gestion des finances

L’amour sait-il compter ?

« On n’est pas si organisés », confesse Camille, un peu gênée.

Ne t’en fais pas, c’est le cas de la plupart des jeunes couples.

Mère d’un poupon de 1 an, Camille a 28 ans. Elle habite en appartement avec son conjoint de fait, du même âge qu’elle.

La gestion des finances du couple s’est mise en place en douceur. « Ça s’est pas mal fait naturellement, dit-elle. Au début, on payait le loyer moitié-moitié, c’était évident. Puis à partir de là, tout s’est pas mal enclenché naturellement. »

Quand elle est devenue enceinte, il leur a fallu déménager dans un logement un peu plus vaste. « On a un peu discuté comment on allait se diviser les choses, pour que ça s’équivaille à peu près. »

L’arrivée du bébé n’a pas changé notablement la gestion des finances. « Le lait, les couches : une fois c’est moi qui achète, l’autre fois ça va être mon chum. On n’a pas vraiment fait plus d’organisation pour ça. »

Pour l’instant, elle touche un meilleur salaire que son ami. À l’occasion, elle paie plus que sa part d’épicerie.

« On n’est pas vraiment à la cenne près là-dedans. On n’a pas de compte conjoint. À la fin, je pense que ça s’équivaut. »

Un jeune couple typique…

Cupidon ou cupidité ?

Les couples sont de plus en plus individualistes, surtout en matière d’argent ?

Faux.

La plupart du temps, Cupidon l’emporte sur la cupidité.

« Les couples sont beaucoup plus solidaires qu’on le pensait », indique Hélène Belleau, professeure à l’INRS Urbanisation Culture Société, dont les recherches portent sur la famille, le couple et l’usage social de l’argent.

« Il y a un discours sur l’individualisme galopant chez les couples, alors que c’est carrément le contraire qui se passe. Sept couples sur dix gèrent ensemble, qu’ils soient mariés ou en union libre. »

— Hélène Belleau, professeure à l’INRS Urbanisation Culture Société

Cette donnée est une des surprises qui émergent du guide L’amour et l’argent, écrit conjointement par Hélène Belleau et la docteure en sociologie Delphine Lobet, chercheuse à la même institution. L’ouvrage paraît le 14 février – fête de saint Valentin, patron des finances personnelles.

Il s’appuie sur une enquête exhaustive dans laquelle 3250 personnes ont révélé comment les finances de leur couple étaient gérées. « C’est la première fois qu’on avait des données là-dessus, souligne Hélène Belleau. C’est vraiment une première canadienne. »

Deux stratégies… et l’exception québécoise

Les stratégies de gestion des finances du couple se divisent en deux grandes catégories. Les revenus peuvent être mis en commun pour pourvoir aux dépenses communes, mais également, en tout ou en partie, aux dépenses personnelles.

Sinon, ce sont les dépenses qui sont partagées entre les conjoints, chacun conservant le contrôle sur ses revenus. Ce partage peut être plus ou moins rééquilibré, selon l’écart de revenu.

Sous cet aspect, le Québec est encore une fois une société distincte : l’union libre n’est pas synonyme d’indépendance des comptes. On observe chez nous peu de différence entre les conjoints de fait et ceux qui sont mariés : en majorité, ils collectivisent leurs revenus, d’une manière ou d’une autre.

« Quand on regarde la littérature internationale, de façon générale, les couples mariés gèrent ensemble, et les couples en union libre gèrent séparément. Ce n’est pas le cas ici. Carrément. Ça, c’est une grosse surprise », s’étonne Hélène Belleau.

Un parallèle doit être tracé avec les connaissances juridiques. « De 40 à 50 % des couples en union libre pensent que c’est pareil d’être marié ou en union libre », indique-t-elle.

Vive l’union libre et mariée !

Si les couples québécois en union libre se considèrent comme aussi engagés que dans un mariage, il leur apparaît donc normal de gérer comme un couple marié, c’est-à-dire avec une gestion plus ou moins commune des revenus.

« C’est tout à fait cohérent. »

Cohérent, mais mal avisé. « Être marié et en union libre, ce n’est pas pareil et ça a des conséquences importantes », rappelle-t-elle.

Par exemple, le partage du patrimoine familial à la fin de l’union – séparation ou mort – ne s’applique pas aux conjoints de fait.

« Le problème, c’est que les gens, chaque année, se font dire que c’est pareil, parce qu’ils sont traités de la même façon dans leur rapport d’impôt », souligne Mme Belleau.

Mais l’explication réside également dans la logique amoureuse qui prévaut au sein du couple, particulièrement dans les premières années de la relation.

La réfutable logique amoureuse

L’amour est aveugle et – par conséquent – ne regarde pas les chiffres ?

Pas tout à fait.

Même au début de leur relation, les conjoints ne sont pas irrationnels, soutient Hélène Belleau.

« Ils raisonnent de façon tout à fait logique, mais selon une autre logique. Une logique amoureuse, une logique familiale, qui dit que dans le couple, ce n’est pas du donnant-donnant. On donne un jour, et éventuellement les choses vont s’équilibrer à plus long terme. »

L’ennui, c’est que la théorie ne se vérifie pas toujours.

La psychologue clinicienne Jocelyne Bounader observe la contrepartie dans sa pratique, où la gestion de l’argent est une des principales causes de conflits conjugaux.

« Une des situations les plus fréquentes, c’est la question de savoir qui contribue à quoi : parfois, les gens demandent une contribution 50-50 alors que les deux n’ont pas du tout les mêmes revenus. Et même si au départ, les deux étaient d’accord là-dessus, avec les années, ça finit par causer beaucoup de ressentiments. »

— Jocelyne Bounader, psychologue clinicienne

« Pour différentes raisons, poursuit-elle, les gens n’ont pas vraiment réfléchi et n’étaient pas vraiment conscients des implications. »

En effet, l’enquête menée par Hélène Belleau révèle que chez quatre couples sur dix, le mode de gestion des finances s’est installé naturellement, sans réelle discussion.

La notaire et planificatrice financière Guylaine Lafleur incite les couples qu’elle rencontre dans son bureau à prendre tôt les précautions nécessaires. « On perçoit toujours une sorte de malaise, surtout quand il y a un déséquilibre au niveau des actifs ou des revenus, remarque-t-elle. Il y a un inconfort, parce que les gens ont peur que l’autre perçoive ça comme un manque d’amour. »

Elle réplique avec l’argument massue : « Je vous en parle parce qu’il y a quand même 50 % des mariages qui se terminent par un divorce. »

— Pas nous, on s’aime !

La jeunesse, qu’elle soit d’âge ou d’amour, se sent toujours invulnérable.

gestion des finances

Mariés ou en union libre : pareil ?

45 %

Des couples en union libre croient (à tort !) avoir le même statut légal que les gens mariés

49 %

Des couples en union libre croient (tout aussi à tort !) que le partage des biens se fera à parts égales s’il y a rupture.

Source : L’amour et l’argent, Hélène Belleau et Delphine Lobet

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L’amour sait-il compter ?

« On n’est pas si organisés », confesse Camille, un peu gênée.

Ne t’en fais pas, c’est le cas de la plupart des jeunes couples.

Mère d’un poupon de 1 an, Camille a 28 ans. Elle habite en appartement avec son conjoint de fait, du même âge qu’elle.

La gestion des finances du couple s’est mise en place en douceur. « Ça s’est pas mal fait naturellement, dit-elle. Au début, on payait le loyer moitié-moitié, c’était évident. Puis à partir de là, tout s’est pas mal enclenché naturellement. »

Quand elle est devenue enceinte, il leur a fallu déménager dans un logement un peu plus vaste. « On a un peu discuté comment on allait se diviser les choses, pour que ça s’équivaille à peu près. »

L’arrivée du bébé n’a pas changé notablement la gestion des finances. « Le lait, les couches : une fois c’est moi qui achète, l’autre fois ça va être mon chum. On n’a pas vraiment fait plus d’organisation pour ça. »

Pour l’instant, elle touche un meilleur salaire que son ami. À l’occasion, elle paie plus que sa part d’épicerie.

« On n’est pas vraiment à la cenne près là-dedans. On n’a pas de compte conjoint. À la fin, je pense que ça s’équivaut. »

Un jeune couple typique…

Cupidon ou cupidité ?

Les couples sont de plus en plus individualistes, surtout en matière d’argent ?

Faux.

La plupart du temps, Cupidon l’emporte sur la cupidité.

« Les couples sont beaucoup plus solidaires qu’on le pensait », indique Hélène Belleau, professeure à l’INRS Urbanisation Culture Société, dont les recherches portent sur la famille, le couple et l’usage social de l’argent.

« Il y a un discours sur l’individualisme galopant chez les couples, alors que c’est carrément le contraire qui se passe. Sept couples sur dix gèrent ensemble, qu’ils soient mariés ou en union libre. »

— Hélène Belleau, professeure à l’INRS Urbanisation Culture Société

Cette donnée est une des surprises qui émergent du guide L’amour et l’argent, écrit conjointement par Hélène Belleau et la docteure en sociologie Delphine Lobet, chercheuse à la même institution. L’ouvrage paraît le 14 février – fête de saint Valentin, patron des finances personnelles.

Il s’appuie sur une enquête exhaustive dans laquelle 3250 personnes ont révélé comment les finances de leur couple étaient gérées. « C’est la première fois qu’on avait des données là-dessus, souligne Hélène Belleau. C’est vraiment une première canadienne. »

Deux stratégies… et l’exception québécoise

Les stratégies de gestion des finances du couple se divisent en deux grandes catégories. Les revenus peuvent être mis en commun pour pourvoir aux dépenses communes, mais également, en tout ou en partie, aux dépenses personnelles.

Sinon, ce sont les dépenses qui sont partagées entre les conjoints, chacun conservant le contrôle sur ses revenus. Ce partage peut être plus ou moins rééquilibré, selon l’écart de revenu.

Sous cet aspect, le Québec est encore une fois une société distincte : l’union libre n’est pas synonyme d’indépendance des comptes. On observe chez nous peu de différence entre les conjoints de fait et ceux qui sont mariés : en majorité, ils collectivisent leurs revenus, d’une manière ou d’une autre.

« Quand on regarde la littérature internationale, de façon générale, les couples mariés gèrent ensemble, et les couples en union libre gèrent séparément. Ce n’est pas le cas ici. Carrément. Ça, c’est une grosse surprise », s’étonne Hélène Belleau.

Un parallèle doit être tracé avec les connaissances juridiques. « De 40 à 50 % des couples en union libre pensent que c’est pareil d’être marié ou en union libre », indique-t-elle.

Vive l’union libre et mariée !

Si les couples québécois en union libre se considèrent comme aussi engagés que dans un mariage, il leur apparaît donc normal de gérer comme un couple marié, c’est-à-dire avec une gestion plus ou moins commune des revenus.

« C’est tout à fait cohérent. »

Cohérent, mais mal avisé. « Être marié et en union libre, ce n’est pas pareil et ça a des conséquences importantes », rappelle-t-elle.

Par exemple, le partage du patrimoine familial à la fin de l’union – séparation ou mort – ne s’applique pas aux conjoints de fait.

« Le problème, c’est que les gens, chaque année, se font dire que c’est pareil, parce qu’ils sont traités de la même façon dans leur rapport d’impôt », souligne Mme Belleau.

Mais l’explication réside également dans la logique amoureuse qui prévaut au sein du couple, particulièrement dans les premières années de la relation.

La réfutable logique amoureuse

L’amour est aveugle et – par conséquent – ne regarde pas les chiffres ?

Pas tout à fait.

Même au début de leur relation, les conjoints ne sont pas irrationnels, soutient Hélène Belleau.

« Ils raisonnent de façon tout à fait logique, mais selon une autre logique. Une logique amoureuse, une logique familiale, qui dit que dans le couple, ce n’est pas du donnant-donnant. On donne un jour, et éventuellement les choses vont s’équilibrer à plus long terme. »

L’ennui, c’est que la théorie ne se vérifie pas toujours.

La psychologue clinicienne Jocelyne Bounader observe la contrepartie dans sa pratique, où la gestion de l’argent est une des principales causes de conflits conjugaux.

« Une des situations les plus fréquentes, c’est la question de savoir qui contribue à quoi : parfois, les gens demandent une contribution 50-50 alors que les deux n’ont pas du tout les mêmes revenus. Et même si au départ, les deux étaient d’accord là-dessus, avec les années, ça finit par causer beaucoup de ressentiments. »

— Jocelyne Bounader, psychologue clinicienne

« Pour différentes raisons, poursuit-elle, les gens n’ont pas vraiment réfléchi et n’étaient pas vraiment conscients des implications. »

En effet, l’enquête menée par Hélène Belleau révèle que chez quatre couples sur dix, le mode de gestion des finances s’est installé naturellement, sans réelle discussion.

La notaire et planificatrice financière Guylaine Lafleur incite les couples qu’elle rencontre dans son bureau à prendre tôt les précautions nécessaires. « On perçoit toujours une sorte de malaise, surtout quand il y a un déséquilibre au niveau des actifs ou des revenus, remarque-t-elle. Il y a un inconfort, parce que les gens ont peur que l’autre perçoive ça comme un manque d’amour. »

Elle réplique avec l’argument massue : « Je vous en parle parce qu’il y a quand même 50 % des mariages qui se terminent par un divorce. »

— Pas nous, on s’aime !

La jeunesse, qu’elle soit d’âge ou d’amour, se sent toujours invulnérable.

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