blâme. Si c’est l’intransigeance des États-Unis qui fait échouer les négociations, surtout s’il y a un rejet de l’entente au niveau du Congrès, l’Iran va pouvoir dire « nous avons fait tout ce que nous avons pu » et le régime des sanctions risque de s’affaiblir. Si c’est l’intransigeance iranienne qui a empêché un accord, le régime des sanctions va moins s’affaiblir. Aussi, les risques qu’il y ait une attaque militaire contre l’Iran augmentent s’il n’y a pas d’entente, mais je continue à penser que c’est peu probable. Plusieurs comprennent que ça causerait plus de problèmes que ça en réglerait. Après tout, parmi les principaux acteurs opposés à l’attaque, il y a les forces armées américaines et israéliennes. L’attaque ralentirait l’Iran pendant un an ou deux, mais à long terme, quelle meilleure motivation pourrait-on donner au pays pour se munir de l’arme nucléaire ?

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