Mon clin d’œil

Avec toutes les entraves à la circulation, la seule façon de sortir de Montréal, ce week-end, c’est d’être mis au ballottage.

Opinion

Haro sur les poursuites-bâillons contre nos municipalités

Hier, la petite municipalité de Grenville-sur-la-Rouge, dans les Laurentides, a demandé au tribunal de rejeter et de déclarer abusive la poursuite de 96 millions de dollars intentée par la compagnie d’exploration minière de Vancouver, Canada Carbon. Cette somme représente près de 20 fois le budget annuel de cette municipalité de 2800 habitants.

En choisissant la voie intimidante et abusive des tribunaux, Canada Carbon a confisqué la parole de toute une communauté qui se mobilise contre ce projet qui n’est pas le bienvenu. 

Les élections municipales de l’année dernière ont pourtant porté au pouvoir, de façon tout à fait légitime et démocratique, des citoyens qui se sont clairement affichés contre le projet minier proposé par Canada Carbon. Parce que ces gens avaient à cœur de protéger leur milieu de vie, ils ont fait ce qu’on espère de tout bon citoyen dans les circonstances : ils ont retroussé leurs manches, ils ont préparé leurs arguments, ils ont fait campagne et ils ont été élus. Les majorités obtenues ne laissent place à aucun doute quant à l’appui qu’ils ont de la population de Grenville-sur-la-Rouge.

L’acceptabilité sociale n’existe pas à l’état brut dans la nature, comme un trésor qu’on pourrait mettre en banque, sans même avoir à l’extraire : l’acceptabilité sociale se construit en bâtissant des liens avec le milieu d’accueil d’un projet, en étant à l’écoute de ses besoins et en tenant compte de ses préoccupations. 

L’acceptabilité sociale ne s’obtient pas par la force ou par la domination et encore moins par une poursuite-bâillon qui coupe court au débat, empêche les élus et la population de s’exprimer librement sur la place publique de peur des représailles. À Grenville-sur-la-Rouge, l’acceptabilité sociale de ce projet minier est irrémédiablement compromise et l’élection du dernier conseil municipal en est le résultat et non l’élément déclencheur.

Le débat sur la mine à Grenville-sur-la-Rouge doit se tenir sur la place publique et non devant les tribunaux. Les décisions au sujet des grands projets de développement reviennent à nos élus, en fonction des désirs et des aspirations de la population.

Les municipalités doivent pouvoir débattre librement des projets qu’on propose de développer sur leur territoire et le faire en toute transparence dans les assemblées démocratiques et les mécanismes de consultation dont nous nous sommes dotés collectivement.

Hier, c’était Ristigouche-Sud-Est qui se défendait d’une poursuite abusive devant le tribunal, engagée par la compagnie pétrolière Gastem. Aujourd’hui, c’est Grenville-sur-la-Rouge qui est abusivement poursuivie par la compagnie minière Canada Carbon. Quelle municipalité se verra confrontée demain au lourd fardeau d’une procédure judiciaire pour avoir voulu protéger son environnement, la santé et la qualité de vie de sa population ? Tous les conseils municipaux du Québec devraient avoir peur de la possibilité d’être les prochains. Le gouvernement du Québec doit aussi constater les trous béants qui demeurent dans nos lois et qui permettent, encore aujourd’hui, ce genre de situations.

En effet, la loi québécoise contre les poursuites-bâillons, votée il y a presque 10 ans, ne suffit pas. Elle n’a pas l’effet dissuasif espéré. Le cas qui nous occupe n’en est qu’une preuve de plus. Par son ampleur, la poursuite de Canada Carbon est sans précédent, mais elle n’est pas la seule. Et il y en aura d’autres.

Récemment, j’ai expérimenté personnellement la lourdeur d’une procédure judiciaire pour faire valoir la confidentialité de mes données de recherche dans ce qui est devenu l’affaire Maillé. Dans mon cas aussi, les forces et les ressources des parties devant le tribunal étaient inégales. Même si j’ai obtenu gain de cause, je sais combien les litiges de cette ampleur accaparent la vie de ceux qui les subissent. Je sais aussi que l’escalade juridique d’un conflit, à plus forte raison quand elle implique les sommes astronomiques qui sont ici en jeu, n’est pas la façon de régler un différend qui est d’abord et avant tout politique.

Chaque fois qu’une telle poursuite survient, l’intérêt public, notre démocratie et notre capacité à intervenir dans les décisions publiques sont mis à mal. S’indigner ne suffit plus, il faut maintenant passer à l’action pour que cessent les poursuites-bâillons comme celle que subissent aujourd’hui le conseil municipal et la population de Grenville-sur-la-Rouge.

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