Témoignage

Mon fils est prisonnier d'un jeu vidéo

Il n’y a rien de drôle dans League of Legends. Même lorsque l’on écrit la première lettre de chaque mot (LoL), ce n’est pas drôle. Mon fils en est prisonnier. Il est pris en otage. Il a intégré une secte. Ce que l’on explique de League of Legends n’est que la pointe de l’iceberg. Ce que l’on n’explique pas, c’est l’impact psychologique, social et familial qu’a fini par créer le jeu chez mon adolescent. League of Legends le tient par les couilles.

Il a 14, bientôt 15 ans. Je lui ai imposé des règles d’utilisation, des temps de consommation. Je me suis assurée qu’il n’y a pas de pornographie et que le niveau de violence du jeu est acceptable. J’ai piraté son ordinateur pour contrôler le temps et le contenu. J’ai discuté à maintes reprises pour tenter de trouver un terrain d’entente parce qu’à tout bout de champ, il enfreint notre accord, il outrepasse sa parole.

Je ne me suis pas assez méfiée. J’avais pourtant lu que certains adultes avaient tout perdu. Femme et enfants. Je me suis constituée « lobe frontal temporaire » de son cerveau, je l’ai obligé à manger dans la cuisine, à dormir à une heure raisonnable, à partager des moments en famille. Je l’ai encouragé et récompensé pour ses bons résultats scolaires. J’ai mis beaucoup l’accent sur les mémos positifs de ses enseignants.

Tout comme une secte, le jeu League of Legends est insidieux. Il se répand sournoisement, insensible au jeune adolescent sans lobe frontal.

Comme tout jeune de son âge typiquement constitué, il a un cerveau hyper performant d’adolescent tout neuf.

Il apprend sans effort. Globalement, il n’a pas de limite. Il s’imprègne de tout, du bon comme du moins bon.

Puisque je suis sa mère et son lobe frontal, je suis une partie de son jugement lui permettant un éventuel regard lucide sur les êtres, les choses et les situations de la vie. Je suis son guide afin qu’il puisse jeter un regard juste sur le monde qui l’entoure. Je suis le frein qui le ralentit dans le but qu’il ne se pète pas trop la gueule.

Une communauté virtuelle

Lorsque mon ado joue à League of Legends, il fait partie d’une communauté virtuelle. L’intérieur de celle-ci est constitué d’équipes. En tant que membres d’une équipe, ils devront s’entraider, communiquer entre eux, se respecter s’ils veulent avancer, gagner des points et du pouvoir que l’on appelle des privilèges. Comme dans toute communauté normalement constituée, pour éviter l’anarchie, les abus et la tricherie, il y a aussi des règles et des punitions.

Le défi ici, c’est que mon ado sans lobe frontal prend pour du cash la communauté virtuelle, celle-ci est devenue aussi importante sinon plus que sa vie réelle. Il se sent en contrôle, il se sent fort, il se sent aimé et apprécié. Puisque son cerveau n’a pas toutes ses connexions, il ne mesure pas tous les risques qu’implique sa vision virtuelle de la vie.

Il est en plein trip irrationnel ! Il surfe sur l’hormone du plaisir que lui procurent ses parties.

Comme lorsqu’il avait terriblement 4 ans, il est adorable et hystérique. Son cerveau est à la fois puissant et intensément vulnérable !

Et je ne le lâcherai pas. Je serai cette méchante mère, qui dit non, qui exige et qui confisque. J’utiliserai toutes les voies et tous les mots possibles dans l’intervalle d’une partie et un claquage de porte.

Je profiterai de chacun de ses moments adorables pour lui exprimer mon amour et ma fierté pour qu’enfin au bout de ce passage tumultueux, il se rappelle qu’elle était bonne et agréable, la vie réelle. Je ne ferai pas toutes les batailles, mais je vous jure que je gagnerai la guerre !

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.