Chronique

Bonjour, voici mon pénis

Ça s’appelle une dick pic et permettez que je décortique ce néologisme, chers lecteurs de la section Pause de La Presse+ du dimanche.

Dick, pour pénis. Pic, pour photo. Une photo de pénis. Dick pic. L’expression existe pour désigner les « offrandes » des hommes qui envoient à des femmes une photo de leur appendice sexuel. Il s’agit d’une façon de courtiser une femme, semble-t-il, du moins dans la tête de ces hommes. Bienvenue au XXIe siècle.

Ces femmes peuvent être de pures étrangères. Ou ces femmes peuvent être dans l’entourage de l’émetteur de la dick pic. Dans les deux cas, la dick pic est inattendue et non sollicitée.

J’ai fait par Facebook un appel à témoignages, fasciné par cette pratique. Des dizaines de femmes ont répondu, anecdotes à l’appui. On m’a signalé que la pratique existait aux balbutiements de l’internet, par les chaînes de chat. Mais la multiplication des plateformes numériques dans lesquelles nos vies s’incrustent a multiplié, vous l’aurez deviné, le nombre de photos de pénis qui circulent.

Karine m’a envoyé une capture d’écran de pénis reçue d’un pur étranger, sur Facebook, sans « bonjour » ni rien : « C’est toujours non désiré et elles me prennent toujours par – mauvaise – surprise partout car je peux les ouvrir n’importe où, au gym ou au travail. Avec moi, ça n’a jamais fonctionné. Mais je me dis que si les gars le font, c’est que ça doit marcher, quelque part… »

On peut trouver parfaitement ridicule le type qui aborde les filles dans un bar avec un des clichés comme « Viens-tu souvent ici » ou « Qu’est-ce que tu manges pour être belle de même », reste que si les hommes disent ce genre de sornettes pour briser la glace, c’est que ça doit marcher…

Mais envoyer une dick pic – ou « phallophoto », selon la traduction d’un lecteur, Loïc Minot – non sollicitée a-t-il déjà pu charmer une femme et être le point de départ d’une relation durable ?

Peut-être est-ce déjà survenu dans l’histoire de l’humanité. Mais les dizaines de témoignages reçus sont à peu près unanimes (quoiqu’une femme m’ait affirmé avoir ouï dire qu’une dick pic avait fait mouche) : non.

« On en parle entre filles, des fois, dit Catherine P., qui a reçu des dizaines de phallophotos depuis qu’elle est redevenue célibataire, l’an dernier. Et 100 % des filles sondées disent trouver cette méthode peu respectueuse, voire ridicule. Aucune ne répond à ce type de message. Moi, je bloque illico. »

Bien sûr, l’internet recèle des utilisateurs anonymes qui déconnent de toutes sortes de façons : certains expéditeurs de dick pics sont anonymes. Mais des hommes n’hésitent pas à envoyer des photos non sollicitées de leur sexe à visière levée, de leur page Facebook, par exemple.

Pour qu’un de ces hommes cesse de lui envoyer des dick pics, Catherine P. a pris les grands moyens : « J’ai menacé d’envoyer la photo à sa femme… »

L’internet regorge par ailleurs d’histoires de femmes qui ont fait suivre les phallophotos reçues à la mère ou à l’épouse de leur propriétaire : gros LOL…

Pour Marie-Anne Sergerie, psychologue qui se spécialise dans les enjeux numériques, envoyer à une inconnue – ou une vague connaissance – une photo de pénis de façon non sollicitée, ça n’a rien de bénin : « C’est une forme numérique d’exhibitionnisme, qui fait fi de la notion de consentement. » Pour l’instant, note la psychologue, la littérature scientifique n’a pas exploré le phénomène des dick pics.

Si c’est de l’exhibitionnisme que d’envoyer une photo de son phallus hors du cadre d’échanges consentants, est-ce que l’expéditeur pourrait être accusé de grossière indécence ? Après tout, si on peut être accusé pour avoir montré son sexe à des passantes dans un parc, en quoi le numérique serait-il exempté du rayon d’action policier…

Je n’ai répertorié au Canada aucune accusation de grossière indécence pour l’envoi de phallophotos. Mais un employé de Radio-Canada a, en 2011 : 1) perdu son emploi et 2) fait face à des accusations de harcèlement pour avoir envoyé de façon anonyme des images sexuelles à cinq collègues de travail, toutes des femmes. Il appert qu’il leur envoyait notamment des dick pics. En échange d’une promesse de garder la paix, les accusations ont été abandonnées… Mais son nom et sa photo, en revanche, ont été largement diffusés. Ailleurs dans le monde, comme en Angleterre et en Australie, des tribunaux ont condamné des hommes pour avoir envoyé de telles photos non sollicitées.

La pratique dérange suffisamment de femmes pour qu’une radio de Québec, le Rock 100,9 – qui a récemment chamboulé sa programmation –, ait programmé un segment régulier où les animateurs appelaient des expéditeurs de phallophotos pour leur demander de cesser de harceler leurs auditrices. Titre du segment : Cockbusters…

« Nous recevions en moyenne cinq ou six dénonciations par jour, relate Dany Bernier, alias Babu. Ça n’a pas de sens. Ça a débuté avec une de mes amies qui avait des problèmes avec un moron… »

Je me suis fait raconter des histoires de fou à la suite de cet appel à tous sur les dick pics. La plus « spéciale » ? Un gars qui aborde deux filles dans un bar, il est super sympathique, il a de la conversation, puis il dit à l’une d’elles : laisse-moi te montrer une photo et… « Et voilà une photo de son pénis ! relate Annie (je précise que la conversation ne portait pas sur les organes génitaux en général). »

« Devant mon désarroi, il a rangé son téléphone et poursuivi la conversation initiale comme s’il ne m’avait jamais montré la photo. »

— Annie

Jacinthe L. a décidé de publier sur sa page Facebook les phallophotos qui lui sont envoyées, avec le nom et la photo des expéditeurs. « Une amie à moi a écrit au dernier pour lui demander de s’excuser, dit-elle. Et il lui a répondu qu’il n’aurait jamais pensé avoir autant d’attention de moi, alors il disait ne pas regretter son geste. Je remets donc ma décision de les publier en question puisque c’est peut-être le but recherché… »

Et peut-être qu’on touche ici à l’essentiel, peut-être que l’envoi d’une dick pic non sollicitée n’a rien à voir avec la séduction et tout à voir – vieille histoire – avec le contrôle des hommes sur le corps des femmes…

Pendant une nanoseconde, l’expéditeur a une impression de contrôle. L’a-t-il ? Non, pas au sens propre. Mais la perception, c’est la réalité, dit-on…

Et je laisse le mot de la fin à Léa Stréliski, humoriste en formation de son état, qui m’a envoyé ces paroles de sagesse à propos des phallophotos, paroles qui font écho à celles de Jacinthe L…

« Ma théorie : certains gars ont juste ça comme pouvoir sur nous : nous dégoûter. D’où la fameuse dick pic. Je t’envoie mon pénis en photo pis là tu l’ouvres, et pendant ce court instant où tu dis “Yark”, tu m’appartiens. C’est tout ce qu’ils ont. »

* J’ai circonscrit mes recherches aux hommes hétéros qui envoient leurs dick pics à des femmes. La pratique existe entre hommes homosexuels.

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