Chronique  Système de santé

Le devoir d’immixtion

À quoi sert le ministère de la Santé et des Services sociaux ? Quels sont sa mission, son mandat, ses responsabilités ? Cette question m’est venue à l’esprit à la façon dont le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a abordé la semaine dernière un dossier concernant le médicament.

M. Barrette songerait à lancer des appels d’offres auprès des compagnies produisant des médicaments génériques, en principe semblables les uns aux autres, pour retenir comme fournisseurs celles qui offriront les meilleurs prix. A priori, c’est une bonne idée, une bonne façon de réduire le prix des médicaments.

Cette initiative aurait toutefois un effet collatéral pour les pharmaciens. Les compagnies génériques versent des ristournes aux pharmaciens pour que ceux-ci choisissent leurs produits plutôt que ceux de leurs concurrents. Cette pratique, qui agace, est acceptée par le gouvernement, qui l’a balisée. Les ristournes sont limitées à 15 % du prix et doivent être traitées comme des allocations professionnelles qui financent des services aux patients. Si le gouvernement a accepté la chose, c’est que cela lui permet de refiler aux pharmaceutiques une partie des honoraires qu’il aurait dû verser aux pharmaciens.

Mais si le gouvernement, à travers le mécanisme de l’appel d’offres, choisit lui-même les compagnies génériques qui pourront mettre leurs produits sur les tablettes, la nécessité des ristournes disparaît. Le choc pour les pharmaciens serait d’autant plus grand que le gouvernement, qui vient de leur imposer d’importantes réductions de leurs honoraires, avait accepté de relever le plafond de ces ristournes pour atténuer l’effet des compressions.

C’est le genre de problème qui peut se régler si on était capables de se parler.

Mais quelle a été la réaction de Québec ? L’attachée de presse du ministre a répondu au Devoir : « Le Ministère n’a pas à s’immiscer dans la relation d’affaires entre les compagnies pharmaceutiques et les pharmaciens propriétaires ». Je dois dire que cette phrase m’a fait sursauter. Parce qu’elle illustre, sans doute bien involontairement, un mal profond de ce ministère.

D’abord, parce qu’elle comporte une incohérence. Le problème ne provient pas de la relation d’affaires entre pharmaciens et génériques, mais de deux décisions purement gouvernementales, l’une qui affecte les génériques, l’autre les pharmaciens.

Mais surtout, elle trahit le fait que le ministère a une vision tronquée du réseau de la santé et de son propre rôle. Comme si le monde de la santé se limitait à sa portion publique et que les activités privées ne le regardaient pas.

Et pourtant, les dépenses privées, soit celles qui sont directement payées de la poche des citoyens, soit celles qui sont assumées par les assureurs, comptaient pour 29,4 % des dépenses de santé au Québec en 2014, presque le tiers : une bonne portion des médicaments, plusieurs tests diagnostiques, les dentistes, les soins oculaires, les psychologues, de nombreux professionnels de la santé, comme les physiothérapeutes ou les ostéopathes, les frais accessoires exigés par les médecins.

Ça aussi, ça fait partie du système de santé. Le rôle du gouvernement, ce n’est pas seulement de gérer les activités de la portion publique du réseau qui est directement sous son contrôle, c’est aussi de s’occuper de ces secteurs. Parce que l’État, dans une société qui croit à un système de santé public, est le gardien du système, le fiduciaire qui doit s’assurer que les droits et le bien-être des citoyens sont protégés dans l’ensemble des services de santé.

Dans le cas qui nous occupe, le rôle de l’État, ce n’est pas seulement de déterminer la liste des médicaments qu’il remboursera, de gérer la Régie de l’assurance maladie qui assure les achats de médicaments de la moitié des Québécois, mais aussi de s’assurer que les médicaments sont distribués à l’ensemble des Québécois dans des conditions optimales. Et donc, pour revenir à la question des ristournes et des appels d’offres pour les génériques, le gouvernement a aussi un rôle de régulateur du système. Pour revenir à la citation qui m’a fait sursauter, l’État a un devoir d’immixtion.

On peut aller plus loin. Le monde du médicament, comme dans la totalité des sociétés industrialisées, constitue un système mixte où coexistent le secteur privé et le secteur public. La moitié des citoyens est assurée par l’État. C’est aussi l’État qui contrôle, approuve et choisit les médicaments qui seront assurés. L’autre moitié des citoyens est assurée par le secteur privé et le réseau des pharmacies est lui aussi privé, tout comme les entreprises pharmaceutiques. Cela devrait justifier, au nom du bien public, un modèle de partenariat que les bureaucrates du monde de la santé ont du mal à accepter.

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