Treize mille cinq cents pas aux urgences du nouveau CHUM.
Onze mille pas lors d’une « petite journée » tranquille sur un étage de chirurgie du même hôpital ultramoderne du centre-ville.
Avec la complicité de professionnels en soins – infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes –, La Presse a mesuré à l’aide d’un podomètre le nombre de pas effectués lors d’un quart de travail de huit heures à différents étages du nouveau CHUM.
À titre de comparaison, une autre complice – cette fois-ci au « vieil » hôpital Notre-Dame – a fait 6540 pas lors d’un quart de travail aux urgences.
Depuis l’ouverture du nouveau CHUM il y a un an, les employés se plaignent de parcourir de plus grandes distances qu’avant pour effectuer les mêmes tâches. Bien que l’exercice n’ait aucune prétention scientifique, on a voulu obtenir un ordre de grandeur du phénomène en leur fournissant des podomètres.
« Le temps de déplacement, c’est du temps où on ne soigne pas. C’est une évidence pour nous qu’on marche plus qu’avant [la fusion des trois sites – Saint-Luc, Hôtel-Dieu et Notre-Dame] et que ça prend plus de personnel pour effectuer les mêmes tâches », affirme le président du Syndicat des professionnels en soins de santé du CHUM, Guy Brochu.
Des professionnels en soins affirment avoir fait jusqu’à 18 000 pas dans les quarts de travail les plus occupés, notamment les fins de semaine.
Cette situation en a d’ailleurs poussé certains à quitter le nouveau CHUM pour aller travailler ailleurs dans le réseau de la santé.
Quelques dizaines de personnes sont notamment retournées à l’hôpital Notre-Dame – qui a désormais une mission communautaire – après avoir travaillé moins de trois mois au nouveau CHUM.
Au nouveau CHUM, le problème de roulement de personnel est « permanent », confirme son PDG, le Dr Fabrice Brunet. Le taux de roulement se chiffre actuellement à 8,5 % chez les infirmières et à 5,9 % chez les préposés aux bénéficiaires.
Un an après son ouverture, il manque globalement de 20 à 30 % d’effectifs au CHUM pour être en mesure de remplir sa mission, évalue le Dr Brunet.
Trou de 40 millions
À cet enjeu de personnel s’ajoute un problème de taille : un déficit de près de 40 millions dans les finances de l’hôpital, qui se répétera au cours des prochaines années si Québec n’accepte pas d’augmenter le budget annuel du CHUM, qui s’élève déjà à 1 milliard de dollars.
M. Brunet explique que le budget de la première année d’activités du nouvel hôpital a été calculé en fonction des coûts de production de l’ancien CHUM, où 18 % des soins offerts étaient considérés comme spécialisés ou surspécialisés.
Mais avec le nouveau CHUM, 40 % des soins entrent maintenant dans cette catégorie. « Donc, nos coûts de production sont plus chers », résume M. Brunet. Des pourparlers sont actuellement en cours entre le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et le CHUM pour régler le dossier.
Infirmières recherchées
Le problème de recrutement de personnel – et de rétention – est plus criant chez les infirmières, les agents administratifs ainsi que les employés de services techniques et à la stérilisation, indique le Dr Brunet.
Le nouveau CHUM fait 3 600 000 pi2. Les superficies de travail ont triplé par rapport à ce qu’ont connu les infirmières provenant des établissements fusionnés (Saint-Luc, Notre-Dame et Hôtel-Dieu).
« C’est comme quand tu dis : je voudrais une grande maison. Puis, une fois que la grande maison est construite, tu te plains que c’est trop grand. Tout le monde voulait grand, infirmières comprises. »
— Le Dr Fabrice Brunet, PDG du CHUM
Du point de vue de la santé physique, faire 10 000 à 20 000 pas est « sans contredit un avantage », indique la professeure titulaire au département des sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières Julie Houle.
« Toutefois, du point de vue de la gestion de temps de travail, c’est moins rentable. En effet, on estime que ça prend environ 1 minute pour faire 100 pas si on marche à une intensité modérée. Donc, si l’infirmière doit faire entre 10 000 et 20 000 pas dans une journée, elle doit consacrer beaucoup de temps pour ses déplacements aux dépens de ses autres tâches », explique celle qui est aussi codirectrice du Groupe interdisciplinaire de recherche appliquée en santé.
Les problèmes de main-d’œuvre ne s’expliquent toutefois pas seulement par les distances à parcourir.
La pénurie de personnel affecte tout le réseau de la santé, rappelle le Dr Brunet. Or, à cet enjeu s’ajoute celui de la complexité des tâches due à la mission de soins spécialisés et surspécialisés du CHUM.
Compétences technos recherchées
Dans cet hôpital qui mise sur les nouvelles technologies, le personnel doit avoir une formation plus pointue qu’ailleurs dans le réseau. À titre d’exemple, un employé à la stérilisation doit faire ses tâches assisté d’un ordinateur. Un magasinier peut être appelé à programmer les robots qui livrent le matériel sur les étages.
Or, les employés n’ont pas de prime ou de salaire plus élevé qu’ailleurs bien que leurs tâches soient plus complexes. C’est sans oublier le coût de la vie élevé à Montréal par rapport aux banlieues. Sans compter le fait que ceux qui vivent en banlieue doivent débourser des sommes faramineuses pour se garer au centre-ville de Montréal puisqu’aucun stationnement ne leur est fourni par l’hôpital et que les horaires de transports en commun ne sont pas toujours compatibles avec leurs horaires de travail.
En faveur d’une prime aux employés
Le PDG du CHUM est favorable à une prime pour les employés qui travaillent dans des hôpitaux universitaires de soins spécialisés et surspécialisés, en particulier lorsqu’ils travaillent dans un centre-ville. « On a des discussions constantes sur le sujet [avec le MSSS] », souligne le Dr Brunet.
Pour que le CHUM fonctionne « à pleine capacité », il a entre autres besoin de 500 infirmières de plus. Grâce à une campagne de publicité cet automne, il en a recruté 441 jusqu’à présent, dont 317 sont officiellement embauchées. Or, durant la même période, 187 ont quitté l’hôpital.
« La plupart du temps, les infirmières qui quittent [le CHUM] sont celles qui ont des enfants et pour qui ça coûte trop cher de vivre en ville. »
— Le Dr Fabrice Brunet
Les enjeux de main-d’œuvre ont des répercussions sur toutes les activités de l’hôpital.
Situation plus critique au bloc opératoire
À l’heure actuelle, le bloc opératoire et les soins intensifs ne fonctionnent pas au maximum de leur capacité. On parle de 60 % pour les soins intensifs généraux. En tout, 25 des 39 salles d’opération sont ouvertes pour l’instant.
Les chirurgiens se plaignent qu’ils opèrent moins qu’avant la fusion des trois sites. « Non seulement je suis au courant [des plaintes], mais ils me le rappellent jour et nuit », dit le PDG du CHUM en brandissant son téléphone cellulaire, faisant allusion aux textos et courriels que les chirurgiens lui envoient.
« Il y a six mois, on était à 18-20 salles d’opération [sur 39]. Ça progresse, mais on contrôle la progression pour ne pas non plus avoir de difficultés avec le personnel », indique le Dr Brunet qui insiste sur le fait que la sécurité des patients et la qualité des soins sont ses priorités.
Il faudra encore de six à huit mois pour que l’hôpital atteigne sa vitesse de croisière, prévient le PDG.
— Avec la collaboration d'Ariane Lacoursière et de William Leclerc, La Presse