Chronique

L’autre secteur de l’éducation négligé

Les compressions ont assurément touché les services à la population. Oui, il fallait revenir au déficit zéro, mais nier l’impact de l’exercice comme le font les libéraux est un non-sens, qui empêche d’avancer.

Il y a deux semaines, le rapport du protecteur des citoyens a bien démontré que les clientèles hors normes dans le secteur de la santé, notamment, ont écopé.

Or, une autre étude constate que des groupes vulnérables ont été durement frappés par les compressions, cette fois dans le secteur de l’éducation des adultes. Et comble de l’ironie, ce sont les cours de francisation des immigrants et d’alphabétisation, entre autres, qui ont été touchés, deux sujets qui ont fait les manchettes récemment.

La semaine dernière, le Journal de Montréal a rappelé que 53 % des Québécois sont considérés comme analphabètes fonctionnels, soit davantage que la moyenne canadienne. Le phénomène frappe notamment les adultes, qui omettent de rafraîchir leurs compétences en littératie au fil des années.

Quant à la francisation, l’enjeu est majeur pour les immigrants qui se cherchent du travail, ce que reconnaît d’ailleurs la ministre de l’Immigration, Kathleen Weil.

L’étude a été produite par l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICEA). L’Institut a demandé aux organismes de formations publics et privés sans but lucratif dans quelle mesure les décisions des gouvernements les avaient touchés depuis cinq ans.

FRANCISATION

Le constat n’est pas rose : les deux tiers des 109 répondants disent avoir subi des compressions. Et sur les 42 organismes qui ont consenti à donner des détails, 60 % sont dans une situation fragile ou très préoccupante, si bien que le quart risque carrément de fermer ses portes.

« La formation générale des adultes en alphabétisation-francisation vient au deuxième rang des secteurs qui ont le plus souvent aboli des services, des programmes ou des activités. Ces organismes sont également les plus susceptibles d’envisager de réduire les heures de travail, les services et activités et même envisager la fermeture », est-il écrit dans le rapport de 80 pages.

Certains de ces organismes communautaires ont dû réduire la fréquence de leurs cours de francisation, allongeant jusqu’à six mois le temps entre deux sessions.

En conséquence, les personnes en formation perdent leurs acquis entre deux sessions, fait valoir le rapport. Il s’agit notamment de femmes immigrantes qui travaillent dans le secteur manufacturier.

Dans d’autres cas, la mesure incitative financière pour suivre des cours de français a été abolie, obligeant des femmes à abandonner, faute de moyens pour payer une gardienne pendant les cours du soir ou le transport pour se rendre. Le retrait du fédéral d’un programme lié à la francisation a aussi fait mal.

CUISINE COLLECTIVE

Le secteur de formation le plus touché est ce que l’ICEA appelle « l’éducation populaire ». Des organismes communautaires offrent des cours de cuisine collective, d’aide au loyer ou de développement de l’employabilité. Ces cours sont notamment financés par Emploi-Québec, un organisme qui relève aujourd’hui du ministre François Blais.

Or, ces formations sont passées dans le tordeur des compressions. Parmi les clientèles touchées, mentionnons les sans-abri, les personnes faiblement alphabétisées, de même que les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou des déficiences intellectuelles.

Les services de formation continue des cégeps et des universités, essentiellement financés par le ministère de l’Éducation, ont également été touchés par la rigueur budgétaire de l’État.

« Les compressions ont déconstruit l’infrastructure de formation des adultes et les services qui existaient, notamment en région. On ne peut pas clamer que la formation des adultes est importante d’une part, et ne pas se soucier des conséquences des compressions d’autre part », a dit Daniel Baril, directeur général de l’ICEA.

L’étude n’indique pas, cependant, combien de personnes suivent ces formations. Est-ce beaucoup ou peu ? Pas moyen de savoir.

Il reste que sur le terrain, bien des organismes communautaires qui assurent la formation ont subi durement l’effet de la rigueur budgétaire. Et dans bien des cas, ils servent des clientèles vulnérables.

Pourquoi le gouvernement se met-il la tête dans le sable ? Maintenant que le Québec vogue vers un troisième déficit zéro, pourquoi ne pas reconnaître que certains services essentiels ont écopé ? Une analyse lucide de la situation permettrait de mieux cibler les services dans lesquels il faut réinjecter de l’argent.

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