le nouveau chum a un an

le nouveau chum peine à retenir ses employés

Un an après son ouverture, le nouveau CHUM ne fonctionne toujours pas à plein régime. Des chirurgiens se plaignent de ne pas assez opérer. Il y a un problème « permanent » de roulement de personnel, particulièrement criant chez les infirmières. Toutefois, les patients, eux, n’ont jamais été aussi satisfaits.

UN BILAN DE CAROLINE TOUZIN ET D'ARIANE LACOURSIÈRE

Le nouveau CHUM a un an

« Le temps de déplacement, c’est du temps où on ne soigne pas »

Treize mille cinq cents pas aux urgences du nouveau CHUM.

Onze mille pas lors d’une « petite journée » tranquille sur un étage de chirurgie du même hôpital ultramoderne du centre-ville.

Avec la complicité de professionnels en soins – infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes –, La Presse a mesuré à l’aide d’un podomètre le nombre de pas effectués lors d’un quart de travail de huit heures à différents étages du nouveau CHUM.

À titre de comparaison, une autre complice – cette fois-ci au « vieil » hôpital Notre-Dame – a fait 6540 pas lors d’un quart de travail aux urgences.

Depuis l’ouverture du nouveau CHUM il y a un an, les employés se plaignent de parcourir de plus grandes distances qu’avant pour effectuer les mêmes tâches. Bien que l’exercice n’ait aucune prétention scientifique, on a voulu obtenir un ordre de grandeur du phénomène en leur fournissant des podomètres.

« Le temps de déplacement, c’est du temps où on ne soigne pas. C’est une évidence pour nous qu’on marche plus qu’avant [la fusion des trois sites – Saint-Luc, Hôtel-Dieu et Notre-Dame] et que ça prend plus de personnel pour effectuer les mêmes tâches », affirme le président du Syndicat des professionnels en soins de santé du CHUM, Guy Brochu.

Des professionnels en soins affirment avoir fait jusqu’à 18 000 pas dans les quarts de travail les plus occupés, notamment les fins de semaine.

Cette situation en a d’ailleurs poussé certains à quitter le nouveau CHUM pour aller travailler ailleurs dans le réseau de la santé.

Quelques dizaines de personnes sont notamment retournées à l’hôpital Notre-Dame – qui a désormais une mission communautaire – après avoir travaillé moins de trois mois au nouveau CHUM.

Au nouveau CHUM, le problème de roulement de personnel est « permanent », confirme son PDG, le Dr Fabrice Brunet. Le taux de roulement se chiffre actuellement à 8,5 % chez les infirmières et à 5,9 % chez les préposés aux bénéficiaires.

Un an après son ouverture, il manque globalement de 20 à 30 % d’effectifs au CHUM pour être en mesure de remplir sa mission, évalue le Dr Brunet.

Trou de 40 millions

À cet enjeu de personnel s’ajoute un problème de taille : un déficit de près de 40 millions dans les finances de l’hôpital, qui se répétera au cours des prochaines années si Québec n’accepte pas d’augmenter le budget annuel du CHUM, qui s’élève déjà à 1 milliard de dollars.

M. Brunet explique que le budget de la première année d’activités du nouvel hôpital a été calculé en fonction des coûts de production de l’ancien CHUM, où 18 % des soins offerts étaient considérés comme spécialisés ou surspécialisés.

Mais avec le nouveau CHUM, 40 % des soins entrent maintenant dans cette catégorie. « Donc, nos coûts de production sont plus chers », résume M. Brunet. Des pourparlers sont actuellement en cours entre le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et le CHUM pour régler le dossier.

Infirmières recherchées

Le problème de recrutement de personnel – et de rétention – est plus criant chez les infirmières, les agents administratifs ainsi que les employés de services techniques et à la stérilisation, indique le Dr Brunet.

Le nouveau CHUM fait 3 600 000 pi2. Les superficies de travail ont triplé par rapport à ce qu’ont connu les infirmières provenant des établissements fusionnés (Saint-Luc, Notre-Dame et Hôtel-Dieu).

« C’est comme quand tu dis : je voudrais une grande maison. Puis, une fois que la grande maison est construite, tu te plains que c’est trop grand. Tout le monde voulait grand, infirmières comprises. »

— Le Dr Fabrice Brunet, PDG du CHUM

Du point de vue de la santé physique, faire 10 000 à 20 000 pas est « sans contredit un avantage », indique la professeure titulaire au département des sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières Julie Houle.

« Toutefois, du point de vue de la gestion de temps de travail, c’est moins rentable. En effet, on estime que ça prend environ 1 minute pour faire 100 pas si on marche à une intensité modérée. Donc, si l’infirmière doit faire entre 10 000 et 20 000 pas dans une journée, elle doit consacrer beaucoup de temps pour ses déplacements aux dépens de ses autres tâches », explique celle qui est aussi codirectrice du Groupe interdisciplinaire de recherche appliquée en santé.

Les problèmes de main-d’œuvre ne s’expliquent toutefois pas seulement par les distances à parcourir.

La pénurie de personnel affecte tout le réseau de la santé, rappelle le Dr Brunet. Or, à cet enjeu s’ajoute celui de la complexité des tâches due à la mission de soins spécialisés et surspécialisés du CHUM.

Compétences technos recherchées

Dans cet hôpital qui mise sur les nouvelles technologies, le personnel doit avoir une formation plus pointue qu’ailleurs dans le réseau. À titre d’exemple, un employé à la stérilisation doit faire ses tâches assisté d’un ordinateur. Un magasinier peut être appelé à programmer les robots qui livrent le matériel sur les étages.

Or, les employés n’ont pas de prime ou de salaire plus élevé qu’ailleurs bien que leurs tâches soient plus complexes. C’est sans oublier le coût de la vie élevé à Montréal par rapport aux banlieues. Sans compter le fait que ceux qui vivent en banlieue doivent débourser des sommes faramineuses pour se garer au centre-ville de Montréal puisqu’aucun stationnement ne leur est fourni par l’hôpital et que les horaires de transports en commun ne sont pas toujours compatibles avec leurs horaires de travail.

En faveur d’une prime aux employés

Le PDG du CHUM est favorable à une prime pour les employés qui travaillent dans des hôpitaux universitaires de soins spécialisés et surspécialisés, en particulier lorsqu’ils travaillent dans un centre-ville. « On a des discussions constantes sur le sujet [avec le MSSS] », souligne le Dr Brunet.

Pour que le CHUM fonctionne « à pleine capacité », il a entre autres besoin de 500 infirmières de plus. Grâce à une campagne de publicité cet automne, il en a recruté 441 jusqu’à présent, dont 317 sont officiellement embauchées. Or, durant la même période, 187 ont quitté l’hôpital.

« La plupart du temps, les infirmières qui quittent [le CHUM] sont celles qui ont des enfants et pour qui ça coûte trop cher de vivre en ville. »

— Le Dr Fabrice Brunet

Les enjeux de main-d’œuvre ont des répercussions sur toutes les activités de l’hôpital.

Situation plus critique au bloc opératoire

À l’heure actuelle, le bloc opératoire et les soins intensifs ne fonctionnent pas au maximum de leur capacité. On parle de 60 % pour les soins intensifs généraux. En tout, 25 des 39 salles d’opération sont ouvertes pour l’instant.

Les chirurgiens se plaignent qu’ils opèrent moins qu’avant la fusion des trois sites. « Non seulement je suis au courant [des plaintes], mais ils me le rappellent jour et nuit », dit le PDG du CHUM en brandissant son téléphone cellulaire, faisant allusion aux textos et courriels que les chirurgiens lui envoient.

« Il y a six mois, on était à 18-20 salles d’opération [sur 39]. Ça progresse, mais on contrôle la progression pour ne pas non plus avoir de difficultés avec le personnel », indique le Dr Brunet qui insiste sur le fait que la sécurité des patients et la qualité des soins sont ses priorités.

Il faudra encore de six à huit mois pour que l’hôpital atteigne sa vitesse de croisière, prévient le PDG.

— Avec la collaboration d'Ariane Lacoursière et de William Leclerc, La Presse

Le nouveau CHUM a un an

Les urgences déborderont à nouveau

Les urgences du nouveau CHUM vont encore déborder cette année.

C’est le grand patron de l’hôpital ultramoderne du centre-ville lui-même qui en fait la prédiction.

« L’urgence va redéborder, vous allez voir, puisque nous n’avons que 772 lits au lieu de 1050 », souligne le Dr Fabrice Brunet en entrevue à La Presse.

En effet, lorsque le CHUM était réparti sur trois sites – Saint-Luc, Hôtel-Dieu et Notre-Dame –, les trois hôpitaux totalisaient 1050 lits.

Le Dr Brunet affirme que l’hôpital est victime du « bouche-à-oreille » depuis son ouverture parce que les soins reçus y sont extraordinaires.

Or, beaucoup de Montréalais se présentent aux urgences du CHUM alors qu’ils n’ont pas besoin du haut niveau de soins offerts. Ces malades devraient plutôt aller consulter dans des cliniques ou des hôpitaux qui prodiguent des soins primaires.

« Le problème des urgences est très clair. Si les gens viennent ici, et ce, même s’ils n’ont pas besoin de soins spécialisés et surspécialisés, on ne peut pas leur dire de partir. Donc, ils vont complètement bloquer notre système. »

— Le Dr Fabrice Brunet

Ces patients occupent des lits qui devraient plutôt servir à hospitaliser des malades qui ont besoin de soins avancés.

Ils devraient être envoyés ailleurs, mais comme le réseau de la santé manque de coordination, après être vus aux urgences du CHUM, les patients ne sont pas transférés dans un autre établissement de l’île, déplore le Dr Brunet.

« On voudrait un corridor de services avec d’autres hôpitaux montréalais d’urgence à urgence ou d’urgence à hospitalisation, explique le Dr Brunet. Mais pour ça, il faudrait que le réseau soit coordonné pour que, quand le patient arrive à Notre-Dame, par exemple [qui a désormais une mission communautaire], ce ne soit pas un moment où Notre-Dame n’est pas capable de répondre à la demande. On ne peut pas faire prendre un risque au patient. »

Avant de venir travailler au Québec, le Dr Brunet avait d’ailleurs implanté un système qui a permis aux 100 hôpitaux de la région parisienne d’être tenus au courant pratiquement en temps réel – des mises à jour sont effectuées toutes les cinq minutes – de l’état des urgences, des blocs opératoires, des soins intensifs et des plateaux d’imagerie de tous les établissements pour faciliter le transfert des patients.

Quel avenir pour l’Hôtel-Dieu ?

L’hiver dernier, quand les urgences du nouveau CHUM ont débordé, le PDG de l’établissement, Fabrice Brunet, dit avoir proposé un projet au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) pour améliorer la situation : ouvrir 100 lits à l’Hôtel-Dieu. Le projet a été refusé par Québec, notamment pour des raisons budgétaires.

Mais une question demeure : quel avenir attend l’Hôtel-Dieu, cet immense hôpital situé à l’intersection de l’avenue des Pins et de la rue Saint-Urbain ? M. Brunet l’ignore : « Je ne peux pas en parler. Je n’en sais rien. »

Différentes cliniques externes du CHUM et des bureaux de professionnels de la santé occupent actuellement l’Hôtel-Dieu, et ce, jusqu’en 2021. « Pour ce qui est des plans pour l’établissement, des réflexions sont en cours. Il est prématuré de se prononcer sur la question pour le moment », affirme la porte-parole du MSSS, Marie-Hélène Émond.

La Fondation du CHUM, qui possède le pavillon Masson de l’Hôtel-Dieu, a tenté de le vendre dernièrement. Mais la vente « n’a pas pu avoir lieu, puisque le bâtiment ne répondait pas aux exigences de la Ville de Montréal », explique le MSSS. « L’immeuble présentait des enjeux d’accès à la rue, ce qui représentait un défi », note Mme Émond. À la Fondation du CHUM, on affirme que le dossier de la vente du pavillon Masson « suit son cours avec des acheteurs potentiels ».

Le nouveau CHUM a un an

Des améliorations notables

Taux de satisfaction des patients

Le taux de satisfaction des patients du CHUM est en hausse, affirme le PDG de l’établissement, le Dr Fabrice Brunet. Sur une échelle de 1 à 10, 75 % des patients qui ont consulté aux urgences ont accordé une note supérieure à 8 l’an dernier, contre 82 % ces six derniers mois (d’avril à octobre 2018). La progression est similaire pour ceux qui ont consulté pour une intervention chirurgicale, le taux passant de 83 % à 88 % en un an, selon des statistiques fournies par l’établissement montréalais. Ils sont aussi plus nombreux que jamais à « recommander » le CHUM à un proche.

Infections nosocomiales en baisse

Depuis le déménagement du CHUM, il y a un an, le taux d’infections nosocomiales a connu une forte baisse. Le taux d’infection au Clostridium difficile a, par exemple, chuté de moitié et s’élève aujourd’hui à 3,5 %. Le taux d’infection au SARM (Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline) est aujourd’hui de 4,9 %, alors qu’il s’élevait jusqu’à 9 % en 2016-2017. Selon le PDG du CHUM, Fabrice Brunet, cette baisse du taux d’infection est notamment attribuable au fait que les patients sont désormais dans des chambres individuelles.

Un patron sur le terrain

Le PDG du CHUM, Fabrice Brunet, a la réputation de beaucoup consulter les employés sur le terrain. Ainsi, récemment, alors que les préposés aux bénéficiaires se plaignaient de « courir à gauche et à droite » pour se parler et organiser le travail, ils ont demandé – et obtenu – d’être équipés d’un système de communication interne de type Spectralink – pour s’économiser des pas. Le président du Syndicat des employé(e)s du CHUM, Claude Talbot, n’a que de bons mots pour son PDG, qu’il qualifie d’« unique ». « Il est très à l’écoute. Il est toujours en mode solution. Et surtout, il vient sur le terrain rencontrer les gens », affirme M. Talbot, qui œuvre au CHUM depuis 33 ans.

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